George A. Romero (Survival of the dead)

Laurent Pécha | 22 octobre 2010
Laurent Pécha | 22 octobre 2010

En septembre 2009, George A. Romero avait les honneurs d'être en compétition officielle à la Mostra de Venise avec son dernier film sur les zombies, Survival of the dead. L'occasion était trop belle pour rencontrer l'un des maîtres du cinéma d'horreur moderne. Alors, à Ecran Large, on a fait les choses en grand et l'on vous propose à la fois une interview écrite et une interview vidéo. 

 

Romero et les zombies :

Qu'est ce qui vous attire dans les zombies ?

(Rires) Je ne suis pas nécessairement attiré par les zombies, c'est surtout devenu une plateforme pour moi, c'est ma franchise, quoi ! Je peux faire mes critiques, mes observations politiques et sociales. Ce serait plus difficile si j'essayais de faire des films plus sérieux. J'ai grandi avec des films et des comic books d'horreur. J'ai toujours aimé ce genre, c'est aussi devenu un moyen pour moi de faire des films qui traitent d'autres sujets.

C'est quoi pour vous un bon film de zombie ?

Shaun of the dead était excellent. J'ai aussi trouvé que Fido formidable. Si le réalisateur aime ce qu'il fait, c'est suffisant pour moi. Je n'aime pas l'exploitation purement commerciale.

Est-ce que vous voulez en faire encore un ?

Oui, deux même, mais j'aimerais vraiment avoir plus de temps pour le faire. (Rires) C'est comme ça le business du cinéma, quand les producteurs veulent un film, ils le veulent le plus vite possible. Je connais déjà la direction que je veux prendre pour mes prochains films. J'utiliserai des personnages mineurs des Chroniques des morts-vivants, et on découvrira ce qu'il leur est arrivé. J'adorerais développer l'histoire du groupe de mercenaires.

A quoi ressemble la maison de George A. Romero, plein de cadavres en décomposition ?

(Rires) Je n'ai même pas de revolver. Rien de bizarre dans ma maison, j'ai une vie très tranquille. Je n'ai que des vieux films et j'écoute beaucoup de musique classique car je ne suis pas très "pop". Je ne joue pas non plus aux jeux vidéo. Ma femme et moi aimons sortir pour dîner, on aime se faire des picnics et voyager. On vit une vie très simple. Prenez Stephen King, c'est le mec le plus normal du monde, il joue dans un groupe de rock, il aime le baseball.  Pourtant, son travail est plein d'excentricités. John Carpenter aussi est un type commun, il aime rester dans sa cave et jouer aux jeux vidéo. King dit toujours qu'on n'a pas de cauchemars car on vous les donne tous.

Alors vous ne rêvez pas de zombies ?

(Rires) Non, je n'ai jamais rêvé de zombies.


Vous n'avez pas de réminiscences de vos scènes lorsque vous vous cuisez un steak ?

(Rires) Non, je suis immunisé. Quand j'étais petit, je lisais les Contes de la crypte. Les personnages étaient terrifiants et le gore était extrême. Ça m'a toujours fait marrer. Lorsque que Stephen (King) et moi allons au ciné pour voir un film particulièrement violent, on est en train de ricaner, popcorn en mains, alors que les gens sortent du ciné prêts à vomir. C'est presque une célébration du gore que je fais, ce n'est pas grandguignolesque, ce n'est pas artistique.

A Hollywood, l'histoire du zombie est très passive. D'où vous est venue l'idée du zombie ?

Je crois l'avoir inventée mais qui sait. Chaque fois que vous pensez avoir inventé quelque chose, vous réalisez que deux mecs ont eu la même idée avant vous. Dans une certaine mesure, je me suis inspiré du livre I am legend de Richard Matheson pour La nuit des morts vivants. Je me suis dit que je ne pouvais pas utiliser des vampires parce que Richard l'avait fait. (Rires) Alors j'ai crée des morts qui reviennent à la vie et qui se nourrissent de chair humaine plutôt que de boire du sang. Je ne les ai jamais appelés "zombies" car pour moi c'était toujours ces mecs sous le contrôle d'un sorcier ou d'un maître vaudou. C'est seulement quand les critiques ont commencé à écrire sur le film que je me suis dit « Ah ouais, c'est des zombies en fait ». J'ai du utiliser ce terme dans Zombie, mais plus par la suite. J'ai essayé de trouver d'autres appellations.

Est-ce que vous connaissez le comic The walking dead qui, comme vos films, bâtit réellement une mythologie du zombie ?

Oui je le connais et il est vraiment bien. Pour moi, bâtir une mythologie s'est fait vraiment naturellement. Quand j'ai fait La nuit des morts vivants je pensais que ce serait un one-shot. Il y a eu beaucoup de pressions pour que je fasse une suite, et j'ai longtemps résisté. Une fois que le film était sorti des salles et des drive-in, je le croyais mort et enterré. Quelques années plus tard, des cinémas indépendants européens ont commencé à le projeter, un musée d'art moderne nous a ajouté à sa collection et des gens ont écrit des thèses dessus. Les gens ont peut-être sur-interprété le film, comme le fait que le protagoniste principal soit un noir américain. En réalité c'était simplement le meilleur acteur qu'on avait sous la main. On a réalisé la symbolique que ça évoquait au moment où on allait présenter le film aux distributeurs.

Vous ne vouliez pas faire de suite à ce moment là ?

Non, ce n'est qu'en voyant la construction d'un centre commercial, le premier en à l'ouest de la Pennsylvanie, que je me suis dit « en voilà une idée ». J'ai commencé à l'écrire et j'ai reçu un appel de Dario Argento qui venait de voir La nuit. Il m'a assuré que si je voulais refaire un film comme ça, il pourrait obtenir des subventions italiennes. Ça ne pouvait pas mieux tomber !

Vous arrive-t-il de voir des films de zombie ultra-trash ? Que pensez-vous de cela ?

Honnêtement je n'aime pas trop ça, mais je me suis bien marré en voyant quelques films de Fulci. C'est fun de s'échapper et de le regarder quand on est pété. Je ne cherche pas la compétition, je sais que mes zombies ne sont pas particulièrement menaçants. C'est un peu le but !

Au sujet de Survival of the dead :

Vous exploitez deux genres dans Survival of the dead, le western et le film de zombie. Qu'est ce qui vous a attiré dans le western ?

Un des dangers quand vous êtes seul dans la conception d'un film, c'est que vous pouvez tout foirer. (Rires) Vous êtes celui qu'on blâmera. Un journaliste m'a dit aujourd'hui que le western concernait souvent l'individualisme. Mes films de zombies traitent au contraire de la révolution et de la perte d'indépendance. Donc j'ai pensé que ce serait intéressant d'exploiter le "Yin" et le "Yang" d'une histoire de zombie. Mon modèle a été Les grands espaces, j'ai d'ailleurs demandé à tout le monde de le voir. On a vraiment essayé de donner un look William Wyler au film.

Vous vous adressez aussi à la mentalité cowboy dans ce film ?

C'est vrai. D'ailleurs, Les grands espaces raconte l'histoire de deux mecs qui se tirent dessus continuellement jusqu'à ce qu'ils crèvent. J'ai pensé que ça passerait bien. Certaines décisions qu'on prend sont instinctives, d'autres sont discutées. Mais quand vous avez la liberté de faire ce que vous voulez, vous n'êtes jamais sûr de ce que vous faites. Au contraire, quand vous n'avez pas cette liberté, vous êtes complètement certain de ce que vous faites. (Rires)

A quoi peut-on s'attendre maintenant que vous nous avez montré que les zombies peuvent aussi se nourrir de chair animale ?

Et bien aucun personnage principal ne sait ça, ils ne l'ont pas vu. Seuls les spectateurs le savent. Je ne sais pas où je vais aller avec cette idée, j'aimerais bien créer de nouvelles règles pour un nouveau monde de zombies. Je vais peut-être jouer sur l'ironie du fait que les audiences savent ce que les personnages ignorent. Mais je ne suis pas sûr. Tout dépend des revenus, si ce film réussit aussi bien que les Chroniques, hé bien il y en aura un autre. C'est une obligation contractuelle dans une certaine mesure.

 

 

Quelles observations politiques ou sociales aviez-vous avant ce film ?

L'idée m'est venue il y a quelques années. Ça ne fait référence à aucun évènement spécifique.  Sauf peut-être pour aux guerres d'Irak et d'Afghanistan. Ces jeunes gars sont confrontés à des guerres tribales, un peu comme les personnages du film qui devraient avoir la supériorité car ils ont les armes et pourtant ils n'y arrivent pas. Je me suis dit que c'était un thème universel. Ensuite, j'ai pensé à l'Irlande du Nord et même aux États-Unis. J'ai pensé aux discriminations raciales et à l'antisémitisme. Je me suis dit que ça valait la peine de faire quelque chose avec ça. Ces ségrégations ne meurent jamais. Même s'ils ont oublié les raisons d'un conflit, les gens se tirent toujours dessus.

Jusqu'à quel point pensez-vous que le public comprend les questions que vous soulevez ?

Peut-être qu'une partie du public le saisit. Ne suivant pas tout ce qui se dit à mon sujet sur internet, je ne sais pas. Je sais qu'il y a de grands débats, je sais aussi que j'ai pas mal de fans qui préfèrent ne pas se soucier de ça et qui viennent simplement pour s'en payer une bonne tranche. Il y en a d'autres qui reconnaissent que c'est ma signature.

 

 

Quel est votre opinion sur des films comme Le labyrinthe de Pan qui utilisent le genre de l'horreur pour parler de problème très sérieux ?

Je trouve ça tout simplement sensationnel. Guillermo del Toro est super, j'adore ce qu'il fait. C'est aussi un mec génial.  Un des premières personnes à avoir essayé de trouver du financement pour Le territoire des morts. Il a  échoué mais il a fait preuve d'un grand soutien.

Survival of the dead semble un peu plus drôle que les Chroniques ou que le Territoire, comment avez-vous décidé du ton à employer pour le film ?

Je n'ai pas pu résister. Cette fois j'avais un peu d'argent pour les images de synthèse, donc je me suis dit que je devais y aller à fond. Il y a dans ce film des gags à la Looney Tunes. Peut-être étaient-ce des mauvais choix, vous voyez ce que ça donne quand je suis seul à prendre les décisions ! (Rires)

Comment avez-vous construit vos personnages ?

Ce que je peux vous dire c'est qu'il n'y a pas de gentils dans ce film, sauf Tom Boy peut-être,  et encore, on ne le connait pas suffisamment pour savoir.

Dans certains pays vos films ont été censurés, que pensez-vous de ça ?

Peut-être qu'aux États-Unis, la MPAA censurera des images du film. Je trouve que c'est ridicule. D'autres films tout aussi gores et de bien des façons plus sombres ne connaissent pas la censure. Peut-être que je serais davantage censuré sur un mec en train de fumer que sur le gore. Je ne sais pas quoi penser, c'est tellement aléatoire des fois. Dans Martin il y a une femme qui se fait couper les veines, ils nous ont fait supprimer dix-sept plans pour cette scène alors qu'on savait très bien où allait la lame. Comme si ça allait sauver les délicats esprits des enfants !

Richard Taylor (responsable des effets spéciaux de Braindead) a dit qu'il avait pris du plaisir à se rendre dans une station essence couvert de faux sang. Est-ce que vous avez ce genre de plaisirs ?

Moi non, mais je connais beaucoup de gens qui ne veulent plus enlever leur maquillage de zombie. Je ne sais pas ce qu'ils vont faire après le tournage. (Rires)

 

 

Les images de synthèse vous ont-elles ouvert de nouveaux horizons?

Oui, et bien plus que ça. Quand vous faites un film avec un budget moyen, le truc c'est de quitter le plateau le plus rapidement possible. Et si vous devez commencer à synchroniser le tir d'une arme à feu avec un zombie qui s'effondre, ça rate immanquablement. Vous devez refaire la scène, vous perdez une heure et ainsi de suite. C'est pour ça que je suis très remerciant des images de synthèse. Avec ça j'ai simplement un acteur avec un revolver et un autre qui s'écroule, après ils ajoutent le tir de la balle et la blessure. Parfois les mecs ne mettront que la blessure et tous les plans avant que le zombie ne soit touché seront simplement effacés. De ce point de vue, les images de synthèse sont un énorme avantage.

Dans Land of the dead c'est la première fois que vous faisiez appel à un casting de stars ?

C'est un autre désavantage lorsqu'on travaille avec les studios : si on n'a pas de stars il n'y a pas de contrat. Mais ça ne m'a pas empêché de rencontrer des gens sympa. On s'est bien entendu avec Dennis (Hopper) parce qu'Easy rider et La nuit des morts-vivants datent à peu près de la même époque. Je connaissais Simon Baker d'une série tv qu'il avait faite à Pittsburg et John Leguizamo s'est révélé être un fan. J'avais toujours dit qu'on avait besoin d'un mec comme John Leguizamo, et la directrice de casting m'a appelé en disant "pourquoi pas John lui-même ?". Asia Argento était très adéquate puisque son père était responsable de Zombie (Dawn of the dead).

Est-ce que vous gardez une liste d'idées à utiliser pour vos prochains films ?

(Rires) Parfois oui. Par exemple, ça fait un petit moment que j'ai l'idée de faire un truc avec un extincteur mais dans Chroniques des morts-vivants on n'avait pas assez d'argent pour les effets spéciaux. Je l'ai laissée dans le tiroir, je vais peut-être l'utiliser dans un prochain film. Mais la liste n'est pas longue, j'aimerais bien qu'elle le soit plus. (Rires) C'est surtout des idées sur les histoires. Le tout c'est la façon de tuer, les spectateurs aiment voir les personnages tués intelligemment. C'est assez dur de venir avec quelque chose d'unique.

 


 

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