The Humbling : Barry Levinson et Al Pacino face à Hollywood

Jacques-Henry Poucave | 2 avril 2015
Jacques-Henry Poucave | 2 avril 2015

Il a remporté un Oscar, un Ours d’Or et un Ours d’Argent. Il a réalisé Rain Man, Young Sherlock Holmes, Good Morning Vietnam, Harcèlement, Sleepers… Barry Levinson est de ces grands réalisateurs dont le nom semble ne jamais totalement adhérer à la postérité. Il nous revient pourtant avec The Humbling, où il s’allie à Al Pacino le temps d’une balade désespérée et désenchantée. Une œuvre qui parle autant de son auteur que d’un certain état du cinéma.

S’il a touché à nombre de genres et de tonalités différentes, voire opposées, Levinson est revenu au moins par trois fois sur un sujet fondamental, qui titille plus ou moins chaque cinéaste. Le cinéma lui-même, et en particulier son rapport à Hollywood.

Barry Levinson déclarait en septembre 2014 dans les colonnes de The Wrap « aucun studio ne produirait Rain Man aujourd’hui ». Que l’on juge cette sentence abusive, amère ou pertinente, elle couronne l’évolution d’un rapport ambivalent de l’artiste à son medium, qu’il aura ausculté en trois films.

 

Des Hommes d'influence

Lorsque le leader du Monde Libre doit dissimuler une affaire de mœurs embarrassante, décision est prise de détourner l’attention du public avec un conflit virtuel. Et qui mieux qu’un producteur hollywoodien pour fabriquer de toute pièce une guerre qui n’existe pas, ses images de chaos, sa fiction totale ?

Le film est acclamé à Berlin et globalement très bien reçu par la presse. Bien écrit, vif, satyrique sans être jamais aigri, il fait montre d’un subtil mélange de critique et de fascination pour le Septième Art.

En effet, si Hollywood y est une vaste entreprise de dissimulation, de manipulation et de mensonge, elle s’avère aussi une terre de rêves et de fantasme. D’ailleurs ce n’est à la figure du producteur en mal de reconnaissance artistique que s'adresse la charge négative du film. Lui songe désespérément à créer, quand on lui demande d’exécuter servilement.

Déjà le réalisateur distille sa vision d’un système où l’art est en déclin, mais où transparaît clairement un amour immodéré de ce petit monde.

 

Panique à Hollywood

Tout est dans le titre. Nous suivons ici une galerie de personnages, dont Sean Penn et Bruce Willis dans leur propre rôle. Tous gravitent autour d’un producteur, Ben (Robert De Nir, inspiré par le producteur Art Linson), alors qu’un studio menace de couper la fin de son prochain film, et que le suivant est menacé par sa star capricieuse. Au milieu de ce chaos, il tente de sauvegarder sa place au sein d’une photo symbolique, où seront réunis les plus grands producteurs hollywoodiens.

Nostalgie de l’artiste appartenant à un autre temps et un autre système, décalage du témoin d’un monde en train de sombrer, le héros de Panique à Hollywood témoigne du désenchantement de Barry Levinson.

Comme si lui-même se préparait à tourner le dos à un univers qui ne veut plus de lui et de ses personnages.

 

The Humbling

À première vue, The Humbling ne parle pas de cinéma. Nous y accompagnons un acteur de théâtre sur le déclin et au bord de la folie (Al Pacino) alors qu’il hésite entre remonter la pente et sombrer totalement.

À première vue, The Humbling témoigne d’une sacrée noirceur de la part de son metteur en scène. Le monde de l’art y est misérable, égocentré, pathétique et agonisant. Rien ni personne ne semble plus s’y battre pour créer, alors que le néant menace d’engloutir les derniers tenant d’une esthétique désormais méprisée par le grand public.

Mais voir le film ainsi, c’est oublier qu’à travers la figure du Comédien, de Pacino, Levinson n’étale pas tant son désespoir qu’il ne le tourne en dérision. Cet individu vieillissant et décalé, c’est lui, c’est l’artiste, pris dans une gangue hollywoodienne dont il ne sait s'il doit se laisser écraser ou s’il lui faut s’en échapper. Il le fait avec dérision et avec l’espoir pas si secret que tout cela sera une renaissance.

Le Levinson de The Humbling est d’ailleurs celui qui a tourné quelques mois plus tôt You don’t know Jack, pour HBO. Et si critique acerbe d’Hollywood il y a, il convient de voir ici aussi son dépassement.

Comme il le répète à l’envi, le metteur en scène est désormais parfaitement au fait des chemins de traverse qui s’offrent à lui pour continuer et prolonger sa carrière. C’est sans doute là le grand mérite de The Humbling. Rendre compte d’une carrière arrivée non pas à bout de souffle, mais à un tournant décisif, et dont cette étape dépressive ne consitue pas un adieu mais un nouveau départ.

Réalisé pour 2 millions de dollars et filmé par intermittence afin de coller à l’agenda chargé d’Al Pacino, The Humbling est la progéniture du cinéma numérique « de rupture », porteur « de nouvelles opportunités » que décrivait Levinson à Entertainment Weekly en janvier dernier.

L’artiste venait alors d’annoncer qu’il quittait la toute puissante Writer’s Guild, décisionnaire aux Etats-Unis en matière de droits d’auteur, dont il a été un membre émérite pendant près de 40 ans. Un geste aussi brutal qu’étonnant, lié au traitement de ses apports à The Humbling, dont il estimait que la Guilde refusait de reconnaître la réalité.

Un geste qui, comme la chute initiale de son personnage dans le film, évoque plus un rebond qu’un crash.

 

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commentaires
La Rédaction - Rédaction
03/04/2015 à 16:13

Oui il faut rendre justice à Barry... et Pacino.
Le thème de the Humbling me rappelle quand meme un certain Birdman

La Rédaction - Rédaction
03/04/2015 à 16:12

Joli dossier ! Levinson fait partie de mes réal fétiches et il m'est arrivé arrivé d'être indulgent avec lui. Je pense que j'irai voir Humbling.

Matt
02/04/2015 à 22:21

Les hommes du président.. Des hommes d'influence plutôt non?
A noter la présence du trop souvent absent Michael Wincott dans panique à Hollywood.