Djihad sur Canal +
Après avoir abordé quelques « morceaux de bravoure » de notre histoire récente jusque là fortement occultés : 93, rue Lauriston où quand et comment la maison mère poulaga fricotait avec l'occupant entre 41 et 44, Nuit Noire et ses milliers d'algériens tabassés et noyés dans la Seine en octobre 61, SAC qui abordait la fin de ce groupuscule paramilitaire crée sous De Gaulle, Rainbow Warrior pour le célèbre scandale du même nom, voilà que Canal + (par l'entremise de son très bon directeur de la Fiction, Fabrice de la Patellière) s'attaque tout naturellement à l'une des actualités les plus brûlantes de cette décennie à savoir la guerre en Irak et ses conséquences tant sur l'échiquier mondial qu'au sein de certains gouvernements occidentaux très proches du feu régime de Saddam Hussein.
En effet si l'on a pas mal glosé sur le fourvoiement des Etats-Unis en Irak et des rapports troubles qu'aura entretenu la famille Bush avec le dictateur himself (Michael Moore est bien passé par là), qu'en est-il chez nous ? Quelle est en effet la part de responsabilité de la France dans ce conflit et quelles en ont été les conséquences pour notre société ? C'est en quelque sorte ce que Djihad, la fiction télé en deux parties réalisée par Félix Olivier et diffusée sur Canal+ à partir de ce soir (le 30 novembre et le 1er décembre), tente d'éclairer. Si la finalité n'est pas toujours convaincante, on ne pourra que louer encore une fois cette volonté de prendre des chemins de traverse et de s'aventurer là où la production télévisuelle française ne va jamais.
C'est que Djihad aborde de front les relations ambiguës de la France avec le gouvernement de Saddam Hussein depuis le début des années 80 : une diplomatie peu regardante sur les crimes humanitaires (les Kurdes gazés du village d'Halabja en 1988 puis persécutés au lendemain de la première guerre du Golfe) et des échanges économiques soutenus qui jusqu'au dernier moment auront par exemple facilités le détournement de son objectif initial le programme voulu par l'ONU dit « Pétrole contre Nourriture ». Ce coup de projecteur salutaire sert de « macro-trame » à une histoire plus intime qui voit un jeune beur de Sarcelles (convaincant Slimane Hadjar), fragilisé par l'incarcération de son père, se faire progressivement embrigadé par des salafistes surfant sur la situation internationale tendue. La suite, on l'anticipe. Envoyé à Damas dans une école coranique, il y suit un enseignement religieux et un entraînement militaire qui l'amènera, accompagné de deux autres français (Saïd Tagmaoui épatant et Adel Benchérif), à aller combattre l'armée américaine dans les rues de Bagdad.
L'histoire est en effet connue (on a encore en tête ces djihads d'origine française emprisonnés à Guantanamo) et si Djihad a le mérite de le montrer, il a donc aussi le défaut de ne rien nous apprendre de plus que l'on ne sache pas déjà : les ONG gangrenés par la corruption, une vision gaullienne et forcément dépassée de la situation géopolitique de la région, la présence en Irak de musulmans français prêt à en découdre avec « Le Grand Satan » Une carence qu'il faut peut-être recherchée du côté de cette volonté affichée et louable de la production de ne se référer strictement qu'à des sources d'informations fiables et vérifiés. Ou est-ce tout simplement un manque évident de recul face à une histoire loin d'être arrivée à son terme. Quoi qu'il en soit, il manque à Djihad ce qui a fait le succès des autres programmes suscités en introduction : la « gniak ». De celle qui permet de dénoncer et de prendre position. De celle qui donne envie de redevenir citoyen le temps d'un visionnage (ce qui n'est pas rien). De fait, on a plutôt l'impression ici d'être en face d'un rapport émanent du Quai d'Orsay qui se serait permis quelques libertés de style.
1ère partie : L'aveuglement (jeudi 30 novembre à 20h50)
2ème partie : Le réveil (vendredi 1er décembre à 20h50)
Crédits photos : Jérémie Ouaniche / NOE PRODUCTIONS / CANAL+