Critique : Adieu

Julien Welter | 3 septembre 2004
Julien Welter | 3 septembre 2004

Il y a quelque chose d'excitant à pouvoir inaugurer un site consacré au cinéma en évoquant le second long-métrage d'Arnaud des Pallières. D'abord parce que ce film explore de nouvelles frontières cinématographiques qu'il faut voir et, tâche favorite du journaliste critique, convaincre d'aller voir. Ensuite, parce que le réalisateur a su créer un espace dans lequel tout spectateur, spécialiste ou non, est invité à réfléchir.

[img_right]adieucritique2.jpg [/img_right]La paresse aurait vite fait de catégoriser d'essai cet objet filmique qui ne raconte pas une histoire mais seulement deux événements, qui ne se télescopent pas ou trop peu pour que cela soit significatif : le trajet d'un homme vers la France pour se protéger et protéger les siens de la montée intégriste en Afrique du Nord ; les funérailles d'un membre d'une famille rurale. À l'image du générique d'ouverture qui suit l'assemblage pièce par pièce d'un camion, Arnaud des Pallières relie ces deux drames par le sens général qu'amène l'agencement de scènes indépendantes les unes des autres.

L'œuvre et son sens se construisent donc au fur et à mesure d'un montage limpide qui unifie sans heurts des saynètes parfois comiques, parfois fantastiques, et d'une harmonisation étrange qui s'opère entre l'interprétation austère des acteurs et la photographie menaçante de Julien Hirsch. Suggéré par le traitement visuel, et renforcé par les nappes musicales de Martin Wheeler, il se dégage alors une impression de songe où la signification du film se place à portée de main.

Dans cette fausse distance que procure ce rêve éveillé, les voix enveloppantes de Laurent Lucas, Mohamed Rouabhi ou Axel Bogousslavsky se détachent avec grâce et douceur. Leurs monologues et dialogues, tirés du Moby Dick de Melville, de Cahier d'un retour de Troie de Richard Brautigan, et de bien d'autres livres se fondent dans le récit, tout en faisant résonner, par leur présence grave, leur sens avec celui des images. À cause des détours faits par les atermoiements d'un prêtre et par l'évocation d'une femme adultérine, le thème trop évident de l'immigration s'efface très vite. Seul reste celui, plus large, de l'invisible auquel renvoient l'amant absent, le frère mort, l'immigré caché, la famille laissée derrière et le divin auquel on croit sans preuve. Tous ces aspects marquent en nous le sens profond d'un adieu, d'être confié à Dieu, à sa volonté (comme l'immigré) ou à sa garde (comme le défunt). Avec gravité et force, le réalisateur du déjà très étrange Disneyland, mon village natal, restitue alors la juste impression d'une existence dépendant entièrement de notre visibilité aux yeux de l'autre.

Arnaud des Pallières s'impose, avec ce film, comme un cinéaste capable de tout. D'une inquiétante étrangeté comparable au Mulholland Drive de David Lynch, et d'un envoûtement menaçant égal au Pique-Nique à Hanging Rock de Peter Weir. Et peut-être parce qu'il réveille la notion d'art alors que d'autres ne font que caresser le terme de produit culturel, cet auteur à part dans la production française crée un amour fasciné ou une incompréhension totale.

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