Gina Kim (Never forever)

Stéphane Argentin | 25 octobre 2007
Stéphane Argentin | 25 octobre 2007

En l’espace de seulement deux longs-métrages qui ont fait le tour des festivals, la scénariste/réalisatrice américano-coréenne Gina Kim s’est déjà particulièrement distinguée. Son troisième film, Never forever, est reparti du 33ème Festival du Cinéma Américain de Deauville avec le Prix du Jury en poche. Rencontre avec une cinéaste à fleur de peau.

 

Propos et autoportrait (en fin d’article) recueillis au cours du 33ème Festival du Cinéma Américain de Deauville (septembre 2007).

 

 

D’où vient l’idée du film ?

J’ai toujours été fascinée par le corps de la femme et la notion de maternité, avant même de réaliser des longs-métrages, à l’époque où je travaillais dans la peinture et la vidéo. Au cinéma, il y a globalement deux rôles possibles pour les femmes : la femme fatale ambitieuse et manipulatrice, et la mère aimante et attentionnée. Mon but était de traiter de ces deux notions au sein d’un même film. J’ai donc créé le personnage de Sophie, une femme qui va se prostituer pour devenir mère.

 

Aviez-vous déjà des comédiens précis en tête au moment de l’écriture ?

Pas vraiment, je n’avais pas de physique préétabli pour Sophie. Le personnage est très mystérieux et transparent à la fois mais parle très peu. Il n’y a pas beaucoup d’excellentes comédiennes à Hollywood capable d’interpréter un tel rôle. Mais lorsque j’ai découvert Vera dans Down to the bone (inédit en France, présenté en compétition à Deauville en 2004, NDR), j’ai été littéralement bluffé par sa performance et j’ai su immédiatement que c’était elle ma Sophie.

 

Pourquoi avoir changé Vera en blonde car elle est brune à la base ?

(Rires). Ça peut paraître très cliché en effet mais pour beaucoup d’hommes asiatiques, la femme américaine est une grande blonde aux yeux bleus.

 

La nudité du film a-t-elle été un handicap difficile à surmonter ?

Je reconnais que mon style est très « graphique » et lorsque j’écris certaines scènes, on se croyait presque dans un porno. Vera adorait le script mais au moment du tournage, elle a commencé à prendre peur. J’ai donc décidé de lui montrer mon Video Diary tout en lui expliquant que le sexe et la nudité du film serviraient un but bien précis et que je ne voulais pas en faire tout un spectacle. Une fois convaincue, le reste du tournage s’est déroulé très facilement. Le premier jour, j’étais sans doute bien plus nerveuse qu’elle et je lui ai même proposé de me mettre toute nue moi aussi (rires). Elle a éclaté de rires et m’a répondu que ça la perturberait plus qu’autre chose. C’est d’ailleurs là tout le problème avec de telles séquences : faire en sorte que les comédiens soient le plus à l’aise possible pour pouvoir se focaliser sur leur interprétation.

 



La religion occupe également une place de choix au sein du film.

La situation à ce niveau est totalement ironique car la religion n’occupe pas une place aussi importante en Asie tandis que les asiatiques qui vivent aux États-Unis sont de fervents chrétiens, tout du moins tous ceux que je connais dans mon entourage. Être croyant et pratiquant est un passage quasi-obligé pour s’intégrer à la communauté américano-asiatique. C’est cette dualité que j’ai voulu montrer dans le film en opposant la famille très chrétienne d’Andrew et Sophie qui, bien d’occidentale, n’est pas du tout croyante et se retrouve donc en quelque sorte exclue. La religion sert donc de catalyseur à l’isolement de Sophie. Alors que toute sa belle-famille prie pour qu’elle tombe enceinte, Sophie ne comprend pas ce qui lui arrive. J’ai donc pu exposer la situation avec un minimum de dialogues. Pour moi, le recours aux explications verbales est une facilité cinématographique dans laquelle je ne voulais pas tomber.

 

Andrew, le mari de Sophie, tente de se suicider parce qu’ils n’arrivent pas à avoir d’enfants. Est-ce vraiment aussi crucial dans la culture asiatique d’en avoir ?

Devenir parent est un but universel me semble-t-il. En ce qui concerne le film, je dirais que les parents d’Andrew n’approuvent pas sa décision d’épouser une occidentale. Dès lors, pour intégrer totalement la communauté américano-coréenne et à fortiori la famille de son mari, Sophie se doit de procréer. Quant à Andrew, il se sent coupable car il sait pertinemment que le problème de fertilité vient de lui et non de sa femme comme tout le monde semble vouloir le croire. De plus, lorsque son père décède, Andrew ressent une pression supplémentaire car il voit que la lignée familiale est en train de s’éteindre. D’où sa tentative de suicide en désespoir de cause.

 

Plus le film progresse et plus on a le sentiment que les trois composantes que sont l’amour, le sexe et la reproduction sont indissociables, que l’on ne peut avoir l’un sans les deux autres.

Le sexe est une composante très étrange à elle seule (rires). C’est l’instinct primaire, celui qui nous pousse à nous reproduire, à procréer. Pour autant, le désir qu’éprouvent deux individus l’un pour l’autre n’est pas lié à cet instinct. Lorsqu’un homme est attiré par une femme ou vice-versa, la première chose qui vient à l’esprit n’est pas de se dire : « Je veux avoir des enfants avec lui/elle ». Quant à l’amour, lui non plus n’est pas directement lié au désir, ni même à cet instinct de reproduction. À la base, les trois apparaissent donc comme dissociés, mais pourtant, tout au fond de nous, ils sont liés. C’est tout du moins ce que je crois. L’amour platonique ou encore le sexe désinvolte sans la moindre passion sont des aberrations selon moi. L’expression « faire l’amour » veut tout dire. Au cours d’un rapport sexuel, nous ne pouvons pas transcender notre enveloppe charnelle. L’âme et le corps sont liés. Il est impossible d’aimer uniquement le corps ou bien l’âme chez son partenaire. Tout vient du corps. Au début du film, le sexe, les sentiments et la reproduction sont donc dissociés mais ils finissent par fusionner car il s’agit là encore d’une universalité indéfectible.

 



(Attention spoiler) À la fin du film, Sophie est seule sur une plage, enceinte, avec son enfant qui joue sur le sable mais on ne voit aucun homme à ses côtés. Est-ce au spectateur de décider avec qui elle est ?

Mon but n’était pas tant d’apporter une réponse précise à cette question. Je voulais avant tout me pencher sur le personnage de Sophie, savoir si elle avait fini par trouver le bonheur en devenant mère. Le fait qu’elle est trouvée ou non ce « Monsieur parfait » qu’une majorité de mélodrames nous servent était donc secondaire à mes yeux et c’est pour cette raison qu’aucun homme n’est présent dans cette dernière scène. (fin du spoiler)

 

D’où vient ce titre « Never forever » (littéralement « jamais pour toujours » en français, NDR) ?

En réalité, je l’ai volé à Pablo Neruda qui est sans doute mon poète préféré et dont l’un des sonnets débute ainsi : « Never forever, they do not concern me ». Au stade de l’écriture, comme tout scénariste/réalisateur, je cherchais un titre fort. Celui-ci me semblait approprié car il évoquait un amour immortel, capable de transcender nos propres limites physiques. De plus, la première version du script était scindée en deux parties bien distinctes dont la première, baptisée never, s’achevait avec Sophie disant « Nous ne nous reverrons jamais ». Le film devrait donc s’arrêter là car elle a réussi à tomber enceinte mais en même temps, elle tombe amoureuse. À la fin, on ignore avec qui elle est mais le plus important, c’est qu’elle soit heureuse. Peut-être pas pour toujours mais au moins, elle a atteint un but qui, au niveau de sa propre mortalité à elle, durera toujours.

 


 

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