Semaine du 10 mai 2006

Box-office français : La face cachée de La Marche de l'empereur

Didier Verdurand | 3 avril 2007
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Box-office français du 10 au 16 mai 2006

Nous avions proposé à Luc Jacquet, réalisateur de La Marche de l'empereur, d'intervenir dans notre rubrique box-office (cliquez sur son nom pour accéder à l'interview correspondante). Nous avons voulu revenir sur ce triomphe sans précédent pour un documentaire français en laissant la parole cette fois à l'un de ses chefs opérateurs, Laurent Chalet, certainement le mieux placé pour évoquer un tournage hors du commun…

Au départ…
Je ne connaissais pas Luc Jacquet, c'est la directrice de production qui m'a appelé pour me mettre en contact avec Luc. Elle m'a demandé si j'étais intéressé à l'idée de partir 10 mois sur la banquise pour filmer des manchots. J'ai dit oui tout de suite avant même de lire le projet (rires). L'aventure humaine du projet était déjà fascinante en soi. Ensuite, Luc est rentré dans les détails, j'ai rencontré Jérôme Maison avec qui j'allais passer un an là-bas. Tout s'est préparé en deux mois et nous sommes partis fin janvier 2003.


Il y avait un scénario ?
Luc avait écrit un séquencier d'une trentaine de pages qui retraçait les moments importants de la vie d'un manchot, en se basant sur ses connaissances d'ornithologue. Il y avait aussi l'idée sous-jacente d'en faire une fable. Grosso modo, ça s'arrêtait là. Notre fonction était de prendre des images, Luc comptait sur mon expérience à la fois dans le documentaire et la fiction pour capter la sensibilité qu'il recherchait. Je devais filmer une réalité en la « fictionnant » plan par plan. Nous avons travaillé ensemble sur le choix des pellicules et nous avons mis en place la logistique du tournage. Il était décidé que Jérôme et moi allions rester seuls sur place mais nous sommes partis tous les trois pour que Luc nous montre les coins qu'il connaissait. Il est resté un mois.

Vous trouviez cela normal ?
Ce n'est pas commun mais je comprends ses raisons qui étaient d'ordre personnelles. Il faut se rendre compte du sacrifice que ça représente, 10 mois en Antarctique. Des choix de réalisation lors du tournage se sont donc naturellement posés sur mes épaules et celles de Jérôme.

Luc Jacquet est revenu à la fin ?
Oui, le dernier mois et demi. Il est venu accompagné de Patrick Marchand pour réaliser des prises de vue sous-marines. Quand Luc arrive, aucun problème, tout continue sur sa lancée, c'était plus à lui d'ailleurs de s'adapter à notre rythme.


Vous étiez facilement en contact avec Luc ? Il y a Internet là-bas ?
Il n'y a pas l'ADSL mais on s'envoyait des messages pour parler des prises de vue. Il recevait aussi des photos numériques. C'est une communication un peu à sens unique vu que nous réagissions au jour le jour, en fonction de la météo et des attitudes des manchots. On les rassurait surtout sur le bon déroulement du tournage, que les images rentraient, que les séquences se composaient, etc… Au final, nous sommes restés 12 mois et 5 jours. Les jeunes manchots nous ont joué un tour en prenant du retard sur leur plongeon vers le « grand bain » où ils resteront plusieurs années et nous avons pris la décision de rester pour ne pas rater ça.

Vous étiez dans une base avec plusieurs hivernants. C'est un loft story polaire ?
Sans les caméras, oui. Ce que j'en ai conclu, c'est qu'en vivant en vase clos, la nouveauté n'existe pas et au bout d'un moment, on tourne un peu en rond. Il y a une forme de régression qui se produit sur le plan social, on ne sait pas si on peut tenir une conversation vraiment intéressante car au bout de quelques mois, on n'a plus rien à raconter. Seul le cycle de vie des manchots alimente les discussions. Quand le bateau arrive à la fin de l'hivernage avec de nouveaux occupants, on devient un peu schizo et on se sent envahis, certains le vivent plus ou moins bien. En même temps, c'est aussi un grand soulagement, on va pouvoir parler d'autre chose, communiquer sur un mode plus représentatif de la vraie société des humains.


Tournage à risques ?
Il n'y a pas eu de grosses difficultés à part un accident. Nous avons été pris malgré nous dans une tempête de neige, surpris par un vent qui est monté en quelques minutes, de manière complètement imprévisible. Nous avons mis plus de six heures à rejoindre la base. Jérôme a été brûlé au visage par le froid et moi-même je me suis fait mal aux genoux en tombant dans l'eau, à travers la glace. Nous avons été sauvés par la solidarité des hivernants qui sont venus nous chercher en cordée. Résultat des courses, nous sommes restés un mois à la base, à nous soigner.

Vous êtes restés longtemps dans l'eau glacée ?!
Dans la seconde qui a suivi ma chute, j'étais sorti de l'eau, en tirant sur mes bras. On ne réfléchit pas, c'est après qu'on analyse ce qui s'est passé. Je ne me souviens pas de la montée d'adrénaline mais c'est elle qui m'a sauvé.

Dans cette situation, on pense à l'Oscar ?
(Rires) Non, on pense à sauver sa peau !

En parlant d'Oscar, vous imaginiez que ces images iraient jusqu'à gagner la statuette du Meilleur documentaire ?
Nous sommes partis dans l'idée de faire un film pour la télévision donc la question ne se posait pas ! Ce n'est qu'au retour en France, quand les producteurs ont vu les images, qu'ils ont eu l'idée d'aller chercher des partenaires de cinéma pour le sortir en salle. Là-bas, nous avions conscience de vivre une aventure extraordinaire mais imaginer un tel impact… C'était inespéré, et c'est génial.

Le film a rapporté, uniquement en salles, plus de 122 millions de dollars sur la planète. Vous avez vu la couleur de l'argent ?
La production, suite au succès, nous a fait des cadeaux. Voilà. (Sourire)


L'après tournage ?
Je suis vite aller me reposer au soleil, nous avions vraiment beaucoup donné durant cette année écoulée. J'ai suivi le montage de loin. Pour moi c'est un film très bien monté. Il y a toujours des images qu'on aurait aimé voir dans la version finale mais qui ne fonctionnaient certainement pas dans l'enchaînement des séquences, donc ce n'est pas si grave. J'ai repris le flambeau au moment de l'étalonnage. Le film est ensuite sorti et il y a eu à peu près un an de promotion. Il est tout à fait naturel que ce soit le réalisateur qui présente son film, la presse a besoin d'une personne pour identifier un projet. Il est rare de voir le chef opérateur de Tarantino vendre Kill Bill et il n'y a pas de soucis là-dessus, La Marche de l'empereur est un film de Luc Jacquet. Mais j'ai lu dans des journaux des choses qui m'ont un peu défrisé par rapport à la façon dont était relaté le tournage en lui-même. Il me semble plus que normal de mettre en avant notre travail à partir du moment où le sujet est abordé et je trouve que notre implication a été minimisée, tant par la presse que par Luc. On touche un problème personnel entre lui et moi puisque depuis, le dialogue s'est rompu.

Le Canard Enchaîné a relaté ce problème…
Oui, suite aux Oscars. Ils m'ont contacté et j'ai refusé de leur parler parce que je n'ai pas envie de régler mes comptes dans un hebdo national pour différentes raisons – je suis par ailleurs lecteur du Canard. Je ne connais pas les sources du journaliste, je crois qu'il a juste souligné quelque chose que beaucoup avaient remarqué : Jérôme Maison et moi-même n'avions pas été remerciés au speech des Oscars pour le travail effectué. C'est une chance pour moi d'avoir fait ce film et j'en suis très fier mais oublier de citer mon nom n'est pas très éthique d'un point de vue professionnel.

La profession est au courant de cette histoire ?
Oui et non, ça dépend vraiment de l'intérêt qu'ont porté les gens au film. Il m'arrive d'avoir à expliquer aujourd'hui à certaines productions la manière dont s'est vraiment déroulé le tournage de La Marche de l'empereur pour revaloriser mon travail. Ma nomination aux British Awards à Londres m'a donné un coup de pouce. J'obtiens plus facilement des rendez-vous… Mais tout aurait été facilité je pense par une communication plus transparente sur mon travail et celui de Jérôme. Il faut préciser au sujet de ce dernier que mes propos me sont personnels, je ne vous ai pas parlé en son nom.

Les producteurs ont-ils tendance à vous enfermer dans un registre animalier, désormais ? Adjani est plus compliquée à éclairer qu'un manchot !
Depuis que je suis rentré d'Antarctique, je n'ai quasiment tourné que des documentaires mais les projets de fiction sont là et devraient se concrétiser dans un avenir proche. J'en suis heureux car j'aime la photo, je fais de l'image et j'aime le cinéma. Le documentaire animalier est un genre de cinéma parmi d'autres, et pour l'instant je n'ai pas l'intention de me spécialiser dans l'un d'entre eux, je suis à la recherche d'aventures cinématographiques avec des gens intéressants qui ont à donner et qui sont capables de recevoir. Quant à la mise en scène… J'ai 36 ans et j'ai le temps d'y penser sérieusement, je ne veux pas tourner n'importe quoi. Il y a tellement de films qui se font, on se demande parfois pourquoi !

Propos recueillis par Didier Verdurand.
Autoportrait de Laurent Chalet.
Photos de tournage © Laurent Chalet.

Retrouvez les interviews de notre dossier chef-opérateur en cliquant sur les photos correspondantes :

Retrouvez les chiffres à 14h du mercredi 17 mai à Paris en cliquant ici.

Retrouvez le dernier box-office américain en cliquant ici.

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