Dexter Saison 3 : critique
On l'aura compris, ce qui fait le sel de Dexter réside dans l'analyse d'un ouragan sous le crâne d'un esprit dérangé et la collision de celui-ci avec l'aspiration contradictoire à une certaine forme de normalité. C'est cet aspect psychanalytique qu'a toujours retenu James Manos Jr, le créateur de la série, et son pool de scénaristes. Dès la deuxième saison, une certaine distance avec l'œuvre littéraire originale de Jeff Lindsay s'est progressivement imposée. Jusqu'à cette troisième saison qui s'en démarque complètement.
Avertissement : la lecture de cet article est fortement déconseillée si vous n'avez pas suivi les précédentes saisons.
Lors de la précédente saison, Dexter Morgan, notre psychopathe meurtrier attachant, a eu chaud aux fesses. Pas seulement parce que son âme sœur, cette barge de Lila se découvrant une passion pour l'homicide compulsif en série, a essayé de le carboniser dans son loft d'artiste peintre. Il n'a surtout pas été loin de sentir la chaleur d'une dose létale de penthotal dans son système sanguin après que son cimetière sous-marin de victimes a été mis à jour et déclenché une traque du FBI. Fort heureusement, notre héros sait retenir les erreurs du passé et déploie des trésors d'inventivité pour mettre la flopée de cadavres du Bay Harbor Butcher sur le dos du Sergent Doakes, fraîchement rôti par Lila. Au final, Dexter n'a plus qu'à éliminer Lila et retourner vivre paisiblement auprès de Rita et ses enfants. Il fit des pancakes à ces derniers et massacra beaucoup de méchants ?
Tuer le père
Pas tout à fait. En 24 épisodes Dexter a éclairé un nombre non négligeable de zones d'ombre concernant son passé. Par exemple, que le meurtre en série était une affaire de famille ou que, Harry, son papounet adoptif de flic, entretenait des liens plus que professionnels avec son indic de mère biologique. Et, sur ce dernier point, Dexter estime que sa figure paternelle modèle l'a trahi par cette révélation en contradiction avec la droiture morale qu'il a toujours prônée tout en fuyant par le suicide le remodelage de sa psyché meurtrière en instrument de justice expéditive selon le Code. Compilation protocolaire synthétisant l'extrême prudence face à la police (ne faire confiance à personne), la sélection obligatoire des potentielles proies ayant un grave antécédent judiciaire et ses pulsions sadiques, ce fameux Code était la bible de Dexter. Aujourd'hui, il décide de s'en affranchir en partie en tuant, certes, ceux qui l'ont bien cherché en diversifiant toutefois ses modus operandi. L'art de la tuerie, c'est comme une bonne alimentation, il faut savoir varier les plaisirs. D'une certaine façon, Dexter semble avoir réconcilié ses deux visages en s'assumant totalement. En apparence seulement. Ce majeur tendu à Harry dissimule autre chose et va le conduire au relâchement (on y revient...).
Travail, famille, boucherie ?
Car Dexter traverse une sorte de crise d'adolescence à retardement. Sa facette de policier scientifique appliqué et gendre idéal surtout a pour conséquence de faire évoluer sa relation avec Rita. Plus qu'il ne le voudrait. Il y a bien Paul, l'ex-mari drogué et cogneur de cette dernière, et la part de responsabilité de Dexter dans sa mort qui pèse au début de cette troisième saison. Mais l'affaire de la chaussure que Rita retrouve dans le jardin est rapidement balayé au profit d'une autre, plus préoccupante pour Dexter et son mode de vie prédateur : [Attention spoiler] il va être papa. De cette nouvelle découle de nouvelles interrogations : comment être un père aimant quand on prétend être incapable d'exprimer un tant soit peu d'empathie ? Est-ce réellement le cas, cela dit ? [Fin du spoiler] Jouer autant l'introspection ne constitue-t-il pas un élément de réponse à notre serial killer préféré ? C'est un peu le souci de cette troisième fournée, le spectateur a plusieurs trains d'avance sur Dexter. D'où quelques soucis de lenteur dans le récit. Et se prendre pour le Penseur de Rodin, c'est bien beau mais ce n'est pas ça qui va faire tourner la tronçonneuse dans la plaie des coupables passés entre les mailles de la Justice. D'autant plus que, une fois encore, un nouvel serial killer sévit à Miami.
Avoiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiir un bon copain
Voilà c'qui y a d'meilleur au monde
La menace de cette saison s'appelle The Skinner. Et il aime bien emporter des souvenirs, en l'occurrence des grands morceaux de peau de ses victimes après les avoir égorgées. Pourtant, la nuisance produite par cet énergumène est franchement secondaire. Dexter entreprend de découper en rondelles Freebo, dealer notoire jamais inquiété par la police. Repérage. Dissection des habitudes de la proie. La routine. Puis vient le grain de sable : Dexter tue un innocent se révélant être le frère de Miguel Prado, procureur implacable de la ville. Un rapport étrange s'installe entre eux. Miguel comprend Dexter, ce qui les conduit à se fréquenter assidûment. Et Dexter de trouver un amigo. Là, il plante deux coups de canifs dans le Code : assassiner quelqu'un qui n'avait rien demandé à personne et révéler sa part d'ombre. Prado est un personnage intéressant : fugitif de la révolution cubaine castriste, issu d'une famille violente, dissimulant mal son envie d'être juge, parti et bourreau. Même si certains échanges entre Dexter et Prado s'avèrent plaisants, un je-ne-sais-quoi empêche leur lien de s'aventurer sur le terrain de la fascination. Peut-être est-ce dû à l'interprétation du personnage de Jimmy Smiths ? À cette sensation de pouvoir identifier bien avant Dexter la nature profonde de ce personnage et vers quoi on se dirige ? Allez savoir !
Le charme (moyennement) discret de l'embourgeoisement
Par le biais de cet axe Morgan / Prado un poil sommaire se dessine très nettement un constat : les scénaristes ont joué le chrono et pas toujours bien géré le bon déroulement de l'intrigue. Il faut attendre les deux tiers de la saison pour sentir l'adrénaline pomper dans nos veines. Bref, Dexter s'embourgeoise. N'allez pas croire pour autant que cette saison trois est une catastrophe. Elle possède ses beaux moments comme cet épisode où Dexter brise pour une fois son Code à bon escient pour enlever la vie d'une amie de son enfance en phase terminale de cancer. Une réflexion non dénuée d'intérêt sur la présomption de culpabilité se profile avec l'épisode du pédophile en puissance. L'épisode centré sur Masuka et sa prise de conscience sur le désintérêt qu'il suscite au commissariat réserve aussi de bons moments. Angel est un peu plus en retrait. On se fout des mésaventures de Debra (qui, de toute façon, n'est qu'une emmerdeuse). Au fond, ce qui pose le plus problème est le dénouement, particulièrement mal géré et poussif. Il trace par avance la grande orientation de la saison quatre : il y a fort à parier que Debra découvrira le côté sombre de son frère. Reste malgré tout la performance du principal intéressé, Michael C. Hall. Son interprétation impériale de ce personnage calculateur, terriblement rusé et paradoxalement humain, quoi qu'il en dise, confirme sa place dans le top cinq des acteurs de show US les plus doués du moment. Grâce à lui, Dexter est assuré, sauf sortie de route impardonnable, d'entrer dans le panthéon des héros aussi borderline que captivants.
Dexter - Saison 3 : Tous les jeudis soir à 20h45 sur Canal + à partir du 19 février 2009.