L'Heure de la sortie : critique des enfants de l'angoisse
Révélé avec Irréprochable, étonnant thriller avec Marina Foïs, Sébastien Marnier s'enfonce plus clairement dans les contrées du cinéma de genre avec L'Heure de la sortie : une sombre histoire où Laurent Lafitte rencontre une poignée d'élèves aussi surdoués qu'étranges, et qui éveillent en lui de profondes angoisses.
JEUX D'ENFANTS
Sous ses airs de petit thriller sommaire, Irréprochable (l'une des belles surprise de 2016) avait de quoi annoncer quelque chose de très enthousiasmant : l'éclosion d'un cinéaste qui maniait les genres, les couleurs, la musique, avec une sensibilité et une énergie peu ordinaires en France. L'Heure de la sortie est le deuxième film de Sébastien Marnier, et c'est une confirmation.
C'est encore dans un décor terre-à-terre que son univers s'installe : celui d'un chic collège privé, où Pierre Hoffman (Laurent Lafitte) arrive pour remplacer un professeur de français qui s'est jeté par la fenêtre en plein cours. Une mission a priori simple, sauf qu'il tombe sur un groupe d'élèves aussi surdoués qu'étranges. Ils cachent quelque chose, et Pierre est déterminé à percer leur mystère, qui envahit peu à peu sa vie et son monde.
A la lisière du film de genre, L'Heure de la sortie flirte avec la peur, l'angoisse et le fantastique, et confronte le monde des adultes à celui des enfants dans un cocktail étonnant, qui dénote dans le paysage français.
SMELLS LIKE TEEN SPIRIT
Si L'Heure de la sortie commence au milieu de décors classiques (une salle de classe, une cour d'école, un appartement, des sentiers de forêt), c'est pour mieux glisser peu à peu vers l'angoisse, et le trouble. Sébastien Marnier revendique une volonté (voire une nécessité) de brouiller les frontières entre les genres, et les adolescents au centre de l'histoire soulèvent vite bien des questions.
Capacités paranormales ? Paranoïa grandissante ? Etres hors-normes ou simples gamins en pleine crise ? Entre ce professeur trop propre sur lui et ces adolescents trop malins pour être honnêtes, le film hésite, oscille, et refuse de trancher trop vite. Le spectateur est ainsi amené sur une pente glissante, constamment sur le qui-vive, prêt à capter le moindre signal qui pourra indiquer quelle forme ce cauchemar presque ordinaire prendra.
A mesure que l'inquiétante étrangeté grandit et s'infiltre, comme les cafards dans l'appartement du héros, c'est tout le tissu de cette réalité a priori banale qui se déchire lentement. Et le spectateur, guidé de loin, se retrouve alors en territoire trouble. Sébastien Marnier se montre plus sobre que dans Irréprochable, qui baignait dans une atmosphère rétro-pop, mais hormis quelques effets trop appuyés, il maîtrise son récit et dirige l'ambiance avec brio.
#NOTURFU
Mais ce qui donne de l'ampleur à l'angoisse qui émane de L'Heure de la sortie, c'est le sens qu'elle a. Ce qui anime cette jeunesse faussement dorée, c'est la peur du futur, la fragilité du monde, et la violence qui secoue la société autour d'eux. Ce qui se joue derrière la peur, c'est le vertige d'un gouffre générationnel devenu un mur infranchissable. Si ces adolescents sont perçus comme des aliens par les professeurs, c'est parce qu'ils ont tout d'une autre espèce à leurs yeux.
A mesure que le film avance, c'est tout un rapport à l'autre, à la nature, à la politique, à la société, à la vie et à la mort qui est mis en scène, non pas dans un film-discours, mais dans le cadre malin d'un film de genre. Luàna Bajrami, Adèle Castillon, Victor Bonnel, Léopold Buchsbaum, Matteo Perez et Thomas Guy forment un petit groupe particulièrement flippant, et dans la majorité des scènes, cette curieuse meute qui semble venir d'ailleurs est très réussie.
Premiers de la classe et de l'angoisse
Et s'il grossit parfois trop le trait (notamment dans les fameuses vidéos secrètes), Sébastien Marnier enfonce définitivement le clou dans sa toute dernière scène, profession de foi glaçante et écrasante, qui renvoie par sa noirceur et sa mélancolie à Take Shelter. C'est avec ce dernier coup qu'il referme son film, et lui donne sa couleur ultime. Après environ 1h40 à alimenter les interrogations et jouer sur plusieurs tableaux, c'est une dernière image qui permet au film de prendre sa forme définitive - et définitivement en faire une deuxième réalisation enthousiasmante et riche.
Lecteurs
(3.5)24/11/2019 à 23:18
A noter, deux "cover" de Patty Smith versions "chorale" vraiment chouettes.
05/08/2019 à 13:20
Vu hier, très intéressant et prenant.
Laurent Lafitte toujours très bien !
Par contre pourquoi le prof de français se suicide au début : harcèlement des surdoués ? Coïncidence ? Il se rend compte aussi qu'on vit dans un monde pourri et devient comme eux ?
Et aussi qui harcele Lafitte sur son tel, c'est bien la proviseure ou c'était un rêve ?
Merci !
15/01/2019 à 22:52
Merci pour cette critique. J'ai trouvé le film vraiment réussi. Je trouve même qu'il a des ressemblances (thématiques et esthétiques) avec Simon Werner a disparu.
Par contre au début le suicide du prof, après lecture du film, me semble un peu sous employé :
quel était son motif (découverte du secret des enfant ou autres ?) et que devient ce prof (toujours dans le coma), car on l'oublie un peu quand même !
02/01/2019 à 14:16
@Teemo1977
Le 9 janvier, comme écrit dans l'intro ;)
28/12/2018 à 19:37
Merci la rédaction...
Au moins son visage vu dans des comédies ne dénote pas c est cool
28/12/2018 à 13:07
Il sort quand?
28/12/2018 à 12:49
@saiyuk
Laurent Lafitte est bien et juste. Après, il ne ressort pas particulièrement, ce sont plutôt les enfants qui ont les beaux rôles bizarres.
28/12/2018 à 12:25
Pour ceux qui l'ont vu et donc la redaction d'EL aussi : Que vaut Laurent Laffite dans le film ? j'ai pas vu tout ses films mais je l'aime bien cet acteur...
18/12/2018 à 00:18
@Olric
Tout à fait. On reviendra sur tout ça dans un dossier prochainement ;)
18/12/2018 à 00:06
Comment ne pas penser au Village des Damnés de Wolf Rilla en lisant ceci...