Invisible Man : critique sans l'ombre d'un doute

Geoffrey Crété | 22 janvier 2023 - MAJ : 24/01/2023 17:10
Geoffrey Crété | 22 janvier 2023 - MAJ : 24/01/2023 17:10

Après un siècle d'adaptation, le roman de H.G. Wells L'Homme invisible, publié en 1897, continue à vivre. Blumhouse, la société de production derrière des films de genre aussi divers que Paranormal Activity, Get Out et Glass, relance donc la machine à frissons avec Invisible Man, où Elisabeth Moss est hantée par un homme déterminé à ne pas la perdre, quitte à transformer sa vie en enfer. C'est Leigh Whannell (réalisateur d'Upgrade et Insidious : Chapitre 3, co-scénariste de Saw et Insidious) qui se charge de cette modernisation.

UNIVERSAL MOSS-TER

Invisible Man est le résultat d'une étrange équation. Il y a le roman de H.G. Wells qui a donné des dizaines d'adaptations notamment au cinéma, du culte L'Homme invisible de James Whale en 1933 au mal-aimé Hollow Man de Paul Verhoeven en 2000. Il y a le studio Universal, qui voulait relancer la galerie des Universal Monsters avec un univers étendu de blockbusters, mais a tout enterré et notamment un nouvel homme invisible incarné par Johnny Depp, suite au non-succès de La Momie. Enfin, il y a Blumhouse Productions, usine à films de genre à petit budget et maxi bénéfice.

La rencontre entre les trois était propice à un énième petit film d'horreur sans saveur, pompe à fric programmée pour amadouer un large public avec une formule aussi basique que celle de Nightmare Island, pour citer le dernier Blumhouse en date. La première belle surprise est donc là : Invisible Man n'a rien d'un film transparent, fruit d'un générateur automatique de scènes et idées. Leigh Whannell a une véritable histoire à raconter, qui est d'abord celle d'un personnage avant d'être celle des dollars.

En axant son film non pas sur l'homme invisible lui-même, mais le personnage d'Elisabeth Moss, pour finalement raconter un thriller dramatique tendue plus qu'un film d'horreur classique, le réalisateur et scénariste évite les pièges de la redite, de la débauche d'effets spéciaux et du produit photocopié sans aucune personnalité.

 

photo, Elisabeth MossInvisible Man, mais visible malaise

 

MAD MAN

L'introduction sèche et tendue, brillamment mise en scène, est plus qu'évocatrice : avant même d'être invisible, cet homme est déjà une menace diffuse, opaque, omniprésente, comme un prédateur capable de bondir de l'obscurité ou peser sur un territoire a priori vide. C'est là toute l'intelligence d'Invisible Man, qui utilise le motif de l'invisibilité pour mettre en scène la lente dérive d'une femme traumatisée et maltraitée. Si elle arrive à croire à cet homme invisible, c'est parce qu'elle vit déjà dans la terreur perpétuelle de cette présence, imprimée dans son esprit. Elle est hantée par cet homme.

Le masculin toxique a déjà été exploité dans les adaptations plus ou moins libres de H.G. Wells, et particulièrement dans Hollow Man, mais Invisible Man a un angle d'attaque précis. Ici, l'invisible n'est pas un homme qui glisse plus ou moins malgré lui vers l'inhumain, consumé par ce pouvoir dont il est finalement victime. C'est un pur psychopathe, en pleine maîtrise de lui-même, de son monde et de cette faculté. Cette bascule de point de vue, qui sera probablement bêtement réduite à l'ère MeToo, était la meilleure décision possible vu la somme de variations sur le sujet.

C'est cette idée qui dirige tout le film, et impose le tempo dramatique tout en servant de moteur à suspense. La peur n'est pas celle de l'étranger, de l'inconnu, mais au contraire celle d'un mal et mâle bien trop familier et intime pour ne pas être parfaitement crédible pour l'héroïne. Leigh Whannel exploite ce principe dans sa mise en scène qui, dans un premier temps, repose moins sur l'apparition de l'homme invisible via les effets habituels. Le réalisateur étire les plans, dilate le temps, et confronte son personnage et son spectateur au malaise et au doute face à un décor a priori vide. Un couloir, une chambre, un salon deviennent alors des pages blanches, où s'écrit l'angoisse contagieuse de cette femme.

 

photo, Elisabeth Moss"Je ne suis pas folle, vous savez"

 

À COUTEAUX TIRÉS

En ça, Invisible Man refuse les effets les plus grossiers du genre, préférant le silence aux effets sonores, la fausse tranquillité au surdécoupage spectaculaire, et la tension discrète aux jumpscares appuyés. L'énergie brutale de son Upgrade se retrouve dans une scène ou deux, mais Leigh Whannel adopte ici une approche beaucoup plus glaciale, laissant la force de son récit et son actrice (Elisabeth Moss, sans surprise excellente) mener la danse.

La puissance de certaines scènes n'en sera que plus belle, ressortant avec une certaine fureur dans ce cauchemar insidieux et faussement calme. L'horreur prend la forme d'un choc électrique dans un grenier, une chambre ou un lieu public, provoquant une déflagration de violence physique ou psychologique que l'héroïne subit autant que le spectateur. Le réalisateur joue avec intelligence des attentes de l'amateur de genre et des effets de surprise, lesquels ne reposent pas uniquement sur les effets classiques.

Dans ces moments, le sens du découpage et de la mise en scène de Leigh Whannell est imparable. Nul besoin d'appuyer sur une apparition ou un accès de violence avec une musique sensationnelle ou un montage qui s'accélère : entre une image trop courte pour ne pas laisser l'imaginaire dériver et la panique prendre le dessus, et une autre trop longue pour ne pas obliger à affronter l'horreur dans toute sa puissance, le cinéaste prouve définitivement sa valeur. Insidious : Chapitre 3 n'avait rien de honteux, Upgrade avait séduit par sa violence ludique, mais Invisible Man est un film de la maturité.

 

photo, Elisabeth MossArme et larme du crime

 

LA POURSUITE INFERNALE

Mais Invisible Man a beau commencer sur les chapeaux de roue, et se tenir durant une première partie très solide, il dérive au fil de l'intrigue. C'est particulièrement évident dans la dernière ligne droite, qui se découpe quasiment en trois climax entrecoupés d'ellipses plus ou moins longues. La narration, jusque là très limpide, se perd dans un enchaînement de péripéties, affrontements, poursuites et explications qui semblent obéir à un tout autre schéma.

Le film semble non seulement trop long pour son propre bien (deux bonnes heures), mais souffre d'un certain déséquilibre dans son dernier acte. D'interminables minutes sont passées sur un parking pluvieux pour une nouvelle confrontation dispensable, quand le vrai et ultime climax est traité étrangement vite vu les enjeux, et la valeur de la scène pour l'héroïne. Plusieurs images et motifs sont répétés, parfois au sein de la même scène ; parfois pour faire sens, parfois pour offrir une dose facile d'action et frissons. Si Leigh Whannell semble d'abord en pleine maîtrise de son récit, l'identité du film se dilue à mesure que la résolution approche, poussant Invisible Man dans des endroits plus attendus.

 

photo, Elisabeth MossFollow Man

 

La fin illustre bien cette problématique. Elle est logique pour l'héroïne et cette thématique, mais difficile de ne pas regretter les effets trop appuyés, dans la mise en scène, l'écriture et même le jeu d'Elisabeth Moss. Jusque là au service de l'histoire, le spectacle semble alors avoir définitivement pris le pas sur le reste, dans un ultime mouvement qui paraît bien grossier comparé au reste.

Invisible Man commence fort et aura malheureusement bien du mal à tenir le cap, la faute notamment à quelques choix scénaristiques hasardeux. Pas de quoi y voir un ratage, mais simplement une occasion en partie manquée vu les talents réunis et le sujet passionnant.

 

Affiche française

Résumé

L'homme invisible est de retour pour la énième fois, mais Invisible Man a quelque chose à raconter : c'est toute la force du film, qui attaque le sujet avec intelligence et savoir-faire, pour autopsier une horreur plus intime que spectaculaire. Le talent d'Elisabeth Moss et une poignée de scènes marquantes feront oublier un dernier acte bancal et plus classique.

Autre avis Simon Riaux
Le film de Leigh Whannell ne manque pas d'idées, et a l'intelligence d'aborder son sujet avec sérieux et sincérité. Malheureusement le film bégaie trop souvent, et a parfois du mal à traduire ses bons concepts en séquences fortes, jusqu'à un dernier acte pas loin du hors piste.
Autre avis Alexandre Janowiak
Relecture pertinente du mythe de Wells, Invisible Man réussit brillamment à transformer une menace fantastique légendaire en une horreur bien réelle et terrifiante. En résulte, une oeuvre anxiogène, profonde et palpitante décuplée par la savante précision de Whannell et la performance hallucinante de Moss.
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Lecteurs

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commentaires
Pierre. B
23/01/2023 à 15:05

Bon film dans l'ensemble. Mais, attention, soyez attentif au dénouement à la fin du film. Pierre

Flo
23/01/2023 à 13:41

"Dans l'ombre, sans doute"...

Ça part un peu trop dans diverses directions pour être suffisamment homogène :
Le film Surnaturel de hantise – fausse piste assez insistante…
Le film d’Homme Invisible criminel, donc un peu plus SF, Thriller et ludique…
Et le film de harcèlement machiste, Thriller dramatique angoissant surtout… Mais pas très compatible avec le barnum Action/Effets Spéciaux/intrigue à rebondissements peu subtils.

Les bons moments de suspense à mèche longue, jouant sur le cadre (et ce qui est censé être présent au centre) et sans sursauts de peur, perdent de leur efficacité dès lors que le film ne perd pas de temps à démontrer que tout est bien réel, et que ça va cogner… avec une force limite surhumaine, sortie de nulle part.
Ne reste plus qu’à attendre de voir d’où ça va taper, et comment un pervers narcissique va avoir que ça à faire que de jouer à un cache-cache aussi cruel que débile…
Et à voir Elizabeth Moss faire comme d’habitude depuis des années : une femme qui encaisse salement, perd une partie de son âme, puis qui rend violemment coup pour coup. N’étant pas une actrice à la photogénie très glamour, elle en devient bien trop prévisible.
Tout à sa gloire, les acteurs secondaires étant tous dénués de caractérisation (Adrian n’est pas identifié publiquement comme un riche mégalo fantasque, le pote flic et sa fille ne sont que faire-valoirs rassurants). Et tous… transparents (petite prod à l’Américaine).

Dommage, car dès lors qu’une femme (victime) est au centre de ce type d’intrigue, il aurait été intéressant de jouer directement sur l’idée d’une femme invisibilisée. Surtout quand une des quelques scènes incohérentes (trouver une preuve flagrante mais ne pas l’emporter, ni l’utiliser tout de suite soi-même – avec quelques ajustements) nous fait fantasmer sur un duel d’invisibles qui aurait été bien ardu.

Morcar
23/01/2023 à 10:05

Je l'ai regardé d'un œil hier soir. De ce que j'en ai vu, c'était une réinvention plutôt maline de l'idée, mais ça m'a paru un peu trop trainer quand même, et trop multiplier les retournements sur la fin.

Flash
22/01/2023 à 21:13

Efficace et malin, un bon petit film.

Pat Rick
27/05/2022 à 20:05

Trop long et sans aucune tension, et Elisabeth Moss est trop fade pour un premier rôle.

Gregdevil
14/01/2022 à 18:47

Pas mal de bonnes idée, une mise en scène soigné, quelque moment bien tendu. Hélas le film fini en pétard mouillé dans son dernier tiers.
Dommage

Max54
22/06/2020 à 14:58

Film avec de bonne idées et notamment le mec qui assume pleinement ses actes et non vivre ça comme une malédiction comme dans les autres films. Mais malheureusement on se fait chier tout le long !!! Mis à part la dernière demi-heure c'est long, c'est chiant et en plus il n'y à aucune surprise grâce aux bandes-annonce... Donc au final film trés trés moyen.

Kelso
22/06/2020 à 12:32

J'ai pas accroché et j'ai été péniblement au bout, je l'ai trouvé très long et lent, faut pas le regarder si vous êtes fatigués sinon vous risquez de vous endormir, pour moi c'est une déception, ce film manque vraiment de punch.


22/06/2020 à 11:46

Kouac tu m'as tué mdr

Kouak
22/06/2020 à 11:16

Bonjour,
J'ai bien apprécié...
Mais, franchement, elle aurait acheté une vision infra-rouge chez Amazon et c'était réglé...
De plus ,en Prime , elle aurait pu l'avoir dans la journée... ;-)
Bref...

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