Emma Thompson (Harold Crick)

George Lima | 10 janvier 2007
George Lima | 10 janvier 2007

Inoubliable interprète de James Ivory et de Kenneth Branagh, Emma Thompson est aussi la talentueuse scénariste des adaptations de Raisons et Sentiments et de Nanny McPhee. Quoi de plus naturel de la retrouver aujourd'hui dans la peau d'une romancière anglaise à succès dans la comédie douce-amère de Marc Forster, L'incroyable destin de Harold Crick. Entretien dans la langue de Molière avec la plus élégante et la plus francophile des comédiennes shakespeariennes.


Le film traite du lien étroit entre la fiction et la réalité. Un sujet que vous connaissez bien en tant qu'actrice ?
Dans ce film comme dans la vie, il n'y a qu'un voile très fin entre la réalité et la fiction. Nous nous racontons constamment des histoires dont nous sommes les personnages principaux. Les êtres humains sont tous conçus dans le même moule et obéissent tous à leur ego. Ceux qui aiment le plus raconter des histoires sur eux-mêmes sont d'ailleurs ce qu'on appelle des égocentriques ! Kay, mon personnage, l'est sans aucun doute puisqu'elle ne cesse de se tuer à travers ses personnages. Elle se hait au point de se projeter dans ses héros qu'elle fait systématiquement mourir. Harold, qui au début est à son image, latent et désincarné, lui apprendra à aimer la vie et à enfin s'accepter.

Kay est un peu spéciale. Elle a notamment cette manie d'écraser ses cigarettes dans un mouchoir imbibé de salive.
Une amie de la productrice du film, qui est morte d'un cancer du poumon, avait l'habitude d'écraser ses mégots dans un cendrier avant de les mettre dans un mouchoir qu'elle gardait ensuite dans sa poche. Bizarre… Quand j'ai tourné la première scène dans laquelle Kay fumait et que je me suis rendue compte que je n'avais pas de cendrier, je me suis appropriée son tic et j'ai craché dans mon mouchoir avant d'y écraser ma clope. C'est carrément dégueulasse, je sais, mais c'est un geste révélateur de la personnalité de Kay. La cendre représente pour elle la poussière du corps, comme après une crémation. Pour une obsédée de la mort, c'est un geste qui vient tout naturellement.

Avez-vous comme votre personnage déjà eu des difficultés à conclure un de vos écrits ?
Evidemment. J'ai encore deux scénarios inachevés dans mon armoire. Mais certains mots sont voués à ne jamais être lus. J'ai commencé ces histoires il y a des années mais les temps ont changé et je n'ai plus envie de parler des mêmes choses. Il faut savoir laisser s'envoler certaines choses. S'accrocher à ses histoires est le meilleur moyen de finir dépressif pour un auteur.

Le mal-être est-il justement nécessaire à la création?
Heureusement que non ! Ça me coûterait une véritable fortune chez le psy ! Pour moi, tout dépend d'une seule chose. Si je sais à l'avance ce que je vais raconter, l'écriture est simplement jouissive. Mais si je l'ignore, sortir mes premières phrases est une torture qui peut durer très très longtemps. Quand on écrit, il faut s'armer de patience et de courage et être capable de se remettre en question. Il est très fréquent de devoir jeter des rames de papiers noircis qui s'avèrent être un tissu de conneries. La dépression vous gagne quand vous ne savez pas gérer ce besoin de perdre du temps, des mots et de l'énergie.

Quel est le dernier scénario que vous ayez signé ?
Cet été, j'ai écrit le deuxième épisode de Nanny McPhee. Mais je savais exactement ce que j'allais raconter avant de me mettre à écrire. Le personnage a été inventé par Christianna Brand, l'auteur des bouquins, mais j'ai conçu moi-même les intrigues de cette suite. Je compte d'ailleurs écrire prochainement le troisième volet de la trilogie.

Vous avez un jour dit que toutes les histoires, même celles qui finissent bien, ont quelque chose de triste. Qu'en est-il de Harold Crick ?
A la fin du film, il y a quelque chose de triste, d'imparfait et d'inachevé dans la vie de Kay. Elle a écrit un chef d'œuvre mais décide de le détruire pour sauver un homme. Vous imaginez la torture pour un écrivain ? Et puis, à mon avis, Kay est trop mal-en-point pour s'en sortir vraiment à la fin du film. Elle fume comme un pompier et je ne peux pas m'empêcher de l'imaginer très malade. Alors, oui, elle a trouvé l'amour avec le professeur joué par Dustin Hoffman mais pour combien de temps ? Sans compter qu'il est déjà trop tard pour certaines choses. Pour changer de vie, avoir des enfants…

Cela fait écho à une des questions du film puisque Harold se demande sans cesse si la vie est une comédie ou une tragédie. Qu'en pensez-vous ?
C'est un mélange des deux évidemment. Mais le mot « tragédie » est trop fort pour l'utiliser à tort et à travers. « Tragique » ne s'apparente pour moi qu'à des évènements étrangement et extrêmement graves comme la mort d'un enfant ou à des actes de barbarie comme les génocides. En somme, à des évènements dont on ne se relève jamais. Mon père est parti quand j'étais jeune et j'ai perdu d'autres proches mais je ne qualifierais pas cela de tragédie mais de drame. Des drames qui même s'ils ne s'oublient pas sont atténués par de grands moments de joie comme la naissance d'un enfant par exemple. Je dirais donc que la vie est une comédie dramatique. Ou une Comédie Humaine comme dirait Balzac.

Connaissez vous aussi bien notre cinéma que notre littérature ?
Je vois malheureusement peu de films français. Mais le dernier qui m'ait marquée et ravie était L'Homme du train de Patrice Leconte. Bouleversant ! Vous savez qu'Eric Rohmer m'a une fois demandé de tourner avec lui ? Mais c'était hélas trop difficile pour moi de quitter ma fille pour venir travailler ici. Un jour, je suis sûre que je serai prête à faire l'effort car vous avez de formidables auteurs.

Quand votre fille sera plus grande.
Exactement. Quand on est mère, on ne peut pas faire que ce que l'on veut. C'est une grande responsabilité et je veux être une maman comme les autres malgré mon métier. Je veux être présente au quotidien, aller la chercher à l'école, l'emmener au sport… Je préfère rester autant que possible en Angleterre tant que j'ai la liberté de choisir et que mes compatriotes veulent toujours de moi.

Justement, vous tournez successivement en Angleterre et aux USA. Est-ce par envie d'alterner les genres ?
C'est surtout parfois par besoin d'argent ! Pour être honnête, il m'arrive de jouer pour les américains parce qu'ils payent mieux. Mais je veille à faire des films dont je n'aurai pas honte. Je suis une passionnée et je suis incapable de jouer si je n'aime pas un minimum mon personnage. Certaines grosses machines sont d'ailleurs de véritables plaisirs. Par exemple, Harry Potter ,je ne l'ai pas fait pour l'argent mais pour le plaisir de participer à une saga déjà culte. D'ailleurs, il y avait tellement de monde sur ce tournage qu'ils ne payaient pas tant que ça ! J'espérais que la magie les rendrait généreux ou riches mais bon…. (rires) Je n'ai pas les pouvoirs de Dumbledore !


En quoi les tournages en Europe et aux Etats-Unis diffèrent-ils ?
Cela dépend s'il s'agit d'un film indépendant ou d'un film de studio. Hollywood est une véritable usine. Le temps y est compté et les équipes sont si énormes que les acteurs ont très peu de contact avec les techniciens. Tout ça n'est pas très « humain ». En Angleterre, acteurs et techniciens forment au contraire une véritable famille. Cela crée une atmosphère de travail agréable, pleine d'humour, d'amour et de confiance. Aux Etats-Unis, avec un film de studio, si vous baissez les bras ou que vous êtes un peu crevée, personne ne viendra vous tenir la main pour vous donner l'énergie de continuer. Les studios sont sans âme, comme les trois quarts de leurs films.

Harold Crick a pourtant été distribué par Sony, un studio ?
Nous entrons à mon avis dans une période charnière pour le cinéma américain. Avec les années, les indépendants ont obtenu plus de succès critiques que les grands studios et leur ont volé d'importantes parts de marché. Les studios en ont tiré des leçons et commencent à s'attaquer à des sujets plus audacieux et originaux. Il y a quelques années, Sony n'aurait jamais fait L'incroyable destin de Harold Crick même si le sujet est à la frontière entre le film commercial et le film d'auteur. Les studios doivent aujourd'hui prendre des risques. Ils n'engrangent plus autant d'argent avec leurs films consensuels et doivent faire preuve d'intelligence pour séduire le public. Avant, la formule « effets spéciaux, starlettes et gros bras » marchait mais il faut aujourd'hui s'aligner sur la qualité des films indépendants. C'est une des raisons pour lesquelles les auteurs font peu à peu leur retour à Hollywood après une période de vache maigre. Car s'il est impossible de faire un bon film sans un bon scénar, il est en revanche très probable de perdre de l'argent !

Propos recueillis par Marilyne Letertre.

Tout savoir sur L'Incroyable destin de Harold Crick

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