Les Soprano : la série culte a t-elle tué (et transcendé) le film de gangster ?

Arnold Petit | 8 novembre 2021 - MAJ : 08/11/2021 19:47
Arnold Petit | 8 novembre 2021 - MAJ : 08/11/2021 19:47

Les Soprano est une série culte qui a révolutionné la télévision, mais aussi repris les codes et l'héritage des films de gangsters pour mieux les enterrer.

Considérée comme la plus grande création de l'histoire de la télévision (ou au moins la plus influente), Les Soprano a totalement changé la façon de concevoir et percevoir les séries, mais aussi les gangsters et la mafia à travers son personnage principal : Tony Soprano.

En suivant les déboires, les névroses et la vie de ce parrain dépressif de la pègre du New Jersey qui consulte une psychiatre pour ses crises d'angoisse, incarné à la perfection par le regretté James Gandolfini, la série de David Chase a su puiser intelligemment dans les films du genre. En ligne de mire, ceux réalisés par Francis Ford Coppola et Martin Scorsese, la série s'inscrivant dans leur prolongement tout en renouvelant l'image du mafieux.

 

photoLe nouveau Parrain


O.G.

En tant que série qui se déroule dans l'univers de la mafia italo-américaine et qui arrive après Le Parrain ou Les Affranchis, Les Soprano est presque obligé de se rapporter aux films du genre et de s'inscrire dans leur continuité.

Comme le fait remarquer le fils du Dr Melfi, la psychiatre de Tony, lors d'un dîner dans le huitième épisode de la première saison : "les films de gangsters sont des classiques de l'histoire américaine, comme les westerns", en répondant à son père qui se plaignait qu'ils ternissent l'image des Américains d'origine italienne (un reproche fait à quasiment toutes les oeuvres consacrées à la mafia, y compris Les Soprano).

 

photo, James GandolfiniC'est à moi que tu parles ?

 

Après les années 30 et L'Ennemi Public, Le Petit César ou Scarface, qui ont défini le genre et donné une première image entre fiction et réalité du gangster comme le reflet des troubles de la société, Francis Ford Coppola a établi de façon durable le mythe de la mafia. Il lui a accordé un nouveau statut, une certaine grandeur avec Le Parrain en 1971 et Le Parrain II en 1974.

Les deux films autour de l'histoire des Corleone dressent un portrait romantique de la pègre, avec des hommes ambigus, contradictoires, divisés, capables de tuer quelqu'un de sang-froid au beau milieu d'un restaurant, mais animés par l'honneur, les traditions et une loyauté infaillible envers leurs proches, leurs amis et le parrain de la famille.

 

photoLe sang de la veine

 

En 1990, alors que Francis Ford Coppola concluait sa saga en montrant un Michael Corleone fatigué, sur la voie de la rédemption, fier de ce qu'il a accompli, mais rongé par les remords et la culpabilité, Les Affranchis racontait le déclin de la mafia à travers le parcours d'Henry Hill. Le film offrait alors une nouvelle représentation des gangsters.

Dans le long-métrage réalisé par Martin Scorsese, les valeurs morales et familiales du Parrain et des anciens ont été balayées par le vice et la cupidité. Les mafieux ne sont plus motivés que par l'argent, les femmes et les beaux costumes. Le trafic de drogue qu'ils essaient de mettre en place est un échec et ils finissent par se trahir ou s'entretuer.

De la même manière que Le Parrain, Les Affranchis est devenu un des plus grands films du genre et de l'histoire du cinéma américain. Les Soprano sont parfaitement conscients de l'héritage culturel et historique de toutes ces oeuvres consacrées à la mafia et choisissent justement de l'assumer tout au long de ses 86 épisodes.

 

photoMafieux et cinéphiles 


Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être un gangster

Au cours des six saisons, notamment la première, Les Soprano multiplie les références intertextuelles aux films de gangsters, en particulier la trilogie du Parrain et Les Affranchis. La fameuse imitation d'Al Pacino dans Le Parrain III que Silvio Dante répète continuellement ("Just when I thought I was out… they pull me back in") en est probablement l'exemple le plus probant, avec le klaxon de Paulie qui rejoue la musique composée par Nino Rota.

David Chase a lui-même reconnu que Les Affranchis et le cinéma de Martin Scorsese l'avaient largement inspiré. Et ce rapprochement avec le film se remarque notamment au niveau du casting de la série.

 

photoLorraine Bracco, de femme de truand à psychiatre

 

Au total, 27 acteurs des Affranchis sont présents dans Les Soprano. Plusieurs rôles principaux de la série sont tenus par des acteurs et des actrices apparus dans des films du genre ou les oeuvres de Francis Ford Coppola et Martin Scorsese : James Gandolfini a joué dans Coups de feu sur Broadway et True Romance ; Dominic Chianese, qui interprète l'oncle Junior de Tony, était Johnny Ola dans Le Parrain II, celui qui prévoyait de tuer Michael Corleone avec Fredo ; David Proval, qui est Richie Aprile dans la deuxième saison, un des personnages principaux de Mean Streets (qui s'appelle Tony).

Frank Albanese a été à la fois dans Le Parrain III et Les Affranchis avant d'être l'oncle Pat ; Lorraine Braco s'est fait connaître en incarnant Karen, la femme d'Henry Hill, et avant sa performance mémorable dans le rôle de Christopher Moltisanti, le neveu par alliance de Tony, Michael Imperioli était Spider, le malheureux serveur qui se prenait une balle dans le pied de la part de Tommy DeVito dans Les Affranchis. Une scène iconique qui sera d'ailleurs rejouée dans la première saison, quand Christopher tire dans le pied d'un pâtissier parce qu'il met trop de temps à le servir.

 

 

 

Des séquences du Parrain, de Scarface et d'autres oeuvres sur la mafia seront reprises dans la série et L'Ennemi Public sera un des sujets d'étude de la fille de Tony, Meadow, dans le deuxième épisode de la troisième saison. Le film réalisé par William A. Wellman est d'ailleurs "le préféré" de Tony et sera également exploité pour appuyer le drame de sa vie et de sa relation avec sa mère.

Dès le premier épisode, la série place une référence au Parrain quand Christopher se fait reprendre par Pussy en voulant reprendre une des répliques les plus célèbres du film ("Louis Brasi dort avec les poissons" au lieu de Lucas Brasi comme lui fait remarquer son ami). L'erreur de Christopher, si elle est d'abord destinée à faire rire, dévoile également les ambitions de la série : Les Soprano ne se contente pas d'incessamment convoquer les films du genre jusqu'à l'épuisement et de les intégrer à sa diégèse juste pour l'hommage ou la comédie, mais pour encore mieux s'en écarter, s'en affranchir.

 

photoUn peu plus impulsif que Vito Corleone

 

IL ÉTAIT UNE FOIS EN AMÉRIQUE

D'une certaine façon, Le Parrain, Les Affranchis et Les Soprano condensent à eux trois l'évolution de l'image de la mafia italo-américaine et du gangster au sein d'une même mythologie, chacun marchant sur les traces de l'autre. Le Parrain reprend le gangster traditionnel et lui apporte une grandeur d'âme, que Les Affranchis déconstruit en présentant les dessous du milieu et la fin d'une ère qu'introduit Les Soprano.

Tony, Silvio, Paulie et les autres membres de la bande continuent de s'identifier à Michael Corleone et aux personnages du Parrain, mais sont incapables de voir la réalité en face : ils passent plus de temps à combler l'ennui ou à gérer leurs problèmes personnels avec leurs femmes et leurs enfants qu'à bâtir un empire du crime organisé.

 

photoUne "mother" célèbre s'est cachée dans cette photo

 

Malgré leurs grandes maisons, leurs belles voitures et leurs jeunes maîtresses, ils ne sont plus que l'ombre de leurs aînés, qu'ils admirent, imitent et regrettent, mais détestent aussi, à l'instar de l'oncle Junior ou de Livia Soprano, pour lesquels ils n'ont plus aucun respect. Certains, comme Paulie et Silvio, s'enferment dans une caricature anachronique d'eux-mêmes en restant persuadés qu'un mafieux doit ressembler à ceux dans les films, tandis que les malfrats de la nouvelle génération ne sont qu'une bande de petites frappes désintéressées.

Et c'est justement ce qui différencie Les Soprano et contribue à sa réussite : la série de David Chase n'est pas une fresque classieuse comme Le Parrain ou une immersion nerveuse comme Les Affranchis, mais bien un portrait complet et sans concession de l'Amérique des années 2000 à travers la vie d'un quadragénaire. Un homme bedonnant, vulgaire, raciste, qui va chez le psy, s'engueule avec sa femme et ses gosses et qui serait presque comme les autres s'il n'était pas un sociopathe et le parrain de la mafia du New Jersey.

 

photoTony qui pense à ce qu'il va manger ce soir ou au prochain type qu'il va refroidir

 

Lors de sa première séance avec le Dr Melfi, Tony dresse lui aussi ce constat, que "le meilleur est terminé" et qu'il aurait mené une vie bien différente à l'époque de son père, Johnny Boy Soprano, avec en mémoire l'image idéalisée d'un gangster honorable et d'une mafia à son apogée.

Le prequel de la série, Many saints of Newark – Une histoire des Soprano, se déroule justement quand il était adolescent et montre qu'il se trompe. Mais surtout, Les Soprano ne marque pas la mort du gangster, simplement une nouvelle représentation, plus tragique, plus réaliste, qui s'est d'ailleurs retrouvé dans The Irishman lorsque Martin Scorsese est revenu au film de gangsters en 2019 sur Netflix.

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commentaires
Brosdabid
12/11/2021 à 19:45

J'ai longtemps cru que c'était les Affranchis en série vraiment !
Juste la version officieuse du coup.

ttopaloff
10/11/2021 à 09:53

@Tnecniv

Après un premier visionnage en 2015, je me la suis retapé ces 2 derniers mois, et quelle monumentale claque.

J'avais aimé à l’époque, mais là ça va au delà. Je ne saurais l'expliquer mais y'a vraiment des épisodes qui touchent les étoiles.

En fait la force de cette série c'est qu'elle te parlera forcément à un moment de ta vie, les thèmes abordés étant tellement larges (et justes). Et ça dépasse le coté mafia bang bang va fan culo bien sur.

KULEM
09/11/2021 à 11:52

Quel acteur ce james gandolfini , quelle série , tous étaient très bons d ailleurs dedans , avec les bons stereotypes comme on aime dans les films mafieux.

LA meilleure c'est très subjectif , l une des meilleures de tous les temps a tous les niveaux , ca y a pas de doute...

Tnecniv
08/11/2021 à 22:45

@Thorfinn

Pour l'avoir regardé à presque 10 ans d'intervalle entre 2005 et 2015 ( si mes souvenirs sont bons ) je n'ai pas eu de mal, c'est clair que ça a vieilli, après de là a dire que c'est difficilement regardable, je n'irai pas jusque là personnellement, ça peut par contre se jouer sur la préférence des saisons, ce qui a été le cas à mon deuxième visionnage de The wire en 2020 , j'avais souvenir d'une saison 3 qui m'avait plu, au final en revisionnant c'est la quatrième ( sans compter la première qui reste pour moi la meilleur car rencontre des personnages ) qui m'a vraiment remué alors que j'ai eu " du mal " sur la troisième que j'ai trouvé un peu too much sur certaines passages .Par contre pour un jeunot en 2021, effectivement ça va être difficile de regarder OZ .

Tnecniv
08/11/2021 à 22:30

@Mouais bof...

Non, je n'oublierai jamais cette claque, je vais d'ailleurs me la retaper d'ici peu je pense, quelle série quand même, très anxiogène et frustrante mais terriblement fascinante même si elle faiblit un peu sur la fin et se fini de manière précipitée, pour moi un souvenir impérissable .

Thorfinn
08/11/2021 à 22:29

Oz a très mal vieilli et c'est difficilement regardable aujourd'hui comparé aux Sopranos ou à the Wire.
Enfin à mon humble avis...

Mouais bof...
08/11/2021 à 21:31

Et Oz on l'oublie?

C'est la serie qui a tout de même redéfinit le format des series à tout jamais. et 2 ans avant Sopranos.C'est grace justement à Oz que HBO était en confiance pour produire les autres series qu'on connait

Chaque série a su marquer au fer rouge son propos.

Que ce soit the wire,sopranos,mad men ,oz, breaking bad, the shield et consorts.

J'ai envie de dire les gouts et les couleurs.....

ttopaloff
08/11/2021 à 18:03

J'irais même plus loin : pour moi Les Soprano c'est le truc le plus parfait jamais porté sur un écran (petit ou grand)

Flash
08/11/2021 à 17:22

Meilleur série de tous les temps ?
Probable, mais il y a match avec the Shield, Rome et The Wire.

Faurefrc
08/11/2021 à 15:44

Tout simplement LA meilleure série à mes yeux. Je la préfère à un autre chef d’œuvre du petit écran qui est The wire… probablement grave à Gandolfini qui bouffe littéralement l’écran.