Jasmine Dellal (Gypsy Caravan)
On garde tous un souvenir ému de sa première fois et mon « dépucelage deauvillois » (merci Julio pour la formule...) commence sur les chapeaux de roue avec l'interview de la réalisatrice de Gypsy Caravan. C'est donc avec une conscience professionnelle exemplaire que je me dirige vers l'Hôtel Normandie, bien décidé à ne pas succomber au charme de cette belle réalisatrice. Peine perdue !
Comment est né ce projet ?
Après mon premier film, American Gypsy,
on m'a demandé de filmer pendant quelques jours un concert de musique
tzigane, j'ai accepté et suis follement tombée amoureuse de leurs
mélodies et des gens. Je me suis alors dit que je devais absolument
faire un film sur ce sujet. Un an plus tard, j'apprends qu'ils vont
lancer la tournée Gypsy Caravan, c'est alors que je rencontre Albert
Maysles (l'un des plus grands cinéastes documentaire / NDR) qui tenait
absolument à tourner le film avec moi. Ce fut alors le début d'une
aventure qui dura cinq ans durant lesquelles je devais tourner dans
différents pays et traduire 11 langues dont trois très difficilement
traduisibles.
Vous avez plus voulu parler de la musique ou du mélange entre ethnies ?
C'est à vous que je devrais demander ça ! (Rires) Pour moi, c'est un
film sur des gens qui vivent pour la musique, toutes leurs existences
tournent autour d'elle. On peut être touché par les danseurs tziganes
mais tout cela prend une autre dimension dès lors qu'on en sait plus
sur leurs racines.
Qu'est ce qui vous a séduit dans la culture gitane ?
Ma mère ayant vécu en Inde, j'ai tout de suite été très à l'aise avec la culture indienne. Quand je suis allé voir les gitans d'American Gypsy j'ai
découvert qu'il y avait beaucoup de similarités entre les deux, en
particulier la place centrale donnée à la famille et à leurs
communautés.
Comment avez-vous convaincu Johnny Depp de faire une apparition ?
Il s'est montré très ouvert dès que nous avons pu le contacter car il
respecte énormément les roms et a noué une très forte amitié avec les
musiciens de Taraf de Haidouks. C'est quelqu'un qui a parfaitement
conscience des souffrances endurées par ce peuple, qu'il rapproche de
celles des indiens d'Amérique, eux aussi longtemps cantonnés aux
mauvais rôles à Hollywood. C'était aussi pour contrebalancer les idées
reçues véhiculées par Hollywood que j'ai fait appel à une star de son
envergure.
Comment on réagi les membres des différents groupes à la vue du film ?
Ils ne l'ont pas tous vus, mais les autres ont beaucoup aimé et furent
très émus de voir leurs vies sur grand écran. De même j'ai reçu des
réactions très positives de la part du public, une femme m'ayant même
dit lors de la projection d'hier que le film lui a appris à aimer ces
gens.
Des liens se sont-ils noués en dehors du tournage ?
Oui, en particulier entre les indiens et les espagnols qui se
produisent parfois ensemble sur scène. Fanfare Ciocarlia, Esma
Redzepova joueront côte à côte en Allemagne au mois de novembre. Elvis
du groupe d'Esma et le saxophoniste du groupe Fanfare sont devenus très
bons amis et se téléphonent de temps à autres.
On a le droit de comparer votre film à Buena Vista Social Club ?
C'est vrai qu'au début je voyais Gypsy Caravan comme un Buena Vista sur le thème des roms, mais maintenant je pense que les deux films sont très différents l'un de l'autre. Buena Vista Social Club
fonctionne selon un schéma très précis en présentant des personnages
pendant tout le film, tandis que mon long métrage raconte différentes
rencontres en dehors des numéros musicaux, nous sommes ici plus dans
l'histoire de la tournée. J'ai choisi de ne pas raconter chaque
histoire individuellement pour mieux me focaliser sur d'autres. Je
voulais donner au public l'impression de lire plusieurs nouvelles qui
imbriquées ensembles, forment un seul et même roman. Il s'agit aussi
bien d'une histoire de voyages que d'un voyage entre les histoires.
Propos recueillis par Ilan Ferry.
Photo en haut de page de Gianfranco Zanin.