La réalité en face : critique d'une histoire (pas) vraie sur Netflix

JL Techer | 26 novembre 2021 - MAJ : 26/11/2021 11:06
JL Techer | 26 novembre 2021 - MAJ : 26/11/2021 11:06

Loin des rôles creux et plats de comic-relief que lui offraient les Scary Movies et Jumanji : Bienvenue dans la jungle, Kevin Hart fait son Tchao Pantin avec La réalité en faceIntitulée True Story dans sa version originale, bien que sans aucun lien avec des faits réels, la production Netflix se veut être le pendant sériel d'un Very Bad Things, plongeant dans l'horreur un artiste aux portes de la gloire. Mais là où le pitch du projet aurait certainement pu accoucher d'un excellent thriller au casting dingue dans les années 90-2000, l'obligation du format série étire le contenu sur une saison, étiolant son propos et diluant tout suspense. 

C'est l'histoire d'un mec

Face caméra, Kid (campé par un Kevin Hart étonnamment juste) s'adresse à un confesseur anonyme, et se livre à un monologue troublant. Brouillant les pistes entre l'acteur, l'homme et le personnage à l'écran, Kid/Kevin Hart dépeint le parcours difficile d'un personnage adoré du public, mais dont les admirateurs ne savent rien, et dont ils ne veulent rien savoir en réalité. Un portrait amer aux nombreux doubles sens, au cours duquel Kid évoque un événement tragique qui sera le noeud central de True Story tout au long de sept épisodes.

Kid est l'incarnation du rêve américain. Natif de Philadelphie, celui-ci a connu la rue, la souffrance et les galères avant de devenir le golden boy de la jet-set américaine à qui tout réussit. Humoriste, comédien, philanthrope, celui-ci vient de mettre en boite un énorme blockbuster super-héroïque lui promettant un avenir radieux à Hollywoodland. Après plusieurs mois d'une tournée promotionnelle aux quatre coins des US, de retour en sa ville natale, il se retrouve embarqué dans une soirée (trop) festive par son frère Carlton (Wesley Snipes), premier pas d'un long chemin de tourmente.

 

La réalité en face : photoJusqu'ici tout va bien

 

Eddy de Pretto aurait dit que c'était la Fête de trop, et difficile de trouver meilleure formulation. Un verre de trop après plusieurs mois de sobriété, une nuit de black-out, et un réveil près d'un macchabée, le pitch du type qui émerge d'une sévère gueule de bois aux côtés d'un cadavre se double ici de la peur de tout perdre pour Kid. Si la voix de la raison lui dicte sur le champ de faire appel aux forces de l'ordre, l'autre voix, celle de son frère, le condamne à plonger dans une spirale de mauvaises décisions l'amenant toujours plus loin sur la route du crime.

Ainsi, La Réalité en Face propose une prometteuse variation sur un thème déjà maintes fois utilisé. La série créée par Eric Newman (showrunner de Narcos et Narcos : Mexico) ajoute du sel à une recette classique en fondant sa problématique sur la peur de la perte chez un personnage public, perte du statut social et de ses avantages, de sa famille, et peur du retour à la case départ.

Ceci est ici narré à l'aune de la relation toxico-aimante qu'entretiennent Kid et son frère Carlton, chacun poussant l'autre toujours plus loin dans ses retranchements, s'enfonçant dans une spirale criminelle inextricable, alors qu'ils n'ont de cesse de vouloir se protéger. Un paradoxe tenu à bout de bras par le duo d'acteur Kevin Hart-Wesley Snipes, bluffant de charisme dans leurs rôles respectifs.

 

La réalité en face : photo, Kevin Hart, Wesley SnipesToujours avec modération, sinon ça finit en réclusion

 

Double team

Loin de leurs images respectives de comédien de stand-up et de comique potache pour Kevin Hart, et de guignol gros bras pour Wesley Snipes, ces deux acteurs crèvent l'écran dans La Réalité en Face. Hart prouve qu'un comédien, littéralement "celui qui joue la comédie", s'il sait jouer la comédie, sait tout jouer. À chaque seconde à l'image, il fait montre d'une crédibilité à toute épreuve. Que ce soit dans ses moments de faiblesse (l'épisode 4 We should be together too) ou ses accès de rage (le saccage d'appartement dans l'épisode 7 Tel Abel avec Cain), l'acteur est bouleversant, et montre toute l'étendue de son talent.

Les bandes-annonces de True Story n'avaient pas enthousiasmé grand monde en ce qui concerne la présence et le rôle de Wesley Snipes. Mais dès ses premières apparitions dans la série, il prouve qu'à 59 ans, il en a encore sous la pédale, et qu'avec un bon showrunner et la bonne personne pour le diriger, il est capable d'être un immense acteur. Le Wesley Snipes de Soleil levant et de The King of New-York est toujours là, volant presque la vedette à Kevin Hart.

 

La réalité en face : photo, Wesley Snipes, Kevin HartUn duo irréprochable

 

Loin de tous les excès de jeu d'un Expendables ou du badinage extatique du Simon Phoenix de Demolition Man, Snipes donne corps avec brio à un loser magnifique. Homme brisé qui vogue de galères en mauvais coups, constamment écrasé par l'aura lumineuse d'un frère promis à un insolent succès, Carlton est défini ainsi par Kid : "Si le vendredi 13 était une personne, ce serait toi". Grâce à un jeu en fragile équilibre entre extériorisation et retenue, Snipes est le contrepoint parfait de Hart.

Malheureusement, bien que l'alchimie née de la rencontre entre les deux acteurs porte à bout de bras le show, cela ne parvient pas à sauver les meubles. Sur le plan esthétique, rien ne peut être reproché à la réalisation de Stephen Williams (Lost) et Hanelle Culpepper (NOS4A2, Star Trek : Picard). Cependant, bien que tout soit très bien exécuté, rien ne brille, la mise en scène étant très scolaire et sans réelle personnalité.

Là où le bât blesse réellement, empêchant la série de prendre son essor, reste le fait que la tension intrinsèque au sujet se trouve étiolée tout au long de cette saison. Le premier acte hameçonne le spectateur avec succès, mais la ligne de pêche du thriller se détend à mesure que les événements s'enchainent. Quelque chose d'artificiel se dégage de l'ajout de nouveaux personnages et des multiples twists au fil de l'eau, étirant bien trop l'intrigue. En résulte le constat que cette série aurait dû être un long-métrage pour condenser son propos, et offrir deux heures de réelle tension, tout en développant des thèmes forts, car La réalité en face a bien des choses à dire.

 

La réalité en face : photo, Kevin Hart"Dis Siri, pourquoi faire sept épisodes au lieu d'un film ?"

 

PErsona

Bien qu'elle s'étende sur sept épisodes, paradoxalement la série ne fait qu'effleurer des thèmes qui auraient pu donner plus de corps au tout. Les premiers épisodes laissent entrevoir l'ascension et la chute de Kid, et par la même occasion ébranle le fantasme du rêve américain, si difficile à atteindre, et si facile à ébranler. Ce faisant, True Story ouvre la boite de Pandore, et libère les démons de l'Amérique bien pensante moderne, mais ne va jamais jusqu'au bout de son propos.

La dualité entre le personnage public de Kid, souriant, d'humeur constante, et sa personne réelle, en proie au doute permanent, aurait pu permettre de creuser ce phénomène schizophrénique que porte toute personne à la célébrité plus ou moins grande. Cachées derrière le masque social, faiblesses, addictions, et pulsions disparaissent, mais rongent celui qui porte le masque. Mais La réalité en face ne fait que toucher du doigt le problème, qui trouve une résolution particulièrement cynique dans son dernier épisode.

 

La réalité en face : photo, Kevin Hart, Wesley SnipesBoyz in the Hood

 

Il en est de même pour toutes les problématiques abordées par la série. La question du racisme, cristallisée par la question de l'utilisation du "N word", n'est que prétexte à deux scènes particulièrement malaisantes. La thématique de la corruption des élites et des passe-droits des célébrités est traitée avec la même légèreté, et ne fait que donner lieu à quelques rares scènes, Kid déclarant par exemple à qui veut l'entendre qu'il n'a "plus payé de chambres d'hôtel depuis des années".

Tout n'est qu'effleuré en permanence, alors que le format sériel aurait justement dû laisser au showrunner les coudées franches pour se confronter réellement à ces questions plutôt que de les esquiver sitôt évoquées. Cela donne un amer goût de trop peu à l'ensemble et laisse deviner soit un manque de courage de la part des créateurs de la série, soit une simple volonté mercantile dévorant des ambitions artistiques, limitant ainsi tout propos fort qui pourrait heurter la bien-pensance.

Un triste sentiment de gâchis reste à l'esprit après le visionnage de True Story. Avec un récit solide, et des acteurs brillants, on perçoit aisément ce qui aurait pu être un film quasi freudien, où la relation entre deux frères oscillant continuellement entre Éros et Thanatos conduit deux êtres à obéir à leurs pulsions de mort afin de se protéger l'un l'autre, tout en protégeant leurs propres intérêts. Au lieu de cela, Netflix livre une série honnête, mais sans génie, et divertissante, qui n'exprime jamais son plein potentiel.

La réalité en face est disponible sur Netflix depuis le 24 novembre 2021

 

La réalité en face : photo

Résumé

La Réalité en Face est la preuve que le choix du format série peut jouer au détriment d'un contenu scénaristique pourtant solide et de la performance d'excellents acteurs. Resserrée sur 120 min, l'intrigue aurait pu être incroyable de tension, et produire un thriller de haute volée. Les voies du marketing sériel en ont décidé autrement, et le résultat final est une série honnête, avec de bons moments, mais qui aurait pu offrir beaucoup plus.

 

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Lecteurs

(3.1)

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commentaires
StL
22/08/2022 à 19:22

Je trouve les critiques très dures! La série est excellente. Dommage que ce soit court! La série m’a tenue en haleine jusqu’au bout. Je pensais que c’était une histoire vraie et ça m’a bcp plu!

Louis andrea
06/04/2022 à 00:26

Je l’ai finie ce soir, c’est bien fait et plutôt divertissant. Le soucis c’est que comme la plupart des séries américaines, les choses ne deviennent excitantes que quand il y a des meurtres, comme si c’était toujours la base d’une bonne intrigue . De mon point de vue c’est au moment du premier meurtre que je commence à trouver l’intrigue peu crédible.

Kozac
01/12/2021 à 12:18

J'ai regardé le premier épisode, le deuxième à moitié, j'en pouvais plus...et j'ai deviné de suite quand c'était drôle ou pas...le problème est que j'ai eu du mal à rentrer dans la série, je trouve que c'est surjoué, pas crédible, le héros est trop nerveux pour y croire, ses expressions sont figées, peut-être sa petite taille rend les choses moins crédibles? surtout face à un manipulateur...

Visuellement, c'est du beau travail, mais l'intrigue c'est un peu gros, et on a encore avec Netflix l'image du blanc beauf et raciste, bête, méchant par moments et l'image du "black" qui gère, fort, sachant que pour moi on ne devrait pas faire des distinctions épisodiques aussi grosses .entre les gens de couleur.

Kais poupouille
29/11/2021 à 07:54

Regardez ça en vaut tout de même ke coup

Kwid le gars de youtube sous vos videos
28/11/2021 à 19:18

Pour moi tout pareil que qu’est qu’il a dit JL Techer... à ceci près que wesley snipes et kevin hart ne sont pas les seuls à être excellents, Théo Rossi est d’une sensibilité vertigineuse, Il m’a bluffé dans le rôle de ce fan à fleur de peau, prêt à tout pour son idole... Pour moi cette prestation fera date dans sa carrière.

Kelso
26/11/2021 à 12:33

J'ai beaucoup aimé, tout vu en une soirée (les épisodes sont assez courts). J'aime les histoires qui parlent des coulissent de la célébrité, je trouve ça toujours intéressant. Les 2 acteurs sont excellents, c'est toujours sympa de revoir Billy Zane aussi. L'histoire est prenante, même si bon... je vais pas spoiler mais c'est un peu téléphoné, mais l'accumulation de problèmes pour Kid tient bien en halène tout du long.
Au final une bonne surprise et un bon moment de passé.

Morcar
26/11/2021 à 11:55

Il arrive très souvent que des mini-séries me donnent l'impression qu'en film ça aurait été bien meilleur. Aujourd'hui les scénaristes ont tendance à trop étirer leurs intrigues en longueur, ne savent plus aller à l'essentiel. Du coup, j'hésite à regarder cette série Netflix si on doit se taper 10h de programme qui n'en auraient mérité que 2.

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