The Handmaid’s Tale : entre Les Fils de l'homme et 1984, une géniale série de science-fiction à ne pas manquer

Geoffrey Crété | 18 juin 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Geoffrey Crété | 18 juin 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

En une première saison de 10 épisodes, The Handmaid's Tale a offert l'une des séries les plus terrifiantes de ces dernières années.

Derrière le titre énigmatique The Handmaid's Tale, il y a le cauchemar imaginé par Margaret Atwood dans son livre La Servante écarlate en 1985 : une Amérique stérile et totalitaire, réorganisée autour de la religion afin de régir les relations entre les hommes et les femmes. Les hommes ont le pouvoir, et les femmes sont classées selon leur fonction primaire. La plus importante : les Servantes, seules femmes fécondes, dont l'existence est alors dédiée à la reproduction.

Le pitch est indéniablement fort et féroce, avec un discours féministe violent qui a encore une valeur certaine en 2017. Et la série, diffusée sur Hulu (la chaîne derrière The Path, The Mindy Project) et créée par Bruce Miller, avec notamment Elisabeth Moss (Mad Men) dans le premier rôle, est à la hauteur du pari très ambitieux.

 

Photo

 "Suis la route de robe rouges Dorothy"

 

BIENVENUE À GATTACA GILEAD

Le pourquoi et le comment importent peu. Terrorisme, guerre, crise économique, cirque politicien : l'Amérique était affaiblie. Une catastrophe biologique a définitivement mis l'oncle Sam à terre en rendant une grande partie de la population stérile. La natalité en chute libre et la peur de l'Autre ont ouvert un boulevard à un groupe d'intégristes chrétiens, qui a renversé le pouvoir pour instaurer une dictature appelée la nouvelle République de Gilead.

Dans cette société dirigée par les hommes, les femmes perdent leurs droits - de travailler, de lire, de posséder. Leur rang social est notamment déterminé par leur âge et leur corps : entre la classe féminine dominante des Épouses et toutes les inutiles envoyées pour travailler dans les Colonies toxiques, il y a les Marthas qui gèrent les tâches ménagères et surtout les précieuses Servantes.

Leur chance est devenue une malédiction : épargnées par l'infertilité, elles sont devenues des utérus publics, passant de couple en couple pour être fécondées par le mari afin de leur offrir un bébé. Puis, une nouvelle famille, un nouveau bébé. Aimées et détestées, chéries et maltraitées, ces Servantes écarlates, reconnaissables grâce à leurs vêtements rouges, sont le cœur de Gilead. Un cœur brisé, violenté, violé, torturé, qui menace d'imploser.

  

 

VERY MAD MEN 

Le cauchemar est déjà bien en place lorsque la série commence. Contrairement au livre de Margaret Atwood, qui place d'abord le coup d'Etat et le meurtre du président des Etats-Unis, The Handmaid's Tale  s'attache dès ses premières minutes à June, l'héroïne interprétée par Elisabeth Moss. Arrêtée, séparée de sa fille et son mari, formée pour être une parfaite Servante, elle arrive dans une nouvelle maison auprès d'un commandant (Joseph Fiennes) et son épouse, Serena Joy (Yvonne Strahovski).

Elle devient alors Offred (littéralement "à Fred", selon le prénom de son propriétaire), précieuse prisonnière de cette société malade. Révélée dans Mad Men, Elisabeth Moss a depuis brillé sur le petit (Top of the Lake) ou sur le grand écran (The One I Love, la Palme d'or The Square). En Servante écarlate, l'actrice est simplement grandiose. 

 

Photo Elisabeth Moss

Elisabeth Moss : Peggy de Mad Men est bien loin 

 

The Handmaid's Tale frappe dès ses premiers instants par sa mise en scène précise, sa musique entêtante (signée Adam Taylor), sa lumière soignée. Il n'y a pas de grand nom prestigieux derrière la création de Bruce Miller (producteur et scénariste passé sur Les 100 et Eureka), réalisée notamment par Reed Morano (Meadowland, avec Olivia Wilde), mais la série brille par sa direction artistique forte et claire, d'une cohérence puissante. 

Avec ses costumes qui créent un décalage fort avec l'époque, la construction picturale de certaines scènes et la voix off de l'héroïne (tour à tour poétique et spontanée) qui berce les épisodes, The Handmaid's Tale installe d'emblée un monde incroyable, absolument fascinant et captivant. Quelques ruptures de ton assez folles, avec notamment l'utilisation de morceaux comme Don't You (Forget About Me) de Simple Minds, imposent par ailleurs un style certain.

 

Photo Alexis Bledel, Elisabeth Moss

 

LES BELLES ET LES BÊTES 

1984, Les Fils de l'homme ou Fahrenheit 451 : adapté au cinéma en 1990 par Volker Schlöndorff avec notamment Faye Dunaway, The Handmaid's Tale rappelle de nombreux classiques de science-fiction. Mais cette dystopie a un valeur particulière parce qu'elle s'attaque frontalement à la place de la femme dans la société. L'écrivain Margaret Atwood ne prenait aucun détour pour décrire les pires dérives de l'Homme, et assurait à l'époque n'avoir rien inventé : "Je n'ai rien dit que nous n'ayons jamais fait, que nous ne faisons déjà, que nous n'essayons de faire, ou qui ne sont pas dans l'air du temps. Donc toutes ces choses sont réelles, et la proportion de pure invention est proche de zéro". Connue pour sa précision, Atwood avait pour habitude de rassembler des coupures de presse pour fournir des preuves à celui qui doutait de ses mots.

En 2017, la place de la religion sur la scène géopolitique reste centrale, et la question du sexisme occupe les esprits - depuis Hollywood et ses discussions sur les inégalités, aux nombreux pays où les femmes sont encore privées de droits élémentaires. The Handmaid's Tale reste donc d'une pertinence réelle. Et c'est parce qu'elle refuse de distribuer les rôles de manière manichéenne et mécanique que la série est d'une intelligence certaine.

 

Photo Yvonne Strahovski

Yvonne Strahovski, bien connue des fans de Chuck, dans un rôle excellent

 

Le traitement des personnages de Serena Joy et tante Lydia est à ce titre très significatif. La première, interprétée par Yvonne Strahovski, gagne une dimension fascinante au fil des épisodes, devenant tour à tour touchante, pathétique, effrayante et minable. La deuxième, incarnée par la formidable Ann Dowd qui retrouve un second rôle très fort après The Leftovers, sera dessinée par petites touches, devenant une figure bien plus intéressante que l'ogresse horrible qu'elle est en surface. Même chose pour Janine (Madeline Brewer), qui offre contre toute attente l'un des arcs les plus étonnants et violents, loin d'être aussi simples que ses premières apparitions.

La manière qu'a The Handmaid's Tale de nuancer les personnages et offrir une profondeur réelle aux figures les plus noires va de pair avec l'intelligence d'un récit qui refuse de simplement opposer les bons et les méchants. Dans ce décor classique de dictature monstrueuse, il n'y finalement que des prisonniers - de son sexe, de son rang, de ses propres idéaux et lois.

La question du féminin est au cœur de l'histoire, mais la série ne désigne par les hommes comme les uniques coupables pour déballer un discours simpliste : en faisant des femmes leurs propres bourreaux, le livre de Margaret Atwood avait une force saisissante, questionnant autant les rapports entre les deux sexes que les questions de pouvoir et de lutte quasi fratricide. The Handmaid's Tale traite cet aspect avec un talent véritable.

 

Phoot Ann Dowd

Ann Dowd, révélée dans Compliance, confirme à nouveau son talent après The Leftovers

 

LE SEXE FAIBLE

Que les personnages masculins se révèlent être une éventuelle faiblesse de la série est presque de circonstance. L'épisode 7 marque ainsi une étape importante dans la saison, en ouvrant l'univers et en installant de nouveaux enjeux. L'épisode 8 continue sur la lancée, avec une intrigue pseudo-amoureuse uniquement convaincante dans ce qu'elle raconte de June.

Ces hommes remis au premier plan (Nick, Luke, sans oublier le commandant interprété par Joseph Fiennes) semblent presque encombrants tant la série repose sur l'enfermement de l'héroïne, et la sensation que le monde se résumait à ces rues, ce supermarché, cette maison. Le temps de quelques épisodes, quelques détours, quelques ficelles un peu grossières, The Handmaid's Tale perd se sa force.

 

Photo Alexis Bledel

Alexis Bledel (Gilmore Girls) dans un second rôle marquant

 

Mais ces quelques baisses de régime et troubles ne viennent en rien entâcher la force folle de l'ensemble. Il suffit d'une pendaison effroyable, d'une flashback glaçant ou d'un monologue déchirant d'Elisabeth Moss qui ose dire la vérité à une politicienne venue d'Amérique du sud ("Ne soyez pas désolée. Faîtes quelque chose."), pour que The Handmaid's Tale retrouve sa puissance. Ou d'une mention du terrorisme qui a poussé le peuple à digérer un recul des libertés et d'un dialogue qui n'a rien de science-fictionnel ("Elles se concentrent tellement sur leurs études et leurs ambitions professionnelles, qu'elles en ont oublié leur vraie but", "On voulait rendre le monde meilleur. Meilleur ne veut jamais dire meilleur pour tout le monde. Ca veut toujours dire pire pour certains" ), pour trembler face au miroir tendu par l'histoire. 

Toute ressemblance avec le monde de 2017 n'est pas fortuite. The Handmaid's Tale  est une fable follement fascinante qui, dans la plus pure tradition de la noble science-fiction, dessine un portrait terrifiant de notre réalité. Que le casting soit irréprochable (avec notamment les excellentes Alexis Bledel et Samira Wiley d'Orange is the New Black), la mise en scène particulièrement soignée et l'écriture, très fine, ne signifie qu'une chose : l'adaptation télévisée de La Servante écarlate est une réussite, à ne surtout pas manquer.

The Handmaid's Tale sera diffusé le 27 juin sur OCS Max en France.

 

Affiche

 

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Tout savoir sur The Handmaid’s Tale

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commentaires
JJ
02/07/2017 à 18:29

Il m'a fallu presque une semaine pour me remettre du premier épisode avant de regarder le reste, mais aucun regret. Cette série nous fait comprendre à quels points nos droits les plus élémentaires sont importants et en même temps très fragiles. C'est poignant, troublant et captivant à la fois ! A voir absolument !!!

Looker
18/06/2017 à 22:30

Un must-see!
Moss monte en puissance d'une manière assez affolante..
Vivement la saison 2 de Top of the lake.....................................!!!!