Jean-Jacques Beineix (Les Chantiers de la gloire)

Didier Verdurand | 11 mars 2007
Didier Verdurand | 11 mars 2007

Jean-Jacques Beineix a sorti sa biographie en novembre dernier mais le temps de recevoir le pavé (835 pages), le lire et organiser un entretien, les mois ont passé et c'est seulement maintenant que nous portons votre attention sur ce livre passionnant qui retrace le chemin parcouru par un jeune étudiant en médecine, devenu cinéaste culte dans les années 80 (le récit s'arrête peu avant la préparation de 37°2 le matin). Les Chantiers de la gloire ne se résume pas, il se dévore.

 

Ma première réaction en voyant votre livre a été de me demander en combien de temps j'allais le lire. Vous ne vous étiez fixé aucune limite ?
L'éditeur Delmas m'avait commandé un livre de 400 pages et je lui en ai rendu le double… Mais finalement, qu'est-ce que c'est à côté des 2 400 pages des mémoires de Chateaubriand ! Je plaisante, bien sûr, mais ça s'est fait comme ça. Je n'ai jamais fait court. Dans une autre époque, je l'expliquerai dans le prochain bouquin, j'ai même failli faire des feuilletons. Il y a cinq ans, Delmas m'avait abordé en misant avoir été choqué par la manière dont Mortel transfert avait été accueilli et voulait que je réponde. Or je pensais depuis un moment déjà à écrire un ouvrage sous forme de droit de réponse. Chemin faisant, ça m'a semblé vain, pas intéressant. Et je me suis mis à écrire vraiment un livre, il y avait une envie de littérature. On a peu parlé du métier de cinéaste ainsi, avec les perspectives du cinéma dans une époque, avec cette idée de chemin, de sentier, de chantier. D'où le titre. Kubrick est mon maître. Je ne cherche pas à lui ressembler, mais je dis maître parce qu'il m'inspire. Il montre la voie, l'exemple et ce, dans l'exigence, la multiplicité des thèmes abordés… dans un refus relatif de l'histoire - qui peut donner le pitch de 2001, l'Odyssée de l'espace ou Eyes wide shut ? Pourtant ce sont des films qui défient le temps. Bref, les conditions actuelles font que je ne fais plus d'images avec une caméra donc je les fais avec des mots. Ca me permet de passer le temps, d'attendre la mort.

 

 

 
Depuis que le livre est sorti, j'ai rencontré pas mal de gens qui l'ont lu et tous me disent la même chose. « Quand on a vu le truc, on s'est dit : Ouh, dur ! » Malheureusement, ça donne raison à ceux qui veulent formater. Parce que tous ceux qui rentrent dans les librairies, quand ils voient le livre, ils ne vont pas se jeter dessus. Et puis, il y a un autre problème. Quand vous êtes un cinéaste, vous n'êtes jamais un écrivain, vous allez rester un cinéaste. On va vous mettre dans le rayon Cinéma et seuls les amateurs de cinéma vont s'y intéresser alors que je m'adresse à tout le monde. Le cinéma est l'art le plus populaire, il parle de tout. Donc moi aussi, j'ai voulu parler de tout ! J'aurais peut-être pu faire un roman autobiographique mais je trouvais cela malhonnête… C'est un miracle que mon livre se vende malgré tous ces obstacles !

 

Vous écrivez dans quelles conditions ?
Je suis plutôt dans l'immersion, comme lorsque j'écris un scénario. Je m'en vais, je me mets à l'abri de tout et je ne fais que ça. Et du sport pour déstresser. Là, j'ai eu beaucoup de mal parce qu'à un moment, j'ai douté que j'allais y arriver. C'était vaste et lourd, j'ai beaucoup supprimé car je me suis retrouvé avec 1 500 pages. Je me suis affranchi d'une contrainte à laquelle je m'étais astreint depuis que j'écris des scénarios : on ne doit pas écrire uniquement pour se faire plaisir, il faut rester accessible au lecteur et tenir dans ce sens une certaine rigueur.

 


Les gens qui sortent des biographies ne les écrivent pas, les trois quarts du temps. Personne d'autre que moi n'aurait pu écrire Les Chantiers de la gloire donc j'ai voulu qu'il soit personnel et qu'il possède un style. J'ai l'ambition de la littérature et l'expérience m'a séduit, je la poursuis en écrivant actuellement la suite.

 

Comment se passe la promo ? Je vous ai vu chez Fogiel et vous n'avez été questionné que sur Gérard Depardieu, que nous n'épargnez pas, mais cela ne concerne qu'une infime partie du livre !
Vous lui répondez ce que j'aurais du répondre. Est-ce qu'il a parlé de littérature, de la qualité du livre ? Non. « Balancez ! » J'étais malade à ce moment-là, je venais de me faire opérer des sinus et j'étais réellement dans un état second. J'ai failli ne pas y aller, j'avais d'ailleurs annulé la semaine précédente l'émission de Guillaume Durand. Je n'ai pour le moment fait qu'une seule émission littéraire, Le Bateau livre.

 

 

 


Il y a des moments amusants, notamment lorsque vous parlez de Claude Zidi, dont vous avez été l'assistant.
C'était formidable. C'est un type généreux, drôle, fou… Nous avons vécu ensemble des choses magnifiques et j'avais envie de les partager. Le « Je pensais pas et je l'ai pas lâché » vient aussi du fait que j'entraîne le lecteur dans un long métrage qui a sa part de spectaculaire, notamment grâce à Zidi.

 

Comment a réagi le milieu du cinéma, vous devez avoir eu des échos ?
Je n'ai pas que des amis dans le métier et c'est la première fois que je vois des gens changer d'opinion. Ils viennent me voir et me remercient d'avoir écrit ce livre. J'ai reçu des lettres de professeur d'université, de la Sorbonne, de critiques comme Michel Ciment ou d'autres qui m'avaient attaqué auparavant… Ils sont touchés par ce que j'ai voulu montrer : la physiologie du cinéma. Quelque soit le milieu, les critiques sont bonnes à très bonnes, je n'en ai pas vu une seule négative, donc c'est relativement un exploit ! Ce n'est pas un blockbuster mais ça aurait pu l'être, si l'éditeur y avait cru.

 

 


Un mot sur votre actu DVD. Tous vos films ont été édités avec soin par M6 Vidéo sauf Diva….
Je viens de gagner mon procès contre Canal +, c'est une victoire pour tous les auteurs. La justice française a estimé qu'on n'avait pas le droit de toucher à la bande sonore d'un film surtout pour autoriser une compagnie américaine pourrie à transformer une bande son mono de très grande qualité réalisée par un des plus grands ingénieurs du son français, Jean-Pierre Ruh, voulue en mono, en du 5.1 stéréo alors qu'on n'a pas les moyens de le faire ! Ou alors il aurait fallu refaire totalement la bande sonore ce que j'aurais pu éventuellement faire si on m'avait donné les moyens. Ce film a gagné des millions de dollars, 13 rien qu'aux États-Unis quand il était à 10 francs dans les années 80. C'est l'équivalent à peu de choses près au succès d'Amélie Poulain et ça continue à se vendre. Et Studio Canal a rajouté dans le DVD une interview faite il y a des années, sans me demander l'autorisation, laissant croire que j'avais présidé à la remastérisation, c'est honteux ! Maintenant qu'ils ont perdu le procès, j'espère qu'on pourra envisager de rajouter Diva à la collection chez M6 Vidéo.

 

 


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Un projet dans le cinéma ?
J'y travaille. Le problème aujourd'hui, quand on fait des procès à Canal +, c'est qu'on ne va pas faire un film avec eux, donc ma position n'est pas facile. Mais je peux prendre une caméra DV… Il suffit que je me décide et je ne me suis pas encore décidé. En ce moment, je produis plutôt les films des autres. Allez, Yallah ! rencontre un joli succès, à son échelle. Il est à plus de 10 000 entrées dans un secteur non commercial, sans promotion, sans relais sauf le bouche à oreille. Ce film circule en France, il en est à 90 villes, dans des salles qui ne sont pas des salles de cinéma classiques. Je ne vais pas faire fortune avec mais c'est une grande gratification. (Après un long silence) Je m'interroge… Le cinéma est dominé par des lobbys. Vous avez vu les César… ? (Grimace)

 

Lady Chatterley faisait figure de Petit poucet, non ?
Pourquoi les gens ont voté pour ce film ? Ce n'est pas parce que Pascale Ferran a mis des années à refaire un film qu'elle mérite une médaille. Ca ne suffit pas. Les meilleurs films français n'étaient pas aux César, il y en avait qui n'étaient même pas dans le coffret DVD envoyé aux votants. De plus, les meilleurs films actuellement ne sont pas français. La Vie des autres, Little Miss Sunshine, voilà ce qui se fait de mieux. En revanche, j'ai bien aimé le discours de Pascale Ferran, elle avait raison et l'a dit avec élégance. J'ai aimé Kad, aussi, ce garçon a du talent.

 

Vous parlez dans votre livre de l'amour que vous portez au Japon. Vous ne voudriez pas faire un film en japonais, comme Eastwood ?
Cela fait des années que je veux le faire mais je cherche toujours le sujet. Je ne suis pas Eastwood, je suis au bord du précipice, moi… ! Vous comprendrez mieux en lisant la deuxième partie, qui sera un thriller ! Quand vous rencontrez Bob Shay, le président de New Line, que vous avez Jeff Berg comme agent, quand vous avez pitché votre film à tous les studios, que vous avez vécu quatre mois à Hollywood au Four seasons, au moment où le Canal + sombrait avec Jean-Marie Messier qui avait pété les plombs, croyez-moi le livre sera hard. L'oeuvre sera alors complète.

 

Propos recueillis par Didier Verdurand.

 

En attendant un troisième volet de L'Affaire du siècle avec un nouveau dessinateur (« Bruno de Dieuleveult a fini par en avoir marre de se faire insulter, il a donc décidé d'arrêter. ») vous pouvez cliquer sur les couvertures pour accéder aux deux entretiens correspondants :

 

 

 

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