En eaux très troubles : la vraie victime de ce naufrage, c'est lui (non pas Jason Statham)

Mathieu Jaborska | 5 août 2023
Mathieu Jaborska | 5 août 2023

À la surprise générale, c'est bien Ben Wheatley qui s'est chargé de la réalisation du décevant En eaux très troubles. Le résultat d'un processus de reconversion hollywoodienne compliqué pour l'ex-petit prodige du cinéma indépendant anglais.

Jusqu'ici, le bal des réalisateurs ayant travaillé à l'adaptation du roman de Steve Alten était plutôt cohérent. La version abandonnée de New Line, dont les concept arts ont révélé l'approche plus horrifique, devait être mise en scène par l'ancien chef opérateur néerlandais devenu artisan hollywoodien Jan de Bont (avec Guillermo del Toro à la production).

C'est d'ailleurs le sale gosse du cinéma gore Eli Roth qui fut d'abord pressenti par Warner au moment de prendre le relai, avant son départ pour divergences artistiques, possiblement donc à cause de l'orientation familiale décidée par les coproducteurs sino-américains. Il fut remplacé par un autre technicien aguerri de l'industrie hollywoodienne, Jon Turteltaub, réalisateur des deux Benjamin Gates. Rien de bien excentrique.

 

 

Fast Rise

Mais quand en octobre 2020, il fut annoncé que Ben Wheatley s'occuperait de la suite, ce fut une sacrée surprise. Certes, le cinéaste était alors en train de défendre sa version de Rebecca diffusée sur Netflix, avec Armie Hammer et Lily James. Mais rien ne le prédisposait à jouer les yes-men pour la suite douteuse d'une série B à 130 millions de dollars. Car avant de tenter sa chance un peu maladroitement à Hollywood, il était la coqueluche du cinéma indépendant anglais et l'ambassadeur d'un cinéma de genre tout neuf aux yeux de certains.

Remarqué pour ses activités amatrices en lignes, puis pour ses travaux dans la publicité, Ben Wheatley a commencé à la télévision anglaise avant de monter son premier long-métrage, le très fauché, mais apprécié Down Terrace. C'est cependant son deuxième essai qui a attiré l'attention d'une partie de la presse et de la cinéphilie spécialisées. Kill List, étrange récit de folk horror avec l'excellent Neil Maskell, est devenu l'un des symboles d'une épouvante plus minimaliste, parfois taxée injustement d'érudite, surnommée "slowburner" et alors en passe de prendre d'assaut les festivals.

 

Kill List : photoRituels païens dans Kill List

 

Fort de ce coup d'éclat, il a alors décliné cette approche dans plusieurs films et dans plusieurs genres. Il s'est essayé – avec brio – à la comédie noire via Touristes, histoire de vacances en amoureux qui tournent au jeu de massacre, puis au film historique avec English Revolution, tourné en noir et blanc. Tous deux furent acclamés par la critique. Tous deux font preuve d'une économie de moyen et d'une subtilité à des kilomètres de En eaux très troubles. Et si l'annonce de son embauche a surpris, c'est parce que beaucoup l'associent encore à cette partie de sa carrière.

 

Touristes : photoLe rigolo Touristes

 

Nids de poule sur Hollywood Boulevard

Cela fait quelques années que Wheatley veut jouer dans la cour des grands, expliquant en interview apprécier aussi bien le cinéma indépendant que les bons gros blockbusters des familles, comme bon nombre des spectateurs. Toutefois, c'est lorsqu'il a commencé à s'approcher du rêve cinématographique américain qu'il a cessé de faire l'unanimité.

En 2015, il s'octroyait les services d'un Tom Hiddleston au sommet de sa popularité pour l'audacieuse adaptation d'un classique de la littérature : I.G.H. de Ballard. Écrit par sa collaboratrice régulière, Amy Jump, High-Rise espérait faire oublier son petit budget à force d'ambition. Toutefois, il a largement déçu la presse et échoué au box-office. Même constat pour Free Fire, pourtant doté d'un casting prestigieux (Cillian Murphy, Brie Larson, Armie Hammer pré-cannibalisme) et sorti dans plus de 1000 salles aux États-Unis. Après un petit retour en force critique avec Happy New Year, Colin Burstead, il s'est encore approché d'Hollywood avec sa version de Rebecca, achetée par Netflix.

 

Free Fire : Photo Cillian Murphy, Michael Smiley, Sam RileyFree Fire, déjà quelques petits problèmes de gestion de l'espace

 

C'est donc à dos de Megalodon que le réalisateur a officiellement traversé l'Atlantique. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que la douce étrangeté qui a fait le succès de ses premières oeuvres a complètement disparu. Cette fois contraint de composer avec le scénario des auteurs du premier opus et un cahier des charges à rallonge, il ne rassurera pas ceux qui s'inquiétaient de la tournure de sa carrière. "J'ai juste vraiment aimé En eaux troubles", se justifiait-il au micro de Collider. "En général, je fais confiance à mon instinct quand quelque chose m'arrive par mon agent. Si j'aime, j'y vais." Difficile de le blâmer.

D'autant qu'il fait partie des artistes à avoir profité de la période de la pandémie pour revenir à ses premières amours. Juste avant The Meg, il a fait parler de lui avec la micro-production In the Earth, tournée en 15 jours à l'économie sur des prémisses de folk horror. Étonnamment, il y est plus radical que jamais, lorgnant même le cinéma expérimental lors de la dernière demi-heure. Vous n'en avez pas entendu parler ? Normal, la chose n'est jamais sortie en France à l'exception d'une projection parisienne, malgré une réception critique américaine plutôt favorable, probablement à cause des retours horrifiés d'une grande partie du public, qui n'a pas digéré la fin cryptique du film.

 

In the Earth : photoIn the Earth, pas si mal

 

Entre blockbusters pas très frais et cinéma d'auteur anonyme, le cinéaste, un temps attaché à la suite de Tomb Rider, serait-il dans une impasse ? Son futur est incertain, le projet Freak Shift, avec Sasha Lane et Alicia Vikander, dont il parle depuis des années, étant très probablement au point mort. Les eaux sont décidément très très troubles à Hollywood...

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commentaires
Andarioch1
11/08/2023 à 22:15

Kill list m'avait intrigué au début puis déçu, et enfin donné l'impression de m'être fait arnaquer.
A suivi une interview de la nouvelle coqueluche des critiques arty et/ ou intello, dans laquelle le "maitre" donnait des leçons de cinéma, l'ego boursouflé par sa propre autosatisfaction.
Bref je l'aime pas.

Marc
05/08/2023 à 23:31

@Hannormal

Kill List ( 2012) oui effectivement pas vu.

Hannormal
05/08/2023 à 22:37

Totalement inconnu ?!
N'importe quel amateur de genre un minimum chevronné connait bien sa filmographie.
Kill List, il y a déjà 10 ans, c'était pas passé inaperçu.

Marc
05/08/2023 à 22:03

Ben Wheatley un réalisateur totalement inconnu même ces films j'en ai vu aucun. Si avec En eaux très troubles MEG 2 il se fait dent sur un grand Film à gros Budget. Qui c'est un jour il trouvera un meilleur scnénario et réalisera le film qui va le révéler ! James Cameron a bien commencé par un NANAR Piranha 2 : Les Tueurs volants avant de réaliser TERMINATOR