Masterclass Ken Loach
Pour la sortie le 23 août du Vent se lève, honoré de la Palme d'Or au dernier festival de Cannes, Ken Loach a donné rendez-vous au public à la Fnac des Ternes vendredi 7 juillet. Le réalisateur social britannique a pu à cette occasion dialoguer avec Robert Guédiguian, réalisateur social marseillais (!), qui faisait davantage office de simple modérateur que de débateur, se contentant de poser quelques questions et de faire un éloge interminable de Loach et de ses films. À l'occasion de cette Masterclass, Ken Loach a pu s'exprimer parfois très ému, parfois avec un humour « typically british », sur son uvre de manière générale et plus particulièrement sur 4 de ses films choisis par le cinéaste français : Family Life, Raining Stones, Ladybirds et Just a kiss, avant de répondre aux questions du public . Nous avons sélectionné pour vous certains des grands thèmes qui ont été abordés durant cet après-midi.
Parlez-nous de votre manière de travailler, de tourner, et de votre rapport avec les acteurs.
Je joue beaucoup avec l'effet de surprise. C'est l'un des points clés
et l'une des choses les plus difficiles à jouer pour un acteur : s'il
connait l'histoire en entier, s'il a plusieurs mois pour répéter et
analyser son personnage, forcément cet effet de surprise va s'estomper
alors que s'il découvre le scénario peu de temps avant de tourner, on
pourra jouer avec cet effet. Je tourne donc les scènes de chacun de mes
films dans l'ordre dans lequel elles sont agencées dans le scénario de
la première à la dernière et l'ensemble des acteurs découvre petit à
petit l'action du film. On perçoit mieux à l'écran un réel effet de
surprise. Il n'est pas forcément utile pour autant que la première
prise soit la bonne, cet effet peut durer quelques heures, le temps
d'en faire plusieurs. En général, les acteurs ont une large part
d'improvisation dans leur mouvement même si le texte, lui, est écrit.
Et par rapport aux techniciens sur le plateau ?
Ils sont justement au service des acteurs et non le contraire. En règle
générale dans un film, les acteurs ont des marques au sol qui indiquent
plus ou moins leur déplacement. Dans les miens, ce n'est pas le cas.
C'est d'ailleurs très dur pour le preneur de son et le caméraman qui
s'occupe des focales et de la prise de vues. Le perchman doit à la fois
à ne pas être vu à l'écran et à suivre les personnages dans leur
mouvement sans les gêner ni les déconcentrer. Pour le cameraman, c'est
pareil, il faut qu'il sache à l'avance ce que tel déplacement va donner
à l'écran et quel objectif utiliser pour rendre compte au mieux des
déplacements improvisés. En outre, si les gros plans et les plans
serrés ne me dérangent pas, j'évite de les faire lorsque la caméra est
située près des acteurs pour ne pas les déranger dans leur travail et
pour que leur jeu soit le plus naturel possible.
Le jeu des acteurs dans vos films n'est pas du tout stylisé, il
semble au contraire coller aux personnages. Comment faites-vous pour
parvenir à ce résultat ?
Il faut tout d'abord trouver un groupe de personnes qui fait corps avec
l'histoire. Il faut parvenir à les faire cheminer. Si on a trouvé les
bonnes personnes, quand elles se révèlent, elles révèlent en même temps
le personnage qu'elles interprètent. Dans Family life,
par exemple, le personnage central, le plus dur, celui qui porte la
culotte, est sans conteste la mère et c'est le personnage qui fut le
plus difficile à trouver car le réflexe naturel d'une actrice
professionnelle sera de juger le personnage. Si vous lisez le scénario,
il apparaît clairement que le problème dans la famille, c'est elle. Je
me suis demandé où trouver quelqu'un qui peut incarner cette femme sans
la juger ? (ton sarcastique) J'ai visité alors les bureaux du
Parti Conservateur à Londres dans lequel on trouve un groupe de femmes
très fortes. On leur a fait passer une audition et 4 ou 5 se sont
révélées excellentes. Nous en avons retenu une et donc de son point de
vue, ce n'était pas problématique : elle interprétait simplement un
personnage qui essayait d'être proche des valeurs familiales
traditionnelles. C'était très important qu'elle ait l'impression
d'avoir raison, d'être dans son bon droit.
Est-ce vous qui vous occupez du casting et des autres étapes de préparation au tournage ?
À l'origine, oui je m'occupais de tout, mais pour mes derniers films
j'ai travaillé avec quelqu'un d'autre mais toujours avec une personne
qui connaissait parfaitement les lieux où l'on tournait, les gens qui y
vivent. C'est sur ces critères que j'ai d'ailleurs choisi certaines
personnes, en leur faisant faire de petites improvisations. Je pense
d'ailleurs que le casting est l'étape la plus importante dans la
création d'un film après l'étape du scénario.
Pouvez-vous nous parler du travail que vous faites sur le scénario,
que vous ne signez pas puisque vous avez un scénariste, souvent Peter
Laverty. Comment parvenez-vous à ce degré d'efficacité narrative ?
Avec Paul Laverty, les idées jaillissent souvent de longues
conversations mais nous partons souvent de films qu'on a déjà écrit
ensemble et on choisit l'idée qui semble incontournable. La première
question qu'il est indispensable de se poser avant de faire un film
c'est : « Pourquoi je vais faire ce film en particulier ? ». Le pari
suivant sera de parvenir à construire une histoire qui permette de
répondre à cette question et si possible trouver dans le cheminement
des personnages quelque chose qui dépende du sujet du film. Il faut que
le sujet du film existe dans la vie même des personnages. Le mieux
c'est que, lorsqu'on vous raconte une histoire pour la première fois,
cette histoire vous semble évidente, surprenante mais qu'en y
réfléchissant après coup, elle vous paraisse inévitable, que vous
puissiez vous dire « Évidemment c'est comme cela que les choses
devaient se passer ». En outre, plus j'avance en âge, plus je me dis
aussi qu'il faut économiser les effets de style, qu'il faut aller au
plus simple. Sur la table de montage nous avons même mis une note : «
Si jamais il y a un doute, on coupe ».
Que pensez-vous de la délimitation des grands genres : comédie, drame, etc. ?
La grande question qui revient généralement est « Ce film est-il une
tragédie ou une comédie ? ». Évidemment, le point de vue classique est
que si c'est une comédie, le film se terminera sur un happy end et si
c'est un drame, la fin sera triste et larmoyante mais ce qu'il ne faut
pas oublier, c'est qu'avant d'atteindre la fin du film, une comédie
peut vous faire pleurer et un drame peut vous faire rire. C'est
justement ce mélange qui est intéressant, qui peut perturber mais qui
finalement participe à renforcer ce qu'on ressent vis à vis d'un film.
Dans Raining stones,
j'ai même eu l'impression qu'on était sur le fil, entre les deux genres
et qu'on aurait même pu basculer vers la comédie car cette communauté
qui s'entraide aurait pu à un moment vaincre l'usurier.
Vous traitez de l'étranger dans toute votre filmographie, au sens
géographique et au sens sociopolitique. Est ce que vous-même, vous vous
sentez étranger quelque part ?
Non en aucune façon. Je pense que mes films, moi-même et l'équipe avec
laquelle nous travaillons sont véritablement au centre de la culture et
de la société britannique et que les sujets de nos films sont
représentatifs de la majorité des gens. Je ne me sens pas en marge de
la société. Mais j'ai bien conscience que les gens qui viennent dans
notre pays ont des besoins, qu'ils se sentent en danger. Ils viennent
par nécessité et nous devons les accueillir. En ce qui concerne les
gens que l'on met simplement en marge de la société, ils sont en
majorité et font partie de la vie de tous les jours. Simplement ce sont
des travailleurs qui n'ont pas de travail. Je ne suis donc pas d'accord
avec le terme d'exclus car nous faisons tous partie du cur de la
société.
Comment Le Vent se lève a t-il été reçu en Grande-Bretagne ? A-t-il créé une controverse ?
Oui, il a fait controverse car c'est un film qui parle de la guerre
d'indépendance en Irlande et l'Irlande comme vous le savez, est notre
plus ancienne et dernière colonie. L'establishment britannique est très
sensible au sujet de l'Irlande et la réputation de l'Empire Britannique
est un sujet extrêmement délicat. (très ironique)
La Grande-Bretagne était une entreprise charitable dont le but était de
répandre le bonheur et la joie entre tous les peuples de différentes
couleurs. Si jamais l'un de ces peuples prenait les armes par hasard,
il en était de leur responsabilité et lorsqu'on nous demandait de
quitter les lieux immédiatement on répondait : « Pas de problème, on
s'en va » sans faire d'histoire. Le fait qu'il y ait eu au Kenya par
exemple des dizaines de milliers de morts dans des camps de
concentration sont des informations complètement fictionnelles... Alors
quand on a commencé à raconter l'histoire de l'Irlande, l'aile droite
anglaise est devenue littéralement hystérique. Pour donner un petit
exemple, on m'a accusé de haine contre mon pays, de disperser le
poison, et le mieux c'est qu'on m'a accusé de me pavaner fièrement en
costume-cravate sur la Croisette alors qu'aucun de ces gens n'avait vu
le film. Un journaliste a même écrit : « Je n'ai pas vu le film, je ne
veux pas le voir parce que je n'ai pas lu Mein Kampf et
que je n'ai pas besoin de le lire pour savoir qui était Hitler ». C'est
à la fois risible et très choquant. Je crois que ce qui a vraiment été
terrible pour eux, c'est que le film ait remporté la Palme d'Or car ça
voulait dire que leur petit secret était divulgué.
Merci à Jean-Samuel Kriegk de la Fnac
Rencontre retranscrite pour Écran Large par Nicolas Thys
Photos © Carole Desheulles