Game of Thrones : comment la série s'est métamorphosée en 6 saisons dantesques

Jacques-Henry Poucave | 1 juillet 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Jacques-Henry Poucave | 1 juillet 2016 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Lancée en grande pompe en 2011, Game of Thrones aura connu un succès rapide, avant de se muer en véritable phénomène culturel international. Pourtant, si la réussite de la série est indiscutable et ses fans toujours plus nombreux, elle s’est complètement transformée.

En apparence, Game of Thrones est toujours Game of Thrones. Des jeux de pouvoir impitoyables, des complots, des accès de violence, des batailles, de l’amour et des trahisons, la série de HBO semble avoir conservé l’ADN qui fit sa gloire. En réalité il n’en est rien, et si l’objet de cet article n’est pas de faire le procès de la série, essayons de comprendre comment le show de HBO a muté en profondeur au cours de ses 6 premières saisons.

 

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DÉCONSTRUCTION MYTHIQUE

Si la littérature et le cinéma de fantasy ont su réunir un large public (ce n’est pas Peter Jackson qui dira le contraire), le genre est pourtant bien loin d’avoir achevé sa démocratisation. Si tous les spectateurs sont loin de goûter les aventures des elfes, nains et autres trolls, comme en témoignent les réactions mitigées devant Warcraft et les clichés accrochés aux amateurs du genre, nombre d’éléments qui le constituent sont parfaitement identifiés.

Qu’ils s’agissent de codes esthétiques, du bestiaire, ou tout simplement des éléments constitutifs de l’épopée, de la quête initiatique et par conséquent de toutes les grandes odyssées (de L’Iliade, en passant par la Quête du Graal jusqu’au Seigneur des Anneaux), ces ingrédients, qui infussent depuis des siècles dans l’Art, des décennies dans notre culture populaire, ont déjà été digérés. Que le public les apprécient ou les redoutent, ils fondent un tronc commun que tous ses membres ou presque partagent.

Episode 3

La première force de Game of Thrones, les romans mais aussi la série, fut donc de les piétiner, voire carrément les pulvériser. Dès le premier épisode, les notions de fidélité, de grandeur, voire même de narration sérielle explosent avec la chute de Bran de l’une des tours du château. Une intrigue qui aurait pu s’étaler sur plusieurs épisodes, à savoir la découverte d’une liaison illégitime, déraille immédiatement et scelle l’antagonisme entre Lannister et Stark, qui sera au cœur de la série.

Lorsque la saison 1 s’achève, celui que le spectateur a identifié comme le héros (ou ce qui s’en rapproche le plus), Ned Stark, est décapité, son clan dispersé et le Royaume au bord de l’implosion. Des coups de boutoir qui touchent donc à la narration habituelle des séries, plus habituées à fidéliser le spectateur en le satisfaisant qu’en le violentant, mais aussi au genre même de la fantasy.

Episode 3

 

ET LES DRAGONS BORDEL

Durant les trois premières saisons de Game of Thrones, David Benioff et DB Weiss se seront fait fort de ne pas traiter – évidemment grâce au texte de Martin – de la fantasy en alignant les clichés inhérents au genre. Le surnaturel est généralement un élément satellite, repoussé littéralement aux confins du monde de Westeros, et surtout, une présence indésirable.

Les créatures fantastiques ou pouvoirs divers sont des sources de peur, de prédation et toujours synonymes de chaos. Ceux qui considéraient le genre auquel appartient l’œuvre comme un repaire de geeks, de doux rêveurs, bref une lanterne pour débiles immatures en ont pour leur argent. Game of Thrones n’est pas là pour nous offrir du dragon-porn, mais bien mâcher, broyer les codes, puis les réinventer.

épisode 9 - Bastard Bowl

Tout simplement parce qu’à bien des égards, la série constitue une illustration fictionnelle de la philosophie que développe le philosophe britannique Hobbes dans son Leviathan. Les analyses dans ce sens sont nombreuses et s’accordent généralement sur l’idée selon laquelle en présentant un trône vacant ou ressenti comme tel après la mort du Roi Baratheon, Westeros plonge dans un état de guerre permanente.

Non pas un conflit continu mais un état dans lequel le conflit (la violence, l’affrontement, la trahison, la mort) est susceptible de toujours advenir. C’est la fameuse notion de « guerre de tous contre tous », sorte de contraire absolu du vivre-ensemble, retour à une sorte d’état de nature du politique, ou seul le plus fort survit.

C’est cette idée qui parasite le logiciel traditionnel du récit épique, et celui du récit de fantasy. Dans une narration où toutes les forces en présence se destinent à l’affrontement, il ne peut plus subsister de structure classique, celle-ci se voit perpétuellement atomisée.

épisode 9 - Bastard Bowl

 

MARIAGE SANGLANT, MARIAGE MARRANT

Ce concept va présider à Game of Thrones jusqu’à ce qui demeure l’apothéose du show, à savoir le red wedding. Dans un mouvement paradoxal, ce cliffhanger, qui va consacrer la série en tant qu’œuvre imprévisible, cruelle et audacieuse, lui apporte une renommée telle que son audience va être décuplée, la mythologie du spoiler prend totalement corps tandis que son idéologie entame une sérieuse mutation.

Alors que les Stark, que la dynamique interne du récit donne gagnants, sont sur le point de marcher sur Kings Landing, afin d’écraser les Lannister, odieux clan responsable de leurs malheurs, une vieille rancœur se révèle source d’un complot qui ensanglante à nouveau les personnages positifs, détruit leurs ambitions politiques et guerrières, en plus d’interrompre brutalement une ascension de Richard Madden, à laquelle le spectateur assiste avec passion depuis le début de la saison 1.

épisode 9 - Bastard Bowl

Ce sera probablement la dernière fois que la série aura osé prendre le public à revers et lui faire ouvertement mal. Parce qu’elle est allée tellement loin dans la décomposition du genre, parce que son succès est devenu mondial et exponentiel, Game of Thrones doit se réinventer (plusieurs personnages essentiels ont disparu) et consolider sa réussite. En apparence, rien en va changer et pourtant, plus rien ne sera jamais comme avant.

 

LE GOUT DU SANG

Un des premiers épisodes de la saison 4 témoigne de cette bascule. Il s’agit de la mort par empoisonnement de Geoffrey. Alors que jusqu’à présent, la mort violente était la sanction qu’encourait les héros se comportant légèrement, sans assumer la philosophie Hobbesienne, elle devient une punition infligée aux méchants pour satisfaire le spectateur.

Cette tendance générale va s’affirmer et monter en puissance jusqu’à la conclusion de la saison 6. Ainsi, Jon Snow a été sauvé, The Hound est revenu  symboliquement d’entre les morts, les conjurés du Red Wedding tombent les uns après les autres, tandis que les Lannisters paraissent désormais maudits, après que les scénaristes aient fauchés la quasi-intégralité de la famille.

épisode 9 - Bastard Bowl

La dimension fantasy du show a retrouvé aussi sa logique originelle et est pourvoyeuse de sensations fortes. Un géant écrase un fantassin, des dragons grillent des soldats, des hordes de zombies affrontent la Garde de Nuit… On retrouve la dimension spectaculaire et mythologique telle qu’on l’entend habituellement dans ce domaine.

En substance, Game of Thrones aura surpris le public à ses débuts, réservant ses moments de gloire à des dialogues aussi brillants que le formidable échange entre Tyrion et Jon Snow en route pour rejoindre la Garde de Nuit (« L’esprit a besoin de livres comme l’épée a besoin d’une pierre à aiguiser. C’est pourquoi je lis tant Jon Snow ») pour basculer dans une logique de spectacle classique.

En témoigne d’ailleurs la place désormais réservée à Tyrion, devenu un figurant de luxe, tandis que les batailles autrefois reléguées au hors-champ sont désormais le cœur de la série, comme en témoignent celles des trois dernières saisons.

épisode 9 Bastard Bowl

Après la déstructuration du Red Wedding, Game of Thrones avait simultanément réuni un public immense, aiguisé la curiosité de milliers de spectateurs potentiels supplémentaires, mais achevé de détruire les codes de la fantasy.

Plus d’autres choix donc que de retrouver des rails plus conventionnels, ceux de l’aventure, de la lutte entre le bien et le mal. Ainsi, la mort la plus barbare de la saison 6 n’aura pas été celle d’un personnage aimé, et n’aura absolument pas constitué une surprise, puisque c’est l’horrible Ramsay qui aura fini en boulettes.

 

épisode 10

IL SUFFIT QUE TOUT CHANGE POUR QUE RIEN NE CHANGE

La leçon à tirer de la « normalisation » du show est peut-être tout simplement que l’originalité, la volonté de surprendre et de transformer des codes ancestraux ne peut durer qu’un temps. Game of Thrones aura indiscutablement concouru à moderniser la représentation du genre auquel la série appartient dans l’esprit des spectateurs.

Mais pour se poursuivre et surtout pour dégager une conclusion, ses scénaristes n’auront finalement pas eu d’autres choix que de revenir à une composition plus classique. Car, à moins que HBO ne nous prépare un phénoménal coup de poker, il parait inévitable désormais que Kit Harington et Emilia Clarke ne soient réunis par une intrigue qui aura tout fait pour leur résister.

De leur union, de leur affrontement ou de ce qui s’y substituera dépendra la signature et l’héritage de Game of Thrones, série remuante, dévorée et/ou assagie par son ambition.

épisode 9 Bastard Bowl

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commentaires
Jacques-Henry Poucave
06/07/2016 à 12:26

@2cloo
Aucun mépris pour Martin Lawrence. Je ne le connais pas et ne vois aucune raison de le mépriser. Rigoler un peu de sa carrière remplie de nanars, par contre ça ne me pose aucun problème. Et ça n'empêche pas ceux qui prennent du plaisir devant ses films d'en prendre (voire même, d'en prendre en connaissance de cause).

A un moment, réagir constamment avec ses tripes, sans lire ce qui est écrit, sans réfléchir deux secondes ça n'amène qu'au contresens foireux. On confond le sarcasme et le mépris, l'analyse et la critique.

Par contre ça n'empêche manifestement pas de partager des rots déguisés en réflexion.

2cloo
06/07/2016 à 11:33

Et je sais pas dans quelles cercles tu traines mais cette comparaison est digne de fachos. Je n'ai jamais entendu ca...

2cloo
06/07/2016 à 10:59

@ poucave
Apparemment, je me suis emballé mais vu certains de tes articles précédents, notamment celui sur GOT et Martin Lawrence,puant le mépris à l'égard de ce dernier,c'était facile d'en arriver à cette conclusion.

Jacques-Henry Poucave
04/07/2016 à 10:08

@2cloo
Il n'y a aucun mépris dans ma formule, je n'affirme pas que le genre en question est un "repaire de geeks blablabla", mais que dans l'oeil de certains commentateurs, c'est le cas.

@Lapin Mauve
Je ne dis pas du tout que la série aurait dû s'orienter de telle ou telle manière. Je constate juste qu'elle s'est métamorphosée de l'intérieur et j'en rends compte.
D'ailleurs c'est une analyse qui peut en partie s'accorder avec les romans, je ne les ai pas mentionnés, par manque de temps et ne souhaitant pas faire de citations imprécises.

this is my movies
02/07/2016 à 19:21

ça fait quelques mois seulement que je viens sur ce site et que je suis donc par ricochet les critiques des épisodes de "Game of Thrones". Bon, autant le dire tout net, je ne suis pas tout à fait d'accord avec tout ce qui est écrit sur la série. Et par rapport à ce copieux article, regorgeant de réflexions pertinentes par ailleurs et de certaines pistes de reflexion, je dois dire que certaines m'interpellent. Et notamment le dénouement de la série qui serait cousu fil blanc entre Snow et Daenarys. Mais au fond, n'est-ce pas l'intention de l'auteur des romans depuis le début, nous narrer l'arrivée au pouvoir de ces 2 jeunes loups, les futurs souverains de Westeros ? Car après tout, le titre original des romans est le suivant "A song of Ice and Fire". Ice & Fire... Stark et Thaergeryen !

Je pense qu'il est compliqué de juger une série épisode par épisode, certaines intrigues trouvant leurs résolutions parfois bien plus tard et certaines péripéties anodines en apparence sont au contraire cruciales pour la cohérence (bon, pas toujours, des fois, ça sert juste à meubler). Et surtout, je pense qu'il faut prendre en compte le fait que les showrunners ont longuement discutés avec Martin en amont de la série et aussi pendant les premières saisons, du coup, ils en savent plus long que n'importe qui sur le devenir de certains persos (ce que vous prenez pour du fan service est sans doute un bon gros spoil des 2 derniers volumes à paraître).

Et concernant le "c'était mieux avant" ou "Le Wed Redding est le meilleur rebondissement de la série" ou bien "c'est nul, il n'y plus que les méchants qui meurent de façon horrible", c'est un jugement très sujectif car oui, la série ne sera jamais comme avant car elle a perdu de sa fraîcheur de nouveauté (comme une relation de couple en fait), le Red Wedding est un twist majeur mais si la série en avait fait d'autres, ça aurait fini par devenir lassant et enfin, je dois dire que j'aurai bien du mal à m'intéresser à une série où les personnages les plus malsains s'en sortent toujours (sinon, je regarde les infos).

Dernier petit point, le fait que la Sorcière Rouge soit éjectée de manière un brin cavalière par un Davos (persos que j'adore dans la série) et un Snow en apparence bien ingrat, je vous coterai une réplique d'une autre série (Jessica Jones en l’occurrence) qui veut que ce n'est pas parce qu'on a sauvé une vie que ça rachète les morts du passé.

Voilà, bien à vous et je suivrai toujours vos critiques avec attention mais ce que j'aime avant tout, c'est le dialogue et le débat !

Lapin Mauve
02/07/2016 à 15:50

Je pense que cet article est un peu hypocrite et témoigne d'une méconnaissance des romans (les morts de Geoffrey et Tywin surviennent dans le même contexte dans le roman. La mort de Jon Snow sert de cliifhanger au 5e volume et je suis certain qu'il va revenir d'une façon proche de celle montrée dans la série).
En gros m. Poucave vous semblez sous-entendre que pour conserver ses qualités, cette série aurait du continuer à massacrer ses personnages les plus sympathiques et les plus aimables afin de constamment décevoir les attentes de spectateurs (idiots ?) gavés de clichés. Ne croyez-vous pas qu'un tel artifice aurait tenu de la recette et aurait rendu GoT tout autant prévisible ("oh ! Comme j'apprécie ce personnage positif et honorable : dommage qu'il soit probablement amené à périr dans d'horribles circonstances !") ?
Pour moi les 2 grands défauts de cette série sont :
- le rythme : un trop grand respect des romans dans les 3 premières saisons pousse les showrunners à accélérer considérablement la cadence, surtout à partir de la saison 5, afin de ne pas être obligé de devoir faire 15 ou 20 saisons. En outre ils ne sont pas aidés par le fait qu'ils ne peuvent plus autant se reposer sur les romans et la maitrise narrative de Martin.
- une gestion hasardeuse du temps narratif (problème lié au précédent) : surtout à partir des saisons 4-5, on ressent très rarement le passage du temps dans la série. En effet, des évènements semblent se produire presque simultanément alors qu'un peu plus tard on comprend qu'il a du s'écouler plusieurs jours, semaines, mois entre eux (exemple typique : la téléportation de Varys entre Dorne et la flotte de Daenerys à la fin de l'épisode 0610).
Cordialement.

cepheide
02/07/2016 à 13:35

tres bon article. beaucouo de bon sens. J ai adoré la premiere saison mais mon interet n'a fait que decroitre ensuite (meutre - torture - sexe -torture - viol -torture -inceste - ect) jusqu au degout lié au red wedding. Comment un genie militaire, un stratege qui ne connait que la victoire peut se laisser berner si facilement ?
j'ai donc cessé de regarder mais je ne pouvais cesser de voir les gens en discuter. et bien depuis ce moment les discussions n'ont fait que décliner jusqu a totalement disparaitre.
je me souviens qu'a la fin de la saison 3, je me disais que cette serie etait absurde : tu montes un heros, tu le fais aimer et tu le tues. cette roublardise ne pouvait pas durer. votre article l explique de facon pertinente.

2cloo
02/07/2016 à 00:30

Où est Totemkoff, gendarme des forums,quand Poucave dégouline de mépris :"comme un repaire de geeks, de doux rêveurs, bref une lanterne pour débiles immatures..." ?
Serait il un membre de la rédaction camouflé/planqué derrière ce pseudo ?
Big smiley pour toi Totem :)))

Calyoro
01/07/2016 à 23:02

Il faudrait peut-être lire les livres avant d'écrire un article....

Carolin
01/07/2016 à 20:28

La mort de Joeffrey n'était en aucun cas du " Fan service " comme vous le laissez entendre.

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