Ratched : critique d'une psychose vertigineuse sur Netflix

Alexandre Janowiak | 18 septembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Alexandre Janowiak | 18 septembre 2020 - MAJ : 09/03/2021 15:58

L'année 2020 aura été noire pour une grande partie de l'industrie du grand et petit écran, mais certainement pas pour Ryan Murphy. Après Hollywood et la saison 2 de The Politician, et avant son film The Prom début décembrele producteur, scénariste et réalisateur revient avec une énième série Netflix : Ratched.

LA FEMME QUI EN SAVAIT TROP

Sur le papier, Ratched a été présentée comme le prequel de Vol au-dessus d'un nid de coucou devant raconter les origines de la fameuse Mildred Ratched, la terrible infirmière en chef interprétée par Louise Fletcher dans le long-métrage original. Finalement, après visionnage des huit épisodes qui composent cette première saison, force est de constater que le point de départ était surtout un nouvel artifice pour Ryan Murphy.

En effet, pour ceux qui s'attendaient à revoir la célèbre infirmière non loin de l'Oregon State Hospital de Salem où était enfermé le personnage de Jack Nicholson ou suivre ses aventures avant l'arrivée de McMurphy dans l'hôpital, il va falloir très vite s'enlever de la tête cette idée. La série débute en effet en 1947, soit plus de dix ans avant la période du film multi-oscarisé, et ne fera évidemment jamais de clins d'oeil aux événements se déroulant dans le fameux film de Milos Forman. Il est même particulièrement difficile de comprendre véritablement le lien entre la série et le film original, du moins, dans les premiers instants.

Concrètement, Ratched aurait tout autant pu être présentée comme une série complètement indépendante (et sans lien avec le film). Cependant, il est clair que la raison réelle de son existence est indissociable du film culte et que l'envie sous-jacente de Murphy y est nécessairement liée. Car à l'image de Hollywoodla nouvelle création Netflix du prolifique scénariste est surtout le moyen de développer bien d'autres desseins et de revisiter l'histoire en question ou en tout cas de la soumettre d'un point de vue féminin.

 

Photo Judy DavisUn peu de piqures et de sangles tout de même

 

MILDRED

Aussi salué soit le film de Milos Forman, multi-récompensé par Hollywood lors de sa sortie et toujours reconnu comme un chef d'oeuvre du 7e art, il n'en reste pas moins un long-métrage où les femmes sont décrites de deux manières très discutables : soit elles sont des putes (les amies de McMurphy), soit elles sont des castratrices (Mildred Ratched). Plus de quarante ans après sa sortie, il est clair que le film n'était pas du tout féministe (le viol y est même décrit comme une arme contre les femmes) et bien évidemment, Ryan Murphy se charge de le dénoncer à sa manière dans Ratched.

Sans trop de surprise, en résulte le désir habituel de Murphy de prôner l'égalité entre les sexes, valoriser la diversité (ethnique, sexuelle...), mais surtout de mettre en avant les femmes dans une histoire qui ne faisait que les dénigrer. Dans son récit (co-créé avec Evan Romansky), en construisant la plupart des rebondissements autour d'une fabuleuse galerie de personnages féminins (Sarah Paulson, Judy DavisSharon Stone), il vient totalement chambouler l'ordre établi par le film inspiré du roman de Ken Kesey.

Il s'amuse ainsi, toujours avec son style pop et coloré, à déconstruire totalement le mythe de Mildred Ratched au fur et à mesure de l'avancée de cette première saison. D'abord présentée comme l'infirmière en chef sadique, sans pitié et pur produit d'un système autoritaire que l'on connait, Ratched est transformée en pure (anti-)héroïne victime du système justement.

 

photoUne séquence captivante et bouleversante

 

Non pas que Ryan Murphy justifie les horribles lobotomies de fortune dans les motels qu'elle commet ou pardonne les meurtres sordides qu'elle imagine, il lui fait prendre conscience du sens moral qui doit l'animer, notamment grâce à l'aide de femmes dont la parole était habituellement délaissée à cette époque (Cynthia Nixon en lesbienne cachée). Mieux encore, il développe, au coeur d'une sublime séquence de marionnettes pour enfants, le passé tragique de Mildred Ratched, venant assurer qu'on ne naît pas monstre, mais bel et bien qu'on le devient à cause du système, de son oppression, de sa perversion. Autant alors, se servir de ce même système qui l'a pervertie pour mieux le contrer et s'affirmer.

Bien sûr, le propos est discutable, mais Ryan Murphy s'en sert très justement pour réhabiliter, en partie, le personnage de Ratched, honni dans Vol au dessus d'un nid de coucou quand le héros incarné par Nicholson y est adoubé alors même qu'il est accusé de viol sur mineure et que le récit ne fera jamais la lumière sur ce sujet. De fait, un peu à l'image de l'excellente Lovecraft CountryRatched se veut un hommage à l'oeuvre de Forman/Kesey tout en faisant un pied de nez fascinant et cynique à sa misogynie indiscutable.

 

Photo Sarah Paulson, Judy DavisLes femmes aux commandes

 

VOL AU-DESSUS D'UN NID DE RÉFÉRENCES

Au-delà du propos féministe et des thématiques de prédilection de Murphy abordées frontalement (homosexualité, normalité, diversité, inclusion...), Ratched est bien évidemment un terrain de jeu foisonnant pour Murphy. Avec ses meurtres sanglants aux portes du gore, son amour pour une violence sordide (ses bains bouillants, ses greffes de bras) et ses scènes de sexe, il y a évidemment quelque chose de très American Horror Story au sein de Ratched. Les plus amoureux de la série anthologique auront d'ailleurs sans doute la sensation de retrouver, quelquefois, l'atmosphère de la deuxième saison (Asylum) lorsqu'ils seront plongés dans les méandres de l'hôpital d'État de Lucia.

Par ailleurs, on retrouve évidemment la patte délurée de Murphy, son amour des décors grandiloquents et élégants, des grands-angles, des splits-screens pour surligner son découpage et sa narration et des magnifiques travellings magnifiant les espaces et le mouvement de ses personnages. Les aficionados de son style ne seront donc pas démunis et au contraire, devraient encore une fois raffoler de l'aspect comique et coloré qu'il apporte à un scénario aussi sombre et macabre (le death count est assez élevé pour seulement huit épisodes).

 

photoL'eau, ça mouille... et ça brûle aussi

 

Cependant, Ryan Murphy n'use pas uniquement de ses propres références pour cette nouvelle série d'époque et rend également un hommage puissant à tout un pan de l'histoire hollywoodienne.

À plusieurs reprises, il suit les traces du film noir (Chinatown) et notamment des grands classiques d'Alfred Hitchcock : la prédominance du vert (notamment dans certaines scènes où la couleur envahit littéralement l'écran) rappelant évidemment Sueurs froides, l'atmosphère étrange du motel dans lequel vit Mildred Ratched aux airs de Psychose ou une (tentative) de meurtre semblant singer celle du Crime était presque parfaitIl en vient même à reprendre les morceaux de ces classiques pour les juxtaposer à son récit, donnant un cachet inévitable à l'ambiance de l'ensemble (après tout, pourquoi copier du Herrmann quand on peut s'offrir ses plus belles partitions).

Avec ses influences et ses hommages au genre (sans oublier un clin d'oeil manifeste à Bonnie & Clyde voire Shining) accolés à sa patte personnelle, Murphy délivre alors un thriller mêlant l'horreur, le psychologique et le romantique à merveille. Cela manque sans doute un peu de rythme à plusieurs reprises (les deux premiers épisodes sont peut-être les moins bons) et l'intrigue est un peu poussive lorsqu'elle veut justifier ses liens avec Vol au dessus d'un nid de coucou, et pourtant, Ratched fonctionne et étonne.

 

Photo Sarah PaulsonSarah Paulson, évidemment parfaite

 

En s'affranchissant quasi-complètement du récit originel, elle permet aux spectateurs de découvrir un tout autre spectacle, souvent inattendu. Édifiée en grande partie à travers l'instabilité de ses personnages, l'intrigue n'en devient que plus troublante et séduisante, modifiant les marqueurs et brisant les certitudes jusqu'à tuer sèchement (mais jamais vainement) certains de ses personnages. De manière alternative, il en découle alors une certaine jubilation, tristesse ou mélancolie, quand, sans discontinuité, l'oeuvre gagne, elle, en richesse et en densité.

Difficile de savoir ce que donnera la deuxième saison (déjà commandée) tant le grand final éloigne encore plus Ratched de son inspiration originelle qu'elle ne l'était déjà au début, mais nul doute qu'avec Murphy à la barre, on sera bel et bien au rendez-vous.

Ratched est disponible sur Netflix depuis le 18 septembre 2020 en France.

 

Affiche US

Résumé

Loin d'être vaine, Ratched est jouissive , incisive, sanglante, macabre, touchante, tout en portant un message fort et engagé... du pur Murphy dans ce qu'il fait de plus généreux et pertinent. 

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Lecteurs

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commentaires
Jean
25/10/2020 à 23:47

C'est d'un ennui... Netflix est devenu un genre de Disney pour jeunes adultes. Et Ratched entre totalement dans cet esprit. Rien n'y est subversif, rien n'y est profond, tout est linéaire, prévisible, chiant. C'est beau, c'est coloré, tous les comédiens sont de très très bons comédiens... Mais voilà, a force de vouloir plaire au plus grand nombre. Encore une série moyenne, tiède, à rajouter dans la longue liste des series moyennes et tièdes produites par Netflix. Dommage

Davidalexoz
13/10/2020 à 23:25

Je trouve au contraire que le film original est très féministe, et même anti-raciste dans une moindre mesure... il présage tout ce qui fera peur à l’homme blanc, hétérosexuel d’aujourd’hui, à savoir : se faire émasculer par les femmes et leur féminisme, par leur puissance avec l’aide des noirs, une autre minorité é discriminée...
Un féminisme lié au « care » qui comme dans le film, devient la nouvelle norme sociale...
L’asile dirigé par cette femme, devient la nouvelle norme d’hommes (toxiques), qui pour beaucoup d’entre eux, font le choix de cette nouvelle norme, parce que cette norme leur fait du bien, elle les rassure.
Et il y’a ceux qui résistent, comme McMurphy, le personnage principal, qui représente la caricature du mâle, macho, sexiste, dans toute sa splendeur...
Ce que le personnage féminin représente au déjà d’elle même, c’est la norme, le sytème qui broie et c’est lié directement au féminisme... car beaucoup d’hommes d’aujourd’hui ressentent le féminisme, devenue une norme universelle, comme une destruction leur masculinité.

D’ailleurs quand le personnage de Jack Nicholson parle du viol de la mineure à un autre mâle dominant (le directeur de l’asile), il utilise tous les poncifs du mâle dominant, violeur, agresseur type, le même vocable cliché. Et il utilise même la connivence entre mâles dominants, pour mettre le directeur de son côté... et ce n’est donc pas pour rien que ce soit une femme puissante, qui finira par terrasser le personnage de Nicholson.
Le sujet du film n’est pas tant la folie, que la revanche féministe, de la femme forte qui fera plier le mâle blanc, agresseur, en lui retirant tout ce qui fait de lui un homme, un humain, pour ne laisser qu’un légume, agonisant.
Le mal(e) est vaincu... ou presque.

Coucous
03/10/2020 à 19:48

Série haletante comédiennes très inspirées
A voir

UGOLIN
24/09/2020 à 10:48

Pas toujours en phase avec vos avis (heureusement) mais là, serie absulument géniale
que cela soit au niveau acteurs / photo / ambiance/ decors
vivement des suites
perso je ne cherche pas de comparaison avec le mythique "vol coucou" ce qui m'evite de me mettre en mode grincheux
et je savoure mieux mon pop-corn

yourglaaa
23/09/2020 à 22:54

Musique omniprésente et trop esthétisante, cette série n'apporte rien de plus que des baillements. Rien de très prenant. Je vais plutôt me revoir Fargo, tiens.

Chouchou2
22/09/2020 à 12:10

J’ai tout regardé d’un coup , j’ai pas pu regarder autre chose.
J’adore .
Et l’actrice principale Sarah est Execptionnelle.
Maintenant trop long d’attendre la saison 2

B.-
21/09/2020 à 12:54

Étonnant! Violant et bonne interprétation. Rien bien sur avec le film, je cherche des similitudes.
Mais bon on la suit"..savoir" ..????incroyables les series actuellement. Sur la plateforme.

Timwhite
21/09/2020 à 12:49

Je me suis terriblement ennuyé. On est très proche de la science-fiction et tout ça n’a rien de réaliste, c’est peut-être pour ça que ça ne m’a pas touché (hormis la photo peut-être, mais même ça, ça finit par être trop, trop facile, trop pareil à plein de choses déjà vu chez Murphy, comme s’il était à court d’idées et devait recycler autant que possible). Charlotte est touchante. Les dialogues ne sont en rien incroyables et les “rebondissements” grotesques, à chaque demi-épisode, amènent assez vite à l’indigestion. Ni gore, ni dérangeant, ni profond, ni surprenant, ni drôle, ni triste; une bonne soupe, mais on en ressort ni perturbé, ni joyeux, ni pensif, juste déçu.

Sylvie
21/09/2020 à 11:25

J'en suis au 5eme épisode, c'est juste génial. Laisser les enfants loin de l'écran svp !!!

Vi
21/09/2020 à 02:57

Première saison d'une série totalement incroyable ! Du vrai cinéma, de magnifiques images et surtout de très très bons acteurs. Hâte de voir la suite du coup.

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