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Cannes 2024 : on a vu Flow et son adorable chat en pleine apocalypse (et on a parlé au réalisateur)

Par Antoine Desrues
24 mai 2024
MAJ : 27 mai 2024
Flow : on a vu Flow et son adorable chat en pleine apocalypse (et on a parlé au réalisateur)

Ecran Large est de retour sur la Croisette pour l’édition 2024 du Festival de Cannes, en partenariat avec Métal Hurlant. Et c’est l’heure de revenir sur Flow, film d’animation letton où un chat tente de survivre à une catastrophe écologique.

Métal Hurlant nous accompagne à Cannes cette année, dans notre exploration des sélections hétéroclites du festival. Au travers de récits de bande dessinée et d’articles sur l’actualité culturelle, Métal Hurlant développe avec éclectisme, dans quatre numéros par an, un imaginaire sans aucune limite. Une ligne éditoriale totalement en accord avec la soif d’expérimentations et de découvertes du Festival de Cannes.

Au même titre que le documentaire, l’animation est souvent peu présente pendant le Festival de Cannes. Dès lors, on a tendance à se jeter sur la moindre proposition, surtout lorsqu’elle est issue d’Un Certain Regard (en 2016, La Tortue rouge y avait brillé). Ça tombe bien, Flow débarque avec une ambition proche du film de Michael Dudok de Wit : une fable sans dialogues sur la (sur)vie. Et cette fois, c’est avec un petit chat. KO par forfait.

 

 

Un film qui a du flow

De quoi ça parle ? Alors qu’un déluge s’abat sur son monde, un chat trouve refuge sur un bateau en compagnie d’autres animaux. Solitaire et méfiant, le félin va devoir apprendre la vie en communauté.

C’était comment ? On avait repéré le réalisateur letton Gints Zilbalodis avec Ailleurs, film sur la profonde solitude d’un humain abandonné sur une île. Le cinéaste avait réalisé cet exploit seul (ou presque), au point de connecter son expérience avec celle de son personnage.

Avec Flow, le réalisateur a désormais les moyens de ses ambitions, et avec lui, une équipe. Il est le premier à faire le lien entre son parcours et celui de ce petit chat contraint de faire confiance aux autres. Cela explique peut-être l’évidence instinctive et viscérale de ce récit sans dialogues. D’un côté, le long-métrage est d’une limpidité thématique et structurelle impressionnante d’universalité. De l’autre, sa mise en scène ne cesse de façonner un voile de mystère qui fait toute sa singularité.

 

 

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FLOW, c’est l’histoire d’un petit chat dans une apocalypse où la nature reprend ses droits. @Ant_Desrues revient sur cette pépite de la sélection Un Certain Regard. pic.twitter.com/y2IxzIehPO

— Ecran Large (@EcranLarge) May 23, 2024

 

Alors qu’on démarre dans une maison remplie de statues de chats, Flow se laisse aller à l’ambiguïté de son hors-champ. Dans ce monde en apparence post-apocalyptique, les humains semblent avoir disparu. Derrière l’étonnante tranquillité qui se dégage de cette absence, ce sont les animaux qui payent les pots cassés. La catastrophe écologique prend ici la forme d’un déluge (impressionnante imagerie, portée par un rendu de l’eau très réussi), qui engloutit le passé autant qu’il impose une mutation de notre planète.

Embarqué malgré lui dans un périple aux accents mythologiques campbelliens, notre ami félin est bien contraint, comme les autres, de s’adapter. L’environnement a l’ascendant, et c’est d’ailleurs lui qui conduit la direction de la narration. On sent le film nourri par le jeu vidéo, avec sa caméra qui tournoie autour des corps et pénètre l’espace dans des travellings saisissants. Avec un sens de l’échelle aussi poétique que spectaculaire, Zilbalodis nous parle d’une nature qui panse ses plaies, se reboote avec toute la violence que cela suppose.

C’est aussi pour cette raison que Flow n’hésite pas à convoquer une certaine noirceur, une sensation d’abandon cosmique où cette troupe d’animaux n’a plus qu’elle-même pour se protéger. Face à une telle réussite, on avait forcément envie d’en parler avec son réalisateur.

 

Flow : photoUne certaine vibe Journey et Shadow of the Colossus

 

Entretien avec GInts Zilbalodis

Ailleurs était déjà un film quasi-silencieux. Qu’est-ce qui vous a amené à faire de nouveau un film sans dialogues ?

Gints Zilbalodis : Dès mes courts-métrages, j’ai évité les dialogues, donc ça a toujours été plus simple pour moi comme ça. Je me sens plus à l’aise en racontant des histoires visuellement. Ça laisse plus d’espace pour la caméra, le son et la musique. Je le vois aussi comme un challenge. Je ne peux pas me contenter d’expliquer un élément du scénario par la voix. Ça contraint à la créativité.

Le principal outil de narration à votre disposition, c’est la physicalité de ce chat, son langage corporel. Comment vous l’avez approché ?

G.Z. : Mes animateurs ont fait un gros travail de référence pour reproduire au mieux les mouvements d’un chat. Ils ont passé beaucoup de temps sur Youtube, et même à filmer leurs propres animaux de compagnie. C’est très dur d’animer des créatures à quatre pattes. Ce n’est pas seulement deux fois plus dur que pour les bipèdes. Ça demande un temps fou. Donc je suis heureux d’avoir eu une équipe d’animateurs pour le faire à ma place (rires). En tout cas, malgré le défi, on est contents du résultat, parce que la physicalité acrobatique d’un chat est parfaitement adaptée pour de l’animation.

 

Flow : photoEn route mauvaise troupe

 

Vos mondes sont dépeuplés et solitaires, et en même temps, il y a une forme de sérénité dans cette absence d’êtres humains. C’est pour dire que cette Terre serait mieux sans nous ?

G.Z. : Non, pas vraiment. Quand la catastrophe arrive, on n’en connaît ni les origines, ni la réaction des humains. Je suppose que certains ont pu s’en sortir, mais je me concentre sur les animaux parce que ce sont eux qui doivent faire face aux conséquences directes du déluge. J’ai choisi l’eau parce que ça représente plusieurs choses. Elle est effrayante au début, mais elle apporte aussi, comme vous dites, une sérénité, voire même une certaine beauté dans cette façon de tout reprendre à zéro. C’était un défi parce qu’il n’y a rien de plus dur en animation que la simulation d’eau. Sa manière de réagir aux éléments ne peut pas se résumer à un seul système, et quasiment chaque plan a demandé des outils particuliers.

Justement, l’eau et les environnements sont photoréalistes, tandis que les personnages sont moins détaillés, avec un look plus proche du cel-shading. Pourquoi cette distinction ?

G.Z. : Le but était de styliser les personnages par leur simplification, notamment pour que les décors ressortent encore plus d’un point de vue de l’immersion. Je trouve aussi qu’en épurant les animaux, c’est plus simple de projeter des émotions sur eux. C’est comme si on remplissait nous-mêmes les zones en manque de détails. C’est une technique qu’on retrouve dès l’animation 2D, où le personnage est plus “plat” que le décor pour des questions de contraste. C’était important pour assurer l’investissement du spectateur dans l’échelle imposante des décors. La caméra se veut très immersive, à rester au plus près des corps des personnages et de leurs sensations.

 

Flow : photo« C’est Byzance ici ! »

 

En parlant de caméra, il y a un feeling très proche du jeu vidéo, dans Ailleurs comme dans Flow. L’objectif gravite autour des corps comme dans un third-person shooter, parfois en faisant des mouvements assez spectaculaires. Comment vous intégrez ce langage dans un autre médium ?

G.Z. : Je dirai que l’influence du jeu vidéo est surtout présente dans la narration environnementale, dans la manière qu’a l’histoire de s’écrire par le décor. On ne comprend pas tout de leur sens ou de leur origine, mais ils donnent des indices au spectateur sur l’état de ce monde. Pour la caméra, l’inspiration vient moins du jeu vidéo que des longues prises cherchées par certains cinéastes. J’aime ces chorégraphies très complexes, où la caméra est comme emportée dans une danse. Elle doit réagir aux événements, ce qui donne un aspect presque spontané et improvisé.

Là où le jeu vidéo peut se ressentir, c’est que pour obtenir ces plans, on a choisi une esthétique 3D qui s’en rapproche, avec moins de détails que dans d’autres films du genre. Ça nous permettait de pouvoir explorer plus librement les environnements 3D dans des versions préliminaires, et avoir des rendus beaucoup plus rapides. Pour moi, c’est essentiel, parce que j’ai besoin d’expérimenter, de tester plusieurs directions pour des plans, voire des séquences entières. Il y a des réalisateurs comme les frères Coen qui savent exactement ce qu’ils veulent. Ils ont tout le film dans leur tête. Ce n’est pas mon cas. Sur Flow, il n’y a pas eu de story-board, ce qui est assez inhabituel pour un film d’animation. D’une certaine façon, on était proche d’une démarche de live-action. Je visitais le décor virtuel le matin, et je pouvais décider à quel endroit placer la caméra, pour capter le ressenti que je souhaitais.

 

Flow : photoC’est pas le chat qui prend la mer

 

Ailleurs est un film sur la solitude que vous avez fait pratiquement tout seul. Flow est un film sur un personnage qui apprend à faire confiance aux autres. Votre approche de l’animation a-t-elle évolué maintenant que vous avez, vous aussi, une équipe ?

G.Z. : Quand je faisais mes films auparavant, il suffisait que j’aie une idée pour la tester. La plus grande différence maintenant, c’est d’articuler mes idées, de les expliquer aux autres. Et comme j’aime expérimenter, c’était parfois difficile d’exprimer ce que je désire. Mais je pense qu’on a trouvé le bon équilibre pour que ce va-et-vient avec les animateurs fonctionne. Le bénéfice, c’est que tout est plus précis, parce qu’il faut savoir tout expliquer et justifier. J’apprécie les moments plus abstraits et ésotériques, mais il faut qu’ils aient un sens. Parfois, l’équipe a dû faire confiance à mon instinct, mais j’avais une meilleure vision du résultat final.

Ce parallèle a eu un impact sur l’écriture du film ?

G.Z. : Oui. On a eu plusieurs versions de scénario, qui ont beaucoup évolué. Mais une fois que le scénario était terminé, je ne l’ai plus jamais relu. J’ai basé les animatics (versions grossières des scènes animées, ndlr) sur ma mémoire. Comme ça, j’étais sûr que les scènes essentielles allaient s’imposer d’elles-mêmes, et si j’en oubliais d’autres, c’est peut-être qu’elles n’étaient pas si importantes pour être dans le film. Globalement, je connaissais le scénario par cœur, mais ça m’a permis de prendre quelques détours après la pré-production. Il y a notamment une scène onirique importante au sommet d’une “montagne”. Je savais ce que devait être la conclusion de ce passage, mais sans pouvoir l’expliquer. Ce n’est que bien plus tard, quand le compositeur du film m’a demandé de lui donner une intention pour sa partition que j’ai été obligé de comprendre ce que je voulais exprimer. Je trouve que cette séquence résume bien le voyage de cinq ans qu’on a eu avec ce projet.

Rédacteurs :
Tout savoir sur Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau
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Dario 2 Palma

Pas de date de sortie annoncée en France?

@tlantis

le film donne très envie.

Hasgarn

@的时候水电费水电费水电费水电费是的 Cidjay :

« Justement, l’eau et les environnements sont photoréalistes, tandis que les personnages sont moins détaillés, avec un look plus proche du cel-shading  »

À priori, il a l’air techniquement de qualité et largement réfléchi. Et puis, on a vu des jeux vidéos magnifique sur des hardwares pas fifou comme les 2 derniers Zelda, par exemple 😉

Cidjay

On parle beaucoup de jeux vidéo qui ressemblent à des Production full CG en 3d, mais là, étrangement la direction artistique fait penser à l’inverse, on dirait vraiment un jeu vidéo.
C’est très beau, mais on dirait que c’est limité par la technique d’un Hardware PS4/Switch…