Antiviral : Critique

Simon Riaux | 19 mai 2012
Simon Riaux | 19 mai 2012

On l'attendait au tournant le premier film de Brandon Cronenberg, fils de vous savez qui, venu présenter sur la Croisette son premier film, dans la section Un Certain Regard, quelques jours avant que son paternel nous livre l'adaptation très attendue de Cosmopolis. Un évènement inédit à Cannes, attendu des festivaliers, qui se sont logiquement rués à la projection du 19 mai. Une convergence d'intérêts et de curiosités qui joue le plus souvent contre les artistes, attendus au tournant, et jamais épargnés par un public réputé pour être un des plus imprévisible et difficile qui soit. Antiviral semble donc voué aux gémonies, en dépit d'indiscutables qualités, et d'une proposition de cinéma en forme d'alléchante promesse.

Thierry Frémaux l'avait lui-même annoncé le 19 avril, la mise en scène de Brandon devait nous évoquer clairement celle de son torturé papounet. Las, nous voyons là un raccourci que beaucoup brandiront pour délivrer une critique facile, et factuellement fausse. Seuls trois plans, répartis dans autant de séquences évoquent directement l'œuvre de Cronenebrg l'Aîné, sur le mode de l'hommage pur et simple. Une volonté de liquider l'héritage familial, qui déborde de malice et touche toujours juste, même si elle ne manquera pas d'être utilisée en dépit du bon sens par les détracteurs du long-métrage. Ce dernier arpente des territoires contigus aux terrains de jeu paternels (contamination, transformations physiques, entropie...), mais trace un sillon propre, autonome.

 

 

On a souvent disserté sur la fascination de David Cronenberg pour la chair et ses altérations, soit la figure centrale de son cinéma. Or Brandon Cronenberg s'avère contre toute attente un cinéaste que la chair repousse, un parti pris qui amène Antiviral dans des sphères inattendues. Caleb Landry Jones y interprète Syd March, un VRP laborantin-commercial qui a définitivement intégré la logique de l'ultralibéralisme, et considère ses semblables comme autant de pétris auxquels il doit inoculer ou prélever des pathologies-produits. En allant jusqu'à utiliser son corps comme incubateur, il deviendra à son tour un objet consommable particulièrement convoité, et découvrira toute l'horreur de sa nouvelle condition. Ici, nulle fascination pour les tourments de la chair, juste un calcul froid, qui virera progressivement à l'horreur viscérale. Chez Brandon Cronenberg, le cannibalisme n'est plus une transgression régénératrice, mais une communion sécularisée, tandis que la plèbe engloutit des steaks à base de muscles de star reconstitués, filandreux et grisâtres. L'utopie carnassière de la Nouvelle Chair a été balayée par une Chair terminale, horizon gris et indépassable d'un monde arrivé à la faim de l'histoire.

 

 

 

C'est ici qu'apparaît le seul parallèle tout à fait pertinent entre père et fils, tant Antiviral évoque et pousse plus avant la réflexion entamée dans deux œuvres de jeunesse de Cronenberg père : Stereo et Crime of the Future. Les corps y déambulent dans d'anxiogènes espaces stérilisés, où flottent les personnages comme autant de globules mus par les à-coups d'un moteur invisible. D'où le sentiment que chaque caractère est réduit à une pure fonction, un concept ; ce qui était un défaut d'écriture chez David prend tout son sens dans l'univers dépeint par Brandon (au risque de provoquer la même exclusion du spectateur), où l'humain a disparu, phagocyté par ses propres pulsions.

 

 

On le voit, les circonstances de sa découverte et le contenu du film interdisent de l'envisager autrement que par le prisme de l'œuvre qui l'a précédé, pour autant, il s'en différencie notablement, et mérite que l'on se penche avec sérieux sur son cas déviant. Ses défauts sont ceux d'un premier film, qui hésite, expérimente et se cherche. Une poignée de séquences s'avèrent dispensables, trop longues, inabouties, quelques personnages auraient gagné à bénéficier d'une meilleure caractérisation. Autant de griefs mineurs pour qui ne craint pas de se plonger dans une ascèse anthracite déployée sans filet.  Enfin, combien de metteurs en scène sont capables de proposer une réflexion sur les dérives de notre société aussi perturbante et visuellement maîtrisée ? Suffisamment peu pour ne pas bouder le plaisir vénéneux d'un Cronenberg 2.0.

 

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