Marvel : un artiste d'effets spéciaux balance sur son travail infernal avec le studio

Axelle Vacher | 27 juillet 2022 - MAJ : 29/07/2022 11:22
Axelle Vacher | 27 juillet 2022 - MAJ : 29/07/2022 11:22

Dans un témoignage anonyme, un artiste VFX a rendu compte de sa propre expérience avec Marvel, et ce n'est pas joli joli.

Nouveau jour, nouvelles allégations à l'encontre de Marvel. Depuis plusieurs années déjà, le célèbre studio se voit régulièrement reprocher de ne pas nécessairement fournir à ses employés un cadre de travail idéal. Accusés de racisme par Anthony Mackie (alias, le Faucon), ou encore de maltraiter les auteurs de comics dont dépendent pourtant leurs productions, Marvel ne semble pas totalement apprécié de ses divers employés. 

Plus récemment, ce sont les spécialistes responsables des effets spéciaux qui ont poussé un vaste coup de gueule contre le MCU via la plateforme Reddit. Excédés par les méthodes du studio, ces derniers ont ainsi dénoncé des conditions harassantes, une surcharge de travail continue, ainsi que des délais toujours plus difficiles à tenir. Un mécontentement général dont les premiers témoignages semblent désormais connaître un effet boule de neige.

 

 

 

un environnement de travail moins sain que l'armée de thanos

Alors que l'ancien artiste VFX Dhruv Govil (lequel a notamment collaboré sur Les Gardiens de la Galaxie et Spider-Man : Homecoming) rapportait début juillet que son expérience avec Marvel l'avait poussé à quitter l'industrie, un nouvel artiste responsable des effets spéciaux a lui aussi décidé de bondir sur l'occasion pour décrire, au moyen d'un témoignage anonyme relayé par Vulture, un envers du décor peu enviable :

"Il est bien connu dans l'industrie que travailler pour Marvel est particulièrement difficile. Quand je travaillais sur un film, je faisais pratiquement six heures supplémentaires tous les jours. Je travaillais sept jours par semaine pour une moyenne de 64 heures de travail hebdomadaire... et ça, c'est quand ça se passait bien. Marvel nous fait travailler comme des mules. Certains de mes collègues venaient s'assoir près de moi et se mettaient à pleurer hystériquement, tandis que d'autres faisaient des crises d'angoisses au téléphone."

L'artiste a par la suite décrit l'importance du studio pour l'industrie des effets numériques. En effet, fort d'un rythme de diffusion toujours plus soutenu à mesure que les Phases s'enchaînent et que l'univers cinématographique continue de s'étendre (d'autant plus avec l'arrivée des séries dans l'équation), Marvel a rapidement su se positionner comme un client VFX indispensable. 

 

Avengers : Infinity War : photo, Josh BrolinSeul point positif : pas de VFX, pas de Thanos

 

des délais intenables

L'un des autres problèmes majeurs que soulève le témoignage, c'est bien la gestion des effets spéciaux par le studio. Marvel est effectivement célèbre à travers l'industrie cinématographique pour réclamer moult changements tout au long du processus de création des effets numériques, et ces modifications seraient, d'après l'artiste, loin d'être mineures. Il arriverait, par exemple, qu'un mois ou deux avant que le film soit diffusé en salles, Marvel ordonne aux artistes de repenser l'intégralité du troisième acte :

« Le problème vient du MCU en lui-même – il y a trop de films. Le studio arrête des dates de sorties, et une fois fixées, elles ne bougent pas. Ils sont inflexibles. Et pourtant, Marvel n'a aucun scrupule à commander des reshoots et des modifications non négligeables alors que les dates de sorties des films se rapprochent dangereusement [...]. Mais c'est loin d'être nouveau.

 

Black Widow : photo, Florence PughAh, la "magie" du fond vert

 

Je me rappelle une fois, j'étais parti faire une présentation visuelle pour l'un des premiers films Marvel à un studios VFX, et les gens présents là-bas rapportaient déjà qu'ils avaient la sensation de se faire baiser par les pixels. C'est une expression que l'on utilise dans l'industrie pour décrire les clients qui pinaillent jusque sur le moindre détail. [...]

Un client peut dire, "Ce n'est pas exactement ce que je veux", alors on continue de travailler dessus bien sûr. Mais ils ne savent jamais ce qu'ils veulent. Alors ils tâtonnent : "Est-ce que tu peux essayer ça ? Ou ça ?". Et on se retrouve à devoir changer tout un décor, tout un environnement, à un stade très tardif de l'avancement du film. »

 

Moon Knight : photoLa série Moon Knight, autre belle représentation d'un travail précipité 

 

une production pas assez préparée

Pressés par le temps, surchargés à l'excès, et très régulièrement en sous-effectif, les artistes responsables des effets numériques semblent de surcroit non seulement engagés à compenser le manque de pré-production en amont du tournage, mais aussi le manque d'expérience des cinéastes recrutés par Marvel. Et selon l'artiste, l'absence d'un directeur de la photographie lors de la post-production n'arrange rien :

"On se retrouve à devoir inventer certains plans, et cela cause de nombreux soucis de continuité dans la globalité du métrage. Un exemple des conséquences de ce genre de situation peut s'observer sur la séquence de la bataille finale de Black Panther. Toutes les lois de la physique y ont été bafouées.

Tout d'un coup, les personnages se mettent à sauter dans tous les sens, à faire tout un tas de gestes spectaculaires, comme si c'était un combat de figurine dans l'espace. Et puis la caméra opère des mouvements qui n'ont  jamais été effectués à aucun autre moment du film. [...] Et ça en brise le langage visuel."

 

Black Panther : photoScène du film ou concept art ? 

 

De fait, les effets visuels toujours plus laids et à demi finis des récentes productions Marvel n'incombent pas seulement aux responsables VFX, mais bien à l'ensemble de la chaîne de production. Intenable sur le long terme, la situation mérite donc que Marvel repense ses méthodes, prépare davantage ses cinéastes à l'utilisation des effets numériques, et cesse de réécrire les métrages en cours de tournage, voire, en salle de montage. 

Pour ce qui est des artistes responsables des effets spéciaux, il s'agirait désormais de syndiquer les studios VFX afin de protéger les petites mains qui y travaillent par des conventions collectives. En effet, dépourvues d'organisation syndicale, les artistes sont plus facilement sujets à l'exploitation sans qu'un salaire adéquat soit nécessairement garanti derrière.

Le fait est pour conclure que, comme le mentionne l'artiste dans son témoignage, les problèmes qu'il mentionne peuvent également être retrouvés dans d'autres productions. Mais il souligne néanmoins qu'il existe dans l'industrie d'autres sociétés requérant moins d'heures supplémentaires et proposant des conditions de travail globalement plus saines. Marvel étant cependant prépondérant en matière de demandes, les studios se permettent davantage de jouer de leur statut afin de plier les maisons d'effets spéciaux à leurs moindres desiderata.

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commentaires
Terryzir
31/07/2022 à 15:41

Marvel est à la fiction ce que l’Oreal est à la pub : un mastodonte qui broie tous leurs collaborateurs.
Ayant été dir. de post-prod dans le milieux publicitaire, on avait au moins la chance d’être bien payé malgré les avanies de ce monde bas du front.
Et quand ça veut jouer à l’artiste indécis côté DA ou client, y’a rien de pire, je vous le confirme.
Tous les techniciens (étalo, flamiste, nukiste, etc) qui ont bossé en fiction ressortaient rincés, déprimés des films supposément « quali » sur lesquels ils ont été exploités de longs mois.
Je veux biens croire qu’aux US ça soit pire que ça, mais déjà en France, bosser pour des boites de FX exclusivement dédiées à la fiction, c’est un cauchemar pour les techos.

Danysparta
29/07/2022 à 00:23

Article et commentaires très intéressant, merci. Je travail pour l'industrie automobile et c'est exactement pareil, les clients augmentent les demandes alors que le contrat prévoyait tant et tant de pièces à livrer, mes patrons voyant les bénefs exploser signe direct et nous les petites mains derrière tout ça on cravache les week-end et jours fériés pour rattraper le coup, alors certe on augmente notre temps paie mais on a plus de santé ni de vie de famille.

SebC
28/07/2022 à 17:38

Pour avoir bossé plusieurs fois sur des projets Marvel/Disney le problème ne vient pas d'eux directement, mais bien des studios de VFX en général et on retrouve chez ces même studio les même problèmes pour d'autres show.
Et oui les films et serie Marvel demandent un nombre incroyable de plan VFX, mais tout est plus ou moins planifié avant même le debut du tournage.

Anachronaute
28/07/2022 à 16:30

Marvel agit avec ses films de la même manière qu'avec les comics ; en inondant le marché de produits plus débiles les uns que les autres (mais en y intégrant parfois quelques perles sans le faire exprès) tout en chiants sur les artistes qui les produisent.
Les lecteurs, quoique moins nombreux qu'à une époque, se plaignent des histoires de merde, des dessins pourris de la colorisation photoshopés à la truelle et même du papier pourri sur lequel les comics sont imprimés et pourtant continuent à acheter chaque semaines leur dose de daubes (pour ce que j'en sais, ça fait longtemps que j'ai laissé tomber, ça ne vaut pas mieux chez DC).
Depuis que je viens sur EL, j'ai la nette impression que les spectateurs du MCU sont atteints de la même maladie (ça fait longtemps que j'ai arrêté les films également)...

Observer
28/07/2022 à 14:12

Bon j'amène un peu de mon expérience personnelle qui va dans le sens des propos d'Arnold.
J'ai travaillé (et oui j'ai changé! Globalement pour ce genre de raisons) de nombreuses années dans les effets spéciaux et le motion design de manière générale. J'ai travaillé pour le cinéma mais surtout pour la pub. J'ai été formé par des vfx supervisors talentueux US et Anglais pour la plupart qui m'ont aussi partagé beaucoup de points de vues sur leur métier.
Le constat est le meme quasiment partout, la postproduction est en bout de chaine et subit bien tout ce qu'on décrit.
Alors bien sur il faut savoir cadrer (voir meme "éduquer") ses clients, ne serait-ce que pour gérer au mieux les projets et faire du damage-control dès le début d'un projet. Mais ca dépend toujours sur tes interlocuteurs... et laissez-moi vous dire que plus vous travaillez pour des grosses boites, pire est la communication! Le nombre d'intermédiaires et d'intervenants se multiplient et là vous n'estes plus face à un ou deux êtres humains que vous pourrez sensibiliser aux différentes problématiques de production pour rentabiliser au mieux le temps de travail pour une qualité maximale. Vous avez déjà à faire avec la désorganisation, les guerres d'égo, les conflits d'intérêts, les divergences d'opinion, etc. du CLIENT MEME.
Donc les belles théories comme quoi c'est pas la faute à Marvel, Disney et les autres boites à billets (sauf pour payer les gens bien sur) et qu'il faut simplement mettre les choses au clair dès le début ca me fait doucement marrer. J'ai eu les meme théories en début de carrière, ca marchait bien pour les clients petits et moyens, mais pour les gros c'est juste impossible. Déjà on ne trouve pas le temps de le faire, surtout de l'imposer au client de faire des réunions pour leur expliquer ton boulot de ta boite de fx, ils s'en tapent le fion sur la commode et te regardent de travers si tu oses leur proposer ca. Donc t'as intéret à distiller ces choses là de manière intelligente quand t'en as l'occasion mais ca empêche pas tout le bordel qui est décrit ici et là.
Les boites de prods signent ces contrats parce que ca fait bien sur un CV et en showreel, mais au prix du sang. Et vas-y pour faire le fonctionnaire dans ce genre de cas et pas t'aligner comme tout le monde aux heures sup inter-minables, surtout pour des retouches infinies dues aux changement d'avis de dernière minute d'un des pontes du client, qui a tout à coup eu une "vision". C'est principalement ca qui est horrible, toutes ces heures gachées à refaire et à refaire, alors que souvent les premiers jets sont meilleurs mais bon ca fait depuis longtemps que tu t'es fait une raison que les meilleures décisions ne sont jamais prises dans ce genre de cas.
Je pourrais en parler pendant des heures...
En tout cas les choses doivent clairement changer, c'est insupportables de voir que ce sont en plus les films qui sont le plus dépendants des vfx (sans ca il reste quoi dans ces films?) qui les maltraitent le plus et les dénigrent le plus, on croit rever!

Flo
28/07/2022 à 13:50

Pas très cohérent comme témoignage : il y a effectivement des dates de sorties qui ont bougé plusieurs fois, même avant Covid.
Quant aux lois de la physique, elles deviennent élastiques avec des personnages à superpouvoirs.
Mais le luxe de changer d'avis et tout reprendre (ce qui arrive aussi avec certains films d'animation, mais qui ont beaucoup de temps d'avance), ça permet de garder l'équilibre.
Sans ça, soit le film sort à la date définitive, mais il est complètement bancal, pour de vrai et pas de façon subjective.
Soit on le repousse, les techniciens sont contents (c'est pas non plus le tournage de Fitzcarraldo, hein ?), mais le report impacte la rentabilité, montrant explicitement que le film a eu des problèmes. Et ça, ça peut vous rebuter des spectateurs et des critiques, c'est mauvais pour toutes les équipes de montrer ces moments de faiblesse.
Le seul intérêt de ces témoignages, c'est de créer de meilleures conditions de travail et de rétribution en amont. Et c'est aux stars de ces films d'apporter leur soutien, groupé... s'ils n'ont pas peur de voir leur salaire baisser pour mieux compenser.
Les simples commentateurs que nous sommes ne servons à rien là dedans, et les négationnistes encore plus.

Trashyboy2
28/07/2022 à 13:45

Merci @Arnold pour ce témoignage qui donne un éclairage complémentaire à l'article, déjà bien complet.

Nyl
28/07/2022 à 10:21

@Manu 21

Tu travailles donc pour plusieurs multinationales mais tu ne comprends pas que c'est très compliqué, pour une boîte de VFX de négocier avec un géant comme Disney/Marvel?

Remplace juste par boîte de dev et éditeurs, et tu as la même histoire .

Simon Riaux
28/07/2022 à 10:17

@Manu21

Le commentaire un peu plus bas d'Arnold vous renseignera plus précisément sur ce qui rend votre commentaire un peu caduque.

Comme le dit la brève ci-dessus, pour l'industrie hollywoodienne, l'enjeu reste la création d'un syndicat (ou Guild) dans le secteurs des VFX. Le terme syndicat n'est pas à prendre dans son acception française, c'est bien la structure extrêmement puissante et contraignante, qui peut, hors intervention du législateur, poser un cadre légal pour le secteur.

C'est ce qui régente déjà les autres pans de l'industrie, et ce qui confère par exemple beaucoup de pouvoir aux scénaristes, qui avaient pu bloquer totalement le secteur en 2007 par exemple.

Manu21
28/07/2022 à 09:53

@Nyl

Le mec qui vient du monde des bisounours travaille en temps que prestataire pour plusieurs multinationales. Si tu fixes pas des règles dès le premier contrat et que tu dis oui à tout, il ne faut pas s'étonner que tes clients en profiteront et c'est alors tes employés qui en subiront les conséquences. Donc encore une fois, trop facile de juste critiquer Marvel, ça serait plutôt aux dirigeants des boites VFX de mieux cadrer leurs clients.

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