Gamekult est brutalement liquidé : fin de cycle pour la presse jeu vidéo ?

Lino Cassinat | 23 novembre 2022 - MAJ : 23/11/2022 19:38
Lino Cassinat | 23 novembre 2022 - MAJ : 23/11/2022 19:38

Le nouveau propriétaire du site Gamekult a brutalement liquidé la rédaction sans attendre la fin du préavis. Une institution du jeu vidéo disparaît.

Ancien joyau de la presse vidéoludique française, la rédaction de Gamekult, site consacré au jeu vidéo connu pour son exigence et son intransigeance critique, n'est plus. Son histoire n'a jamais été facile, et son positionnement éditorial lui aura valu de nombreuses pressions. Mais c'est finalement le rachat du site par le très controversé groupe Reworld Media qui aura eu raison de Gamekult tel qu'on le connaît.

Reworld est en effet connu pour avoir été le fossoyeur de nombreuses publications (notamment Science & Vie), la faute à sa gestion brutale et précarisante, ainsi que sa direction quasi-explicitement et exclusivement tournée vers la pub, le brand content et la satisfaction des annonceurs.

 

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"un journal sans journalistes"

Ne souhaitant pas connaître l'avenir d'un titre comme Marie France (passé de 28 à 2 journalistes en six ans), ou devenir un "journal sans journalistes" pour reprendre une expression de L'Obs, Gamekult avait annoncé la semaine dernière le départ de la quasi-totalité de sa rédaction pour le 7 décembre.

Mais Reworld a réagi hier en mettant toute l'équipe en dispense d'activité, une disposition légale au cours d'une procédure de licenciement qui permet à un employeur de ne pas faire travailler ses employés.

La rédaction démissionnaire de Gamekult s'est donc ainsi vue couper l'herbe sous le pied, sommée de précipitamment quitter leur lieu de travail et faire ses cartons, comme dans un film. Impossible également pour elle d'enregistrer sa dernière émission, censée servir d'adieux nobles.

Une politique de la terre brûlée aussi inutile qu'injuste de la part de Reworld, mais que voulez-vous, la décence et la logique sont étrangers aux ego blessés. Selon un article de Libération, la décision aurait en effet été prise suite à l'émission spéciale de la semaine dernière pendant laquelle la rédaction expliquait les raisons de son départ groupé. Soit l'équivalent de débarquer aux obsèques de sa victime pour voler son cadavre, méthode très prisée du régime iranien.

 

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sentence & signal

Cette situation est évidemment dramatique pour les personnes concernées, auxquelles nous adressons notre soutien. C'est aussi dramatique pour Gamekult en tant que tel, dont le nouveau propriétaire vient d'envoyer un signal clair quant à ses méthodes managériales, accréditant implicitement au passage toutes les critiques contre Reworld Media depuis des années.

Mais c'est aussi dramatique pour l'ensemble de la presse vidéoludique en général, dont le deuxième plus gros titre historique et dernier bastion reconnu de liberté vient de périr dans les griffes d'un prédateur cupide. Tout un symbole : Gamekult ne sera plus dirigé par un rédacteur en chef, mais par un responsable de marque.

Si la situation de la presse culturelle française est très mauvaise depuis des années – en témoigne le récent cri d'alarme poussé par la presse papier cinéma – et qu'Écran Large a de quoi vous en parler pendant des heures, elle est à son pire niveau tout particulièrement dans le secteur du jeu vidéo. Une industrie économiquement florissante et plus forte que jamais, mais dont les médias qui lui sont consacrés en France sont anéantis, ou subsistent difficilement dans des niches en dehors de la portée du grand public.

 

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et après gamekult ?

Qu'attendre du futur ? C'est peut-être le plus déprimant dans toute cette histoire, mais si l'on en croit l'article de Libération : pas grand-chose, du moins pas tant qu'un rééquilibrage ne sera opéré dans le secteur de la presse culturelle, transformée en véhicule promotionnel servile. La rédaction de Gamekult n'a semble-t-il pas prévu de se réunir ailleurs – ce qui se comprend : comment retrouver la motivation, comment faire face à des mastodontes détenus par des empires financiers ? –, et une volatilisation du discours critique en ligne en France est à prévoir. Il faudra se tourner vers les médias anglo-saxons ou s'accrocher aux derniers espaces d'indépendance réduits à peau de chagrin.

 

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Point de salut en effet sur Twitch et Youtube. Selon Gautoz, désormais ancien de Gamekult, il n'y a qu'un nombre de places très limité et seulement pour des gens déjà connus. Et comme l'attention s'y concentre autour d'individus qui ne peuvent nécessairement pas bénéficier de la synergie et des moyens d'une rédaction entière, la pratique journalistique y est faite a minima : pas de grands formats ou d'enquêtes, tout juste est-il possible de faire du commentaire. Soit exactement ce dont rêve une industrie tentée par toutes les pratiques scabreuses, et dont les garde-fous disparaissent un à un.

Morale du Doritos-gate : à la toute fin des fins, c'est le petit cracker qui a croqué l'être humain comme une chips.

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commentaires
Rosati.
06/02/2023 à 00:46

Contact Tom Cruise acteur

Cidjay
28/11/2022 à 12:40

C'est la tristesse de Moldavie !
Perso, j'ai beaucoup fréquenté GK jusqu'à leur passage en mode "payant".
leurs test étaient de valeur sûre, ils étaient intègres et pas juste là pour encaisser des chèques de la part des éditeurs.
après ça, ne restant que les news de gratuites, je ne voyais pas trop l'intérêt pour moi de payer ce que je pouvais avoir gratuitement chez les autres (les news) entre Gamekyo, Gameblog, Jeuxvideo.com, IGN...
Je leur souhaitent de trouver le courage et le pognon pour refonder une petite SARL et refaire un site de même qualité et indépendant !
mais faudra du pognon pour faire de la pub.

Kynapse
25/11/2022 à 13:57

J’étais abonné jusqu’alors chez Gamekult, et c’était mon site vidéoludique préféré.
Que reste-t-il du côté francophone ? Canard PC, excellent lui aussi mais dont la parution n’est que mensuelle ?
Ça me terrasse. Quelle tristesse…

letarsier
25/11/2022 à 08:15

Reworld n'est que l'avatar d'un mal profond, pas sa source. Certes, l'entreprise est parasite, mais elle est surtout opportuniste : elle va là où est l'argent et revoit la redistribution des revenus à son profit.

L'article parle de presse vidéoludique, par défaut, je n'oserais dire par habitude.

Mais qu'en est-il vraiment, de cette presse ? Combien de journalistes professionnels en son sein ? Ayant un peu la flemme, je me permets de citer un passage concernant la carte de journaliste:

"La carte d’identité des journalistes professionnels a été créée en 1935, pour éviter que des journalistes soient influencés dans leurs écrits par le fait qu'ils exercent majoritairement leur activité dans un autre métier (publicitaire, avocat, commercial) pour le compte d'une entreprise ne vivant pas de la vente d'un média."

Tout est dit, rien à ajouter. La presse vidéoludique est gangrénée depuis des années par des annonceurs qui ne sont autres que des acteurs du JV, sans même parler des avantages, voire de doubles casquettes offertes aux journalistes. Ainsi, qu'un journaliste participe à la promotion d'un jeu l'après-midi rédige la critique du même jeu le soir n'est pas en soi une grande nouveauté. Non non, il n'y aura pas de nom.

Que l'on se rassure, du côté de YT and co et ses influenceurs, on est dans la même optique, voire parfois même dans le même bateau, certains journalistes ayant leurs propres chaines, dont ils tirent revenu, tout en exhibant fièrement les éditions collector reçues, et ce avant de réciter l'hymne à la gloire de ce jeu, lequel est, par le plus des hasards, une pépite ! Quelle heureuse coïncidence !

A partir de ça, que reworld se dise "par ici la bonne soupe" n'était qu'une question de temps, au fond.

En ce qui concerne l'expérience GK, on voit clairement que le tout payant n'est pas une solution pérenne au niveau financier. A la limite, une section payante sur les gros reportages et pour le reste, un gros tri au niveau des annonceurs, pour éviter justement ce système délétère. Reste quand même que l'exigence a payé, GK n'ayant jamais été dévalorisé, contrairement à pas mal d'autres titres.

En ce qui concerne l'avenir de la rédaction, contrairement à eux, je pense qu'il y a de la place sur YT pour une chaine incisive et de qualité, surtout en s'y mettant à plusieurs, parce qu'en individuel, ils vont effectivement se noyer. L'excuse d'enquêtes impossibles ne tient pas vraiment la route quand on voit le réseau professionnel qu'ils ont pu se constituer. Là encore, un mix gratuit et payant peut être tenté, avec une diffusion pluri-plateformes pour toucher le maximum de monde.

Baldur
24/11/2022 à 16:09

Libre à vous de me croire ou non, mais j'ai indirectement bossé pour Riri pour un autre site du groupe. Et je peux vous dire qu'ils regardent de très près Canard PC. J'espère juste que CPC va résister mais pour combien de temps... Et pour ceux qui ont regardé le reportage d'Arrêt sur Image, je connais très bien l'une des deux personnes qui a témoigné. Je peux vous dire qu'il est en total burnout aujourd'hui. On crachait sur Webedia, Riri est un cran au-dessus...

L'autre
24/11/2022 à 10:57

Moi je suis CanardPC depuis pffff 20 piges mais je suis triste car GK avait une ligne éditoriale vraiment intéressante et un travail de grande qualité !
On accueille les réfugiés de forum GK sur canardPC en ce moment en faisant des cœurs avec nos petits doigts ;-)

Bilbo
24/11/2022 à 09:50

@Geoffrey : une réponse un peu plus développée ne serait pas de refus :-)

Geoffrey Crété - Rédaction
24/11/2022 à 09:45

@Pseudo2

Comme ils le disent : cette situation ne doit pas être perçue comme l'échec de ce modèle, effectivement. Après, comme ils le disent aussi : ils auraient eu besoin du double d'abonnés pour survivre réellement. Sachant que 12 000 est déjà incroyable... ça donne une idée des limites de la réalité.

Pseudo2
24/11/2022 à 09:41

Etant abonné à Gamekult, je trouve que l'abonnement était une bonne chose : le contenu "lourd" a augmenté ( podcasts, emissions longues, reportages, articles d'investigations )
Et surtout, il faut savoir qu'ils avaient eu raison de le faire : 12000 abonnés, c'est énorme et c'était une réussite pour eux.

En restant gratuits, ils auraient de toute façon coulé, mais beaucoup plus vite et en faisant l'impasse sur tout contenu de qualité.

Geoffrey Crété - Rédaction
24/11/2022 à 09:38

@Bilbo

Non

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