Masterclass Ken Loach

Nicolas Thys | 23 août 2006
Nicolas Thys | 23 août 2006

Pour la sortie le 23 août du Vent se lève, honoré de la Palme d'Or au dernier festival de Cannes, Ken Loach a donné rendez-vous au public à la Fnac des Ternes vendredi 7 juillet. Le réalisateur social britannique a pu à cette occasion dialoguer avec Robert Guédiguian, réalisateur social marseillais (!), qui faisait davantage office de simple modérateur que de débateur, se contentant de poser quelques questions et de faire un éloge interminable de Loach et de ses films. À l'occasion de cette Masterclass, Ken Loach a pu s'exprimer parfois très ému, parfois avec un humour « typically british », sur son œuvre de manière générale et plus particulièrement sur 4 de ses films choisis par le cinéaste français : Family Life, Raining Stones, Ladybirds et Just a kiss, avant de répondre aux questions du public . Nous avons sélectionné pour vous certains des grands thèmes qui ont été abordés durant cet après-midi.

 

 


 

Parlez-nous de votre manière de travailler, de tourner, et de votre rapport avec les acteurs.
Je joue beaucoup avec l'effet de surprise. C'est l'un des points clés et l'une des choses les plus difficiles à jouer pour un acteur : s'il connait l'histoire en entier, s'il a plusieurs mois pour répéter et analyser son personnage, forcément cet effet de surprise va s'estomper alors que s'il découvre le scénario peu de temps avant de tourner, on pourra jouer avec cet effet. Je tourne donc les scènes de chacun de mes films dans l'ordre dans lequel elles sont agencées dans le scénario de la première à la dernière et l'ensemble des acteurs découvre petit à petit l'action du film. On perçoit mieux à l'écran un réel effet de surprise. Il n'est pas forcément utile pour autant que la première prise soit la bonne, cet effet peut durer quelques heures, le temps d'en faire plusieurs. En général, les acteurs ont une large part d'improvisation dans leur mouvement même si le texte, lui, est écrit.

 

Et par rapport aux techniciens sur le plateau ?
Ils sont justement au service des acteurs et non le contraire. En règle générale dans un film, les acteurs ont des marques au sol qui indiquent plus ou moins leur déplacement. Dans les miens, ce n'est pas le cas. C'est d'ailleurs très dur pour le preneur de son et le caméraman qui s'occupe des focales et de la prise de vues. Le perchman doit à la fois à ne pas être vu à l'écran et à suivre les personnages dans leur mouvement sans les gêner ni les déconcentrer. Pour le cameraman, c'est pareil, il faut qu'il sache à l'avance ce que tel déplacement va donner à l'écran et quel objectif utiliser pour rendre compte au mieux des déplacements improvisés. En outre, si les gros plans et les plans serrés ne me dérangent pas, j'évite de les faire lorsque la caméra est située près des acteurs pour ne pas les déranger dans leur travail et pour que leur jeu soit le plus naturel possible.

 


 

Le jeu des acteurs dans vos films n'est pas du tout stylisé, il semble au contraire coller aux personnages. Comment faites-vous pour parvenir à ce résultat ?
Il faut tout d'abord trouver un groupe de personnes qui fait corps avec l'histoire. Il faut parvenir à les faire cheminer. Si on a trouvé les bonnes personnes, quand elles se révèlent, elles révèlent en même temps le personnage qu'elles interprètent. Dans Family life, par exemple, le personnage central, le plus dur, celui qui porte la culotte, est sans conteste la mère et c'est le personnage qui fut le plus difficile à trouver car le réflexe naturel d'une actrice professionnelle sera de juger le personnage. Si vous lisez le scénario, il apparaît clairement que le problème dans la famille, c'est elle. Je me suis demandé où trouver quelqu'un qui peut incarner cette femme sans la juger ? (ton sarcastique) J'ai visité alors les bureaux du Parti Conservateur à Londres dans lequel on trouve un groupe de femmes très fortes. On leur a fait passer une audition et 4 ou 5 se sont révélées excellentes. Nous en avons retenu une et donc de son point de vue, ce n'était pas problématique : elle interprétait simplement un personnage qui essayait d'être proche des valeurs familiales traditionnelles. C'était très important qu'elle ait l'impression d'avoir raison, d'être dans son bon droit.

 

Est-ce vous qui vous occupez du casting et des autres étapes de préparation au tournage ?
À l'origine, oui je m'occupais de tout, mais pour mes derniers films j'ai travaillé avec quelqu'un d'autre mais toujours avec une personne qui connaissait parfaitement les lieux où l'on tournait, les gens qui y vivent. C'est sur ces critères que j'ai d'ailleurs choisi certaines personnes, en leur faisant faire de petites improvisations. Je pense d'ailleurs que le casting est l'étape la plus importante dans la création d'un film après l'étape du scénario.

 


 

Pouvez-vous nous parler du travail que vous faites sur le scénario, que vous ne signez pas puisque vous avez un scénariste, souvent Peter Laverty. Comment parvenez-vous à ce degré d'efficacité narrative ?
Avec Paul Laverty, les idées jaillissent souvent de longues conversations mais nous partons souvent de films qu'on a déjà écrit ensemble et on choisit l'idée qui semble incontournable. La première question qu'il est indispensable de se poser avant de faire un film c'est : « Pourquoi je vais faire ce film en particulier ? ». Le pari suivant sera de parvenir à construire une histoire qui permette de répondre à cette question et si possible trouver dans le cheminement des personnages quelque chose qui dépende du sujet du film. Il faut que le sujet du film existe dans la vie même des personnages. Le mieux c'est que, lorsqu'on vous raconte une histoire pour la première fois, cette histoire vous semble évidente, surprenante mais qu'en y réfléchissant après coup, elle vous paraisse inévitable, que vous puissiez vous dire « Évidemment c'est comme cela que les choses devaient se passer ». En outre, plus j'avance en âge, plus je me dis aussi qu'il faut économiser les effets de style, qu'il faut aller au plus simple. Sur la table de montage nous avons même mis une note : « Si jamais il y a un doute, on coupe ».

 

Que pensez-vous de la délimitation des grands genres : comédie, drame, etc. ?
La grande question qui revient généralement est « Ce film est-il une tragédie ou une comédie ? ». Évidemment, le point de vue classique est que si c'est une comédie, le film se terminera sur un happy end et si c'est un drame, la fin sera triste et larmoyante mais ce qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'avant d'atteindre la fin du film, une comédie peut vous faire pleurer et un drame peut vous faire rire. C'est justement ce mélange qui est intéressant, qui peut perturber mais qui finalement participe à renforcer ce qu'on ressent vis à vis d'un film. Dans Raining stones, j'ai même eu l'impression qu'on était sur le fil, entre les deux genres et qu'on aurait même pu basculer vers la comédie car cette communauté qui s'entraide aurait pu à un moment vaincre l'usurier.

 


 

Vous traitez de l'étranger dans toute votre filmographie, au sens géographique et au sens sociopolitique. Est ce que vous-même, vous vous sentez étranger quelque part ?
Non en aucune façon. Je pense que mes films, moi-même et l'équipe avec laquelle nous travaillons sont véritablement au centre de la culture et de la société britannique et que les sujets de nos films sont représentatifs de la majorité des gens. Je ne me sens pas en marge de la société. Mais j'ai bien conscience que les gens qui viennent dans notre pays ont des besoins, qu'ils se sentent en danger. Ils viennent par nécessité et nous devons les accueillir. En ce qui concerne les gens que l'on met simplement en marge de la société, ils sont en majorité et font partie de la vie de tous les jours. Simplement ce sont des travailleurs qui n'ont pas de travail. Je ne suis donc pas d'accord avec le terme d'exclus car nous faisons tous partie du cœur de la société.

 

Comment Le Vent se lève a t-il été reçu en Grande-Bretagne ? A-t-il créé une controverse ?
Oui, il a fait controverse car c'est un film qui parle de la guerre d'indépendance en Irlande et l'Irlande comme vous le savez, est notre plus ancienne et dernière colonie. L'establishment britannique est très sensible au sujet de l'Irlande et la réputation de l'Empire Britannique est un sujet extrêmement délicat. (très ironique) La Grande-Bretagne était une entreprise charitable dont le but était de répandre le bonheur et la joie entre tous les peuples de différentes couleurs. Si jamais l'un de ces peuples prenait les armes par hasard, il en était de leur responsabilité et lorsqu'on nous demandait de quitter les lieux immédiatement on répondait : « Pas de problème, on s'en va » sans faire d'histoire. Le fait qu'il y ait eu au Kenya par exemple des dizaines de milliers de morts dans des camps de concentration sont des informations complètement fictionnelles... Alors quand on a commencé à raconter l'histoire de l'Irlande, l'aile droite anglaise est devenue littéralement hystérique. Pour donner un petit exemple, on m'a accusé de haine contre mon pays, de disperser le poison, et le mieux c'est qu'on m'a accusé de me pavaner fièrement en costume-cravate sur la Croisette alors qu'aucun de ces gens n'avait vu le film. Un journaliste a même écrit : « Je n'ai pas vu le film, je ne veux pas le voir parce que je n'ai pas lu Mein Kampf et que je n'ai pas besoin de le lire pour savoir qui était Hitler ». C'est à la fois risible et très choquant. Je crois que ce qui a vraiment été terrible pour eux, c'est que le film ait remporté la Palme d'Or car ça voulait dire que leur petit secret était divulgué.

 

Merci à Jean-Samuel Kriegk de la Fnac
Rencontre retranscrite pour Écran Large par Nicolas Thys
Photos © Carole Desheulles

 

 

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