Critique : Shrek 2

Eric Dumas | 6 janvier 2005
Eric Dumas | 6 janvier 2005

Dès l'ouverture de Shrek 2, le ton est donné. Les réalisateurs vont, dans un prologue délirant, appliquer la même recette que dans le premier opus. L'œuvre se présente comme une gigantesque tapisserie comique où les gags s'enchaînent à une vitesse incroyable et où le bon goût n'est pas toujours de rigueur. De l'utilisation délirante de la musique lorsque la Bonne Fée se lance dans une reprise de Bonnie Tyler, Holding out for a hero, ou encore lorsque Donkey et le Chat Potté se déhanchent pour clore le film sur Livin' la vida loca, de Ricky Martin, aux situations et chutes inattendues liées aux caractéristiques physiques ou psychologiques des personnages, les réalisateurs ne laissent aucune trêve aux spectateurs. Décalé et délicieusement parodique (Spider-Man, Mission : Impossible, Alien, les grands classiques de Disney…), Shrek 2 offre sur 90min un festival de fous rires ininterrompus. Malheureusement, il semble désormais impossible d'échapper à l'humour scatologique qui nous a envahi depuis Mary à tout prix, des frères Farrelly. Pets et rots sont de la partie (avouons cependant que le contexte s'y prête), mais est-il nécessaire aujourd'hui de faire des bruits incongrus pour faire rire ?


I Need a hero…
Couplée à cette narration déjantée, la re-présentation des personnages se fait au moyen de vignettes, de clichés, qui reprennent la suite immédiate du premier film : le mariage des deux « monstres ». Fiona, Shrek, Donkey, mais aussi le loup, Pinocchio, l'homme en pain d'épices et le Miroir sont de retour et n'ont donc plus besoin de présentation. Le faible temps gagné est alors consacré aux incroyables nouveaux protagonistes (la Bonne Fée, le prince Charmant, le Chat Potté…) qui, à travers l'utilisation de stéréotypes modernes, sont exhibés comme des figures victimes de leur légende. Le prince Charmant pourrait faire de la publicité pour une célèbre marque de shampoing, le Chat Potté est immédiatement assimilé à un Zorro moderne… Ainsi les présentations faites sous forme d'images contemporaines et parodiques s'offrent-elles plus comme des gags et moins comme des « expositions ».


Le temps, le rythme, se montrent alors comme les éléments moteurs du film. Paradoxalement, cette construction syncopée met en lumière le défaut majeur de l'œuvre : le « fond ». Le scénario, bien que sympathiquement ficelé, manque un peu d'épaisseur et semble, par moment, passé au second plan. Rien de bien dramatique puisque le but du film est clair : faire rire toutes les trente secondes. Néanmoins, là où les studios Pixar utilisent l'humour par pointes, Shrek 2 fait de ses gags le moteur narratif. Si Shrek premier du nom utilisait un schéma structurel inspiré des contes (tels qu'ont pu les présenter Vladimir Propp ou encore A.J Greimas), ce nouvel opus imagine les conséquences liées au désordre laissé en suspens par le premier volume. En épousant Fiona, Shrek ignore les effets et les « déséquilibres » qui vont découler de ses actes à travers tout le royaume des contes de fées. Le prince Charmant est célibataire, ce qui désole sa mère, la belle-famille du monstre se remet difficilement de ce surprenant mariage, et la fin traditionnelle (« Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants ») est mise de côté en attendant le dénouement de cette nouvelle folie.


Livin' la vida loca
Le scandale du film arrive par l'ogre, qui pourrait faire la une de la presse spécialisée du royaume Fort, Fort Lointain. C'est un des sujets du film qui est ici mis en avant : l'aspect superficiel des stars. Shrek 2 est une douce satire qui cite clairement Hollywood comme une société imaginaire, où vivent des légendes et figures emblématiques inaccessibles, comme ces figures de contes. Les stars féminines sont des princesses à secourir, les hommes sont des princes charmants ou des crapauds que l'amour peut transformer, les sentiments ne tiennent qu'à un baiser ou à une potion magique, et chaque soirée de gala se transforme en montée des marches où le tapis rouge et les paparazzis sont de rigueur.


Plus encore, c'est au travers de ce monde de perfection que le film trouve sa voie. Il y est question d'image, de soi, des autres, de celle que l'on donne, de celle que l'on voudrait donner, de celle que l'on reçoit… Shrek 2 est un film sur les apparences. C'est une belle leçon qui est véhiculée, même si elle reste secondaire face à la déferlante de gags. L'aspect monstrueux du couple est au centre des discordes. Si l'ogre est en permanence comparé au prince charmant, si l'ogresse, ex-belle princesse, est reniée au départ par sa famille, si l'âne Donkey se rêve étalon, c'est avant tout parce qu'au royaume des histoires magiques les personnages moches sont méchants et que les gentils sont tous beaux. La dictature de la beauté est au centre du film et lui donne sa « profondeur ». La satire s'impose…


Techniquement, le film est très bon. Les idées graphiques sont puissantes, originales et les textures sont très réalistes. Les codes couleurs sont parfaits, allant des teintes terre, ocres et vertes pour le marais des ogres, à des colorations chaudes et soutenues en alternance avec des tons pastel pour le royaume de Fort, Fort Lointain qui rappellent les décors d'un parc d'attractions célèbre et l'univers fantasmé des royaumes enchantés. Mike Meyers, Cameron Diaz et Eddie Murphy reviennent donner vie à leurs personnages respectifs, et la galerie des protagonistes s'enrichit des performances vocales de Julie Andrews (la reine Lillian), John Cleese (le roi Harold), Rupert Everett (le prince Charmant), Antonio Banderas (le Chat Potté), et surtout Jennifer Saunders en exubérante Bonne Fée. La qualité du doublage est probablement l'élément déterminant du succès de ce film. Le choix des voix est pertinent et les interprétations offertes sont de grande qualité.


Le film est une réussite et son succès commercial et critique montre la place que commence à s'octroyer l'animation 3D. Même si c'est au détriment des anciennes techniques d'animation, les films infographiques arrivent à trouver leur place sur le marché cinématographique actuel. Si Pixar avait ouvert la voie, Dreamworks / PDI ne compte pas se laisser distancer. Plus encore qu'un succès d'estime, le film est une réussite artistique grâce à ses qualités visuelles, narratives et son ton « irrévérencieux » et cruel qui vise, majoritairement, les adultes.

Résumé

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