Critique : Qu'un seul tienne et les autres suivront

Thomas Messias | 11 décembre 2009
Thomas Messias | 11 décembre 2009

Comment arriver une seule seconde à croire qu'un tel film puisse émaner d'une réalisatrice d'à peine 28 ans ? Comment ne pas voir, dans cet océan de maîtrise et de maturité, la marque d'un artiste aguerri, expérimenté, suffisamment bousillé par la vie et transporté par ses rencontres pour être capable de restituer des émotions avec tant de force ? Qu'un seul tienne et les autres suivront est pourtant l'oeuvre de la seule Léa Fehner, cinéaste déjà prodigieuse qui a dépassé en un seul long-métrage le simple stade des promesses. Voilà un film qui vous embarque en une poignée de plans et resserre rapidement son emprise, parvenant à être aussi accrocheur qu'inconfortable. L'écriture est simple, fluide, riche en contenu mais jamais dans l'excès de références ou de matière. La mise en scène est naturelle, chaleureuse, allant puiser une humanité folle chez chacun des personnages.


Qu'un seul tienne... est un film choral d'une grande limpidité, qui enchevêtre trois histoires sans jamais chercher à jouer au plus malin ni nous abreuver d'artifices. Dès le départ ou au fil de l'intrigue, le film entier tourne autour du monde de la prison : enfermement temporaire ou longue durée, passé ou à venir, c'est la condition destructrice du détenu qui est examinée ici. Un type dans la mouise accepte de se laisser mettre en taule à la place d'un autre ; une ado amoureuse d'un jeune activiste doit trouver le moyen d'aller lui rendre visite pendant qu'il purge sa peine ; la mère d'un détenu tué en prison tisse des liens avec la soeur du meurtrier. Les arguments peuvent sembler déjà vus, ultra classiques, à la lisière du polar, Fehner en fait d'abord des éléments de drames humains souvent abrupts, parfois à la lisière du sordide, mais concentrés avant tout sur la part de vie qui subsiste en chacun, et non sur ce qui est déjà mort en eux. La prison apparaît comme une machine à broyer les êtres, à les transformer en monstres d'indifférence ou en bêtes sans lien social, mais la manière dont Fehner filme tout ça, dans un corps-à-corps permanent avec des personnages qu'elle aime passionnément, les maintient à flot et nous avec. Il faut dire que, conséquence des choix narratifs de la cinéaste, le film se déroule principalement en dehors de ces bâtiments austères que Jacques Audiard, entre autres, visita récemment.


Qu'un seul tienne et les autres suivront pourrait d'ailleurs apparaître comme un petit cousin d'Un prophète, dans une version moins bien peignée, moins consciente de ses effets, donc un milliard de fois plus émouvante. On souhaite à Léa Fehner de continuer dans cette voie du cinéma qui fait de la mise en scène non pas une attraction de foire, mais une façon de raconter au mieux une histoire et d'y rattacher le plus idéalement possible les sensations qui en découlent. Entourée d'une troupe d'acteurs tous plus immenses les uns que les autres - citons les moins connus : Farida Rahouadj, Pauline Étienne, Reda Kateb -, elle livre en tout cas le meilleur premier film de l'année, qui patine peut-être un brin dans sa dernière ligne droite, mais n'en demeure pas moins un drame d'une justesse absolue et d'une beauté non feinte.

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