John Lasseter (Cars)

Stéphane Argentin | 14 juin 2006
Stéphane Argentin | 14 juin 2006

John Lasseter est aujourd'hui considéré comme le maître es animation 3D par le biais de son studio Pixar, au même titre que Hayao Miyazaki est considéré comme le maître de la 2D avec son studio Ghibli. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ces deux sommités du monde de l'animation s'apprécient et se respectent mutuellement (Miyazaki a personnellement demandé à Pixar de superviser le doublage anglais de son Château ambulant). Sept ans après Toy story 2, le grand gourou de la 3D est enfin de retour pour son quatrième long-métrage en tant que réalisateur, Cars. En mai dernier, John Lasseter (accompagné pour l'occasion de la productrice de longue date du studio Pixar, Darla Anderson) était de passage à Paris. Rencontre avec un amoureux fou de voitures, d'animation mais aussi et surtout avec un individu débordant de vie…

 

 

Retrouvez également le tapis rouge de l'avant-première en présence des voix françaises

 

 

D'où est venue l'idée du film ?
C'est un projet très personnel à la base. Ma mère était professeur de dessins et durant ma jeunesse, j'ai travaillé dans la concession Chevrolet que tenait mon père. L'idée de faire un film d'animation sur l'univers automobile ne date donc pas d'hier en ce qui me concerne puisque j'ai grandi dedans en quelque sorte. Pour autant, j'ignorais sous quelle forme ce film allait voir le jour jusqu'à l'été 2000. Durant les années 90, j'ai travaillé coup sur coup sur trois films sans m'arrêter : Toy story, 1001 pattes et Toy story 2. Dans ce même laps de temps, j'ai eu quatre de mes cinq fils et mon épouse m'a toujours soutenu durant toute cette période jusqu'à ce qu'elle finisse par me mettre en garde sur le fait que, si je continuais ainsi à me tuer au travail, mes fils seraient tous partis à la fac avant que je n'ai eu le temps de les voir grandir. Donc, durant l'été 2000, ma femme, mes enfants et moi sommes partis pendant deux mois en camping-car sur les routes des États-Unis sans trajet préétabli. C'est à ce moment là que je me suis rendu compte que j'étais tellement obnubilé par mon travail et les deadlines pour boucler ces films dans les temps que j'en avais effectivement perdu de vue le plus important de ce qui se déroulait dans ma vie de tous les jours. C'est ce que j'ai voulu retranscrire avec ce film au travers du personnage de Flash McQueen : que le trajet accompli est plus important que la ligne d'arrivée et qu'il faut parfois savoir lever le pied pour profiter de la vie.

 


 

Dans le film, le véritable héros est précisément celui qui renonce à la victoire selon les règles établies par la compétition. Est-ce à dire que vous vous considérez vous-même comme un joyeux gauchiste ?
Je ne suis qu'un geeks d'animation du nord de la Californie et c'est à peu près là toute ma politique.

 

Vous êtes passés des jouets aux insectes et à présent aux voitures. Peut-on voir dans Cars un film orienté vers un public plus adulte que les précédents ?
Nous n'avons jamais considéré nos films comme orientés vers un public cible en particulier. Nous les faisons avant tout pour nous-mêmes. De plus, nous ne nous cantonnons pas à un genre bien précis. Tous nos films sont totalement différents les uns des autres. Nous sommes des fans de cinéma et nous cherchons surtout à faire les films qui nous plaisent et nous divertissent, et qui seront ainsi susceptibles de faire de même pour un large public également friand de bon cinéma.

 

Comment avez-vous fait à ce sujet pour « humaniser » des voitures ?
Ce qu'un animateur aime plus que tout, c'est chercher à donner vie à des objets inanimés. À chaque nouveau projet, je cherche avant tout à déterminer ce qui va servir de visage aux objets en question, car c'est là le reflet de l'âme. Avec une voiture, le réflexe naturel est de mettre les yeux à la place des phares, ce qui serait parfait pour un univers où les humains apparaîtraient, mais l'univers de Cars n'est peuplé exclusivement que de voitures. D'autre part, une telle approche confèrerait aux personnages un côté très longiligne et presque reptilien. En décidant de placer les yeux à la place du pare-brise, le reste est venu naturellement : la bouche en guise de pare-choc, les roues en guise de jambes…

 


 

Pourtant, au cours du film, il n'y a pas le moindre petit bisou entre Flash et Sally. Vous aviez peur que cela ressemble à un accident ?
(rires) Bien que nous cherchions perpétuellement à faire transparaître des émotions en « humanisant » nos personnages, dans le cas de Cars, nous ne voulions pas pour autant les rendre trop « mous », trop flexibles car les voitures sont tout de même à la base des éléments avec une structure très rigide. Il y avait donc certaines limites à ne pas dépasser en la matière et dans le cas que vous évoquez, oui, l'amour aurait pu faire très mal (rires).

 

Comment avez-vous décidé quelle marque de voiture serait un garçon ou une fille ? Et aviez-vous des contrats avec les différents constructeurs ?
Dès le départ, je souhaitais m'inspirer de véritables modèles existants. En les observant, nous sommes arrivés à la conclusion que les lignes d'une Porsche Carrera étaient si élégantes et raffinées que nous avons décidé qu'elle incarnerait le personnage féminin de Sally. Quant aux autorisations, je me suis juste contenté de fournir une liste de tous les modèles que je souhaitais utiliser dans le film à Darla.

Darla K. Anderson : Tous les fabricants que nous avons contactés étaient ravis de faire partie du projet et ont bien compris que le film était avant tout une lettre d'amour de John au monde de l'automobile. Mais attention, il ne s'agissait aucunement d'un placement de produits. Nous n'avons jamais opéré de la sorte dans aucun des films Pixar. Et alors que tout le monde nous disait qu'il serait quasi-impossible à convaincre, Porsche a été le premier constructeur avec lequel nous avons signé, même si, bien sûr, la relation de confiance a pris un peu de temps à établir en raison des clauses de confidentialité concernant notamment le design.

 


 

Les films Pixar vont chaque fois un peu plus loin en matière d'animation 3D. Y a-t-il des choses impossibles à faire dans ce domaine ?
(Pensif) Qu'est-ce qui est impossible ? Un rat dans une cuisine française. Houps, c'est notre prochain film (rires). Plus sérieusement, la seule vraie limite se situe au niveau de l'imagination des créateurs. Mais d'une manière générale, plus les choses sont organiques plus elles sont difficiles à retranscrire comme par exemple les êtres humains. Et bien que nous ayons également fait cela pour Les Indestructibles, les personnages demeuraient malgré tout très stylisés.

 

N'est-il pas un peu paradoxal de faire un film sur la nostalgie du bon vieux temps avec une technologie aussi pointue que celle employée par Pixar ?
Croyez bien que nous sommes de vrais geeks de technologie, notamment Steve Jobs (le patron d'Apple, NDR) qui est un ami et un allié de longue date dans ce domaine. Nos jouets informatiques sont notre source d'inspiration. Pour autant, notre base de travail reste identique à celle mise en place par D.W. Griffith (scénariste, réalisateur et producteur du début du 20ème siècle considéré comme le père des techniques cinématographiques, NDR) ainsi que celle employée dans l'animation 2D traditionnelle depuis plus d'un demi-siècle. Et quel que soit le film que vous réalisiez, aussi bien en animation 2D, 3D ou bien en prises de vues réelles, et avec la technologie que vous vouliez, le but premier demeure inchangé : divertir et toucher le public.

 


 

La ville fantôme de Radiator Springs dans le film peut-elle être perçue comme les vestiges de l'animation traditionnelle où l'on peut encore aller y puiser certaines valeurs ?
(Très long silence) Je suis né à Hollywood alors… (rires). Plus sérieusement, chez Pixar, nous travaillons certes exclusivement dans le domaine de l'animation 3D mais ce qui m'attriste tout particulièrement, c'est de voir que certains studios qui possédaient derrière eux une longue tradition de la 2D ont cru bon de laisser tomber ce type de longs-métrages en voyant le succès remporté par des films 3D et en imaginant que le public n'allait plus s'intéresser qu'à ça. C'est faux ! Les gens ont simplement boudé de mauvais films 2D à ce moment là. Ce qu'ils veulent voir avant tout, ce sont de bons films, quelque soit le procédé employé.

 

Avec le rachat de Pixar par Disney, allez-vous tenter de relancer de nouveaux projets en 2D ?
Au moment de cette transaction, Bob Iger (le PDG de The Walt Disney Company, NDR) m'a demandé de superviser le département animation. Ce qui compte avant tout une fois encore, c'est l'histoire. Celle-ci ainsi que la décision du réalisateur conditionneront le choix de l'emploi de la 2D ou de la 3D pour les futurs projets.

 

 

 

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