[video] Andrés Muschietti nous parle de Mama

Laurent Pécha | 14 mai 2013
Laurent Pécha | 14 mai 2013

Pour la sortie ce mercredi de Mama, Ecran Large a rencontré son réalisateur, Andrés Muschietti lors de son passage triomphal en janvier dernier au festival fantastique de Gérardmer où le film a remporté (entre autre) le Grand Prix. L’occasion de parler du succès de son film, sorti en janvier aux Etats-Unis, d’évoquer le passage de Mama du format court à celui de long-métrage, d'en savoir plus sur sa collaboration avec Guillermo Del Toro mais aussi avec sa soeur, productrice et co-scénariste du film, sans oublier de connaître ses références cinématographiques.

Le réalisateur de Mama, Andres Muschietti

Tout d’abord toutes mes félicitations pour votre film. Selon moi, c’est probablement le meilleur film horrifique destiné à une large audience qui a été fait ces derniers temps.

C’est super, merci pour le compliment. Cela fait du bien d’entendre ça, parce que mon jugement sur le film est devenu totalement biaisé, j’ai vu le film tellement de fois.

Mama est un des succès surprise de l’année aux USA (le film a terminé sa carrière avec 71,6 millions de dollars). C’est une sacré performance pour un film au budget de seulement 15 millions de dollars.

Oui, le film a du succès. Si on le compare avec d’autres, il est vrai que le budget est restreint. Il a attiré beaucoup de personnes dans les salles. La première semaine, mais également la seconde, ce qui est étonnant car on sait qu’il est difficile de garder l’attention des gens après la première semaine de sortie, surtout pour un film de ce genre. Dans notre cas, le bouche à oreille a fonctionné à merveille !

 

Une scène du film reprend quasi identiquement le plan séquence du court-métrage que vous aviez tourné pour vous faire connaître. A l’exception que cette fois-ci, vous faites plusieurs plans.

Non, cela a été tourné en plan séquence ! Je ne vais pas tout vous révéler, ça serait comme si un magicien expliquait ses tours, mais je peux vous dire une chose : le premier étage de la maison a été construit en plateau alors que le rez-de-chaussée provient d'une vraie maison. Et pourtant tout semble être tourné en plan séquence. Avec un peu de tricherie !



Concernant la dernière partie du film, beaucoup sont ceux qui signalent l'influence de votre producteur exécutif, Guillermo Del Toro. Mais vous avez écrit le film avec votre soeur, et je trouve que l’ensemble s’apparente plus à un travail pensé justement par un frère et une soeur qu'à du Del Toro.

Le fait qu’on soit frère et soeur a pu jouer dans l’élaboration de l’histoire, mais plus de manière inconsciente qu'intentionnelle. Nous n’avons pas essayé de transposer à l’écran une quelconque situation réelle. Concernant Guillermo Del Toro, je peux dire qu’il est la personne qui croit le plus en votre instinct de réalisateur. Il défend votre vision auprès de n’importe qui, même de lui-même. Il établit une position égalitaire entre vous et lui, et tous les échanges autour du film se font selon ce crédo équitable. Il vous donne différents conseils, vous guide, mais si vous ne voulez pas prendre ses idées, ce n’est pas grave et cela n'est jamais une source de conflits. Il a toujours été très généreux dans ce sens, et il respecte les instincts car il considère que la vision inaltérée du réalisateur prévaut sur tout le reste.

Guillermo Del Toro, producteur exécutif de Mama

Parlez-nous de l’humanisation progressive du personnage de Mama durant le film, le fait qu’elle ne soit pas un monstre pur.

Guillermo a dit tout le long que s’il avait dirigé le film, Mama aurait été totalement différente. Je pense que la fin est une sorte d’épilogue qui présente Mama sous une forme réelle et humaine. C’était nécessaire, car pendant une grande partie du film nous présentons son personnage comme un monstre, et il y a un moment où les points de vue s’inversent et nous devons comprendre ses motivations. Même si son aspect physique est terrifiant, ses actes sont conduits par un instinct pur et valeureux d’amour et de protection. C’est pour cela que je ne pense pas qu’on puisse classer strictement le film dans une catégorie d’horreur classique. Mama avait besoin de ce changement de considérations et de point de vue.



[spoiler] A-t-il été facile de convaincre les studios d’une fin si triste ? Le succès prouve que vous avez raison et qu’il est possible d’attirer beaucoup de monde dans les salles avec une fin sombre.

Oui, je ne veux pas trop en dire sur la fin, mais c’est quelque chose que j’avais en tête dès le début, qui collait avec l’appréciation de l’histoire et de ce que je voulais en faire. Il y a eu quelques inquiétudes à ce propos, puisque ce n’est pas une manière très traditionnelle de conclure ce type de film. Le studio n'était pas des plus chauds et s'est inquiété d'une telle fin. Au point de nous suggérer de choisir un autre dénouement mais je n'ai pas changé de cap et j'ai pu faire ce que j’avais en tête.



Sachant que vous avez peu d'écart avec votre soeur, on serait tenté de penser que les rapports entre les deux soeurs du film sont un peu calqués sur les vôtres. 

Nous sommes très différents avec ma soeur, même si nous travaillons ensemble. Comme dans le film, où les deux filles sont également très différentes. Il y a cette fracture, marquée par les différentes empreintes laissées par Mama à chacune d’entre elles.



Vous avez co-écrit le scénario avec votre soeur. Comment réagissait Barbara qui est également la productrice du film quant aux changements que vous avez (peut être) apporté sur le plateau en tant que réalisateur ?

Elle n’a jamais interféré dans ma réalisation. L’écriture du scénario s’est faite selon ma vision, il y a déjà dans l’écriture mon approche de l’histoire, donc il n’y a pas eu de problème lors de la réalisation.


A quel moment votre choix s’est-il porté sur Jessica Chastain ? A quelle période de sa carrière avez-vous tourné Mama ?

Elle n’avait pas encore tourné Zero Dark Thirty, et son dernier film en date était Des hommes sans loi. Nous travaillions sur Mama quand elle a reçu l’appel pour jouer dans le film de Kathryn Bigelow. Mais Zero Dark Thirty est sorti dans les salles avant Mama. Le film n’avait pas autant d’effets visuels à travailler que le notre, pour lequel la post-production a duré près d’un an. Durant la période de production de Mama, la carrière de Jessica a explosé, il y eu beaucoup de bruits autour de ses films.

Jessica Chastain et son nouveau look dans Mama

Etait-elle votre premier choix ?

Je l’ai découverte dans Jolene, qui est un très bon film. Elle joue le rôle d’une femme évoluant entre ses 15 et 25 ans et j'ai pu remarquer tout le panel d’émotions qu’elle possède. Nous nous sommes alors rencontrés et elle a immédiatement adoré son personnage et l’histoire. Elle voulait vraiment jouer dans le film car cela lui permettait d’interpréter un type de personnage qu'elle n'avait pas encore eu l'occasion de croiser. Le fait que Guillermo produise le film l’a également mise en confiance. Il y a eu une très belle alchimie entre nous, et puis nous jouons tous les deux du Ukulélé (rire).


Elle n’est plus rousse dans le film.

Non, elle souhaitait changer, donc nous avons tous les deux recherché ce qui collait le mieux au personnage, jusqu’à opter pour cette coupe noire et courte.


Votre film rappelle, en mieux selon moi, les films de fantômes japonais. Aviez-vous cela en tête au moment de faire Mama ?

Merci, c’est une bonne chose à entendre. J’aime les fantômes, le cinéma d’horreur asiatique, j’aime Ring, les films coréens comme 2 soeurs. En tant que réalisateur, j’ai essayé de m’éloigner de ce que j’aime car je voulais naturellement faire quelque chose d’original. Je comprends que les gens puissent trouver des similitudes mais ce n’est pas une démarche calculée. Si vous analysez les personnages, les créatures, vous pouvez remarquer qu’ils sont plutôt originaux. La combinaison des différentes techniques visuelles utilisées donne un résultat que je ne pense pas avoir vu auparavant.


Lorsque vous avez réalisé le court-métrage Mama, était-ce principalement un tour de force technique pour vous faire connaître ?

Non, lorsque j’ai fait ce court, je n’avais aucune intention . C’était juste une vision viscérale, sortie de tout contexte. Eventuellement, cela nous a autorisé à mettre sur pied une histoire différente que nous étions en train d’écrire à cette période, un autre film de fantômes. Nous avons alors pu nous servir du court-métrage comme support visuel pour promouvoir notre projet, mais les gens ont commencé à poser des questions sur Mama, ils cherchaient à comprendre quelle était l’histoire. Mais il n’y en avait pas, ce n’était qu’une séquence ! Donc, nous avons réalisé qu’il valait peut-être le coup de trouver des réponses à ces questions, et d’établir une histoire autour de cette séquence.




J’ai été très surpris de voir dans les médias américains que votre film préféré est Le Fanfaron de Dino Risi.

C’est surprenant car je me fais connaitre avec un film d’horreur, et Dino Risi est principalement connu pour ses comédies et drames. Mais que puis-je dire ? Le Fanfaron est l’un de mes films préférés, je suis également un fan de comédies. Je suis réalisateur de publicités pour la télévision, et dans ces pubs j’essaie de faire beaucoup d’humour.
Le Fanfaron de Dino Risi  
 

Votre prochain film pourrait-être une comédie ?

Pourquoi pas ! Qui sait ?


L’une des meilleurs scènes du film repose sur un jeu d’illusion entre l’une des jeunes filles, que l’on croit être en train de jouer avec sa soeur ? Pouvez-vous parler de cette idée brillante ?

Merci. Cette scène n’était pas écrite dans le scénario, nous l’avons improvisée sur le tournage. J’aime regarder la scène de tous les angles possibles, et à ce moment je contemplais le plateau à partir du couloir, et cette idée m’est venue. Il manquait quelque chose au script et nous refusions de faire évoluer le récit de manière conventionnelle, nous devions présenter certaines choses différemment. Cela montre sûrement qu’il y a un narrateur qui raconte l’histoire. Nous avons choisi une manière anticonformiste de la rapporter. J’aime briser la linéarité des points de vue en ce qui concerne la narration.

Cliquer sur la photo pour lire la critique du film de la rédaction

Quels sont vos 5 films d’horreur préférés ?

Hurlements, Les Autres, Aux frontières de l'aube, qui n’est peut-être pas l’un des meilleurs films mais qui contient une des cinq meilleures scènes de l’histoire du cinéma horrifique, lorsqu’ils ferment la porte du bar et qu’ils tuent tout le monde. (il hésite sur les derniers choix) Je vais le regretter mais je vais dire The Thing. Et le dernier.. je dirais Poltergeist.

 

L’acteur français André Dussollier m’a fait part un jour de l’évolution entre le scénario original, son adaptation lors de la réalisation, puis au montage. Pouvez-vous me dire, avec votre expérience de Mama, à quel point s’éloigne le film du scénario original ?

Il y a une évolution. C’est mon premier film en tant que réalisateur donc je ne sais pas quel est l'écart, mais je pense que c’est naturel qu’ait lieu ce type de changement. Ecrire et filmer, ce sont deux véhicules différents pour raconter une histoire. Le scénario est un bout de papier. Il faut donc projeter à l’écran la première transcription de votre imagination. En tant que réalisateur, vous faites en sorte que ces deux perceptions convergent, et c’est une faculté que vous assimilez avec le temps et l’expérience. Dans le cas de Mama, il y a eu une évolution. Le montage est plutôt conforme au script de départ, mais il y a eu des restructurations sur certaines scènes. Ces changements sont des faits inévitables que vous devez prendre en compte. Ce n’est pas négatif. Guillermo m’a donné ce conseil très précieux : il y a toujours une solution parfaite. Ce qui veut dire que parfois, vous ne parvenez pas à faire les choses de la manière espérée, mais il existe une autre solution qui est meilleure.



Avec le succès du film, les gens à Hollywood s'intéressent t-ils plus à vous d'un seul coup ? 

Non c’est encore très récent. Nous verrons par la suite ce qu’il se passera.

 

Propos recueillis par Laurent Pécha

Retranscription faite par Matthieu Leniau

 

 

 

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