Bertrand Blier (Combien tu m'aimes ?)

Ilan Ferry | 25 mai 2006
Ilan Ferry | 25 mai 2006

Drôle d'endroit pour une rencontre ! C'est en effet au bar de l'hôtel Ambassador situé dans le 9ème arrondissement de Paris que le réalisateur Bertrand Blier, armé de sa légendaire pipe, nous a livré un entretien tous azimuts à l'occasion de la sortie en DVD de son dernier film Combien tu m'aimes. Entre musique de fond et conversations assourdissantes, rencontre avec un amoureux du cinéma qui n'a pas sa langue dans sa poche.

 

 

 

Quel a été votre plus beau souvenir sur le tournage de Combien tu m'aimes ?
Sur un tournage, les plus beaux souvenirs proviennent toujours des rares moments où l'on tient un plan magique. Le film en contient trois ou quatre, le plus beau reste sûrement ce magnifique monologue de Jean-Pierre Daroussin. Il m'a bouleversé à un tel point qu'à la fin du tournage de cette scène, je pouvais à peine dire Coupez !

 

Aviez-vous déjà les airs d'Opéra en tête lors de l'écriture du film ?
Non pas du tout, le seul air que j'avais en tête, c'était celui qui ouvre la première séquence et que j'ai réutilisé plusieurs fois durant tout le film. Je ne savais pas que j'allais utiliser de l'Opéra. Cependant durant l'écriture du scénario et pendant le tournage, je me suis mis à en écouter et j'ai réalisé que cela fonctionnait parfaitement avec le ton que je voulais donner à certaines scènes.

 

Combien tu m'aimes est votre hommage à Irma La Douce ?
Non, je n'ai pas vu le film seulement la comédie musicale qui l'a inspirée.

 


 

Dans le portrait qui vous est consacré sur le DVD de Combien tu m'aimes, vous dites qu'il y a beaucoup d'images mais peu de cinéma…
J'ai l'impression qu'on vit dans un monde de l'image. Pour moi, le cinéma à beaucoup moins à voir avec les images qu'on ne le pense mais plus avec ce que j'appelle l'illusion du metteur en scène. Il y a plus de cinéma dans les films de Renoir que dans ceux, actuels, où l'image est très travaillée… ce qui ne veut pas nécessairement dire qu'il ne faut aimer que les vieux films, il reste de grandes exceptions comme Wong Kar-Wai.

 

Le scénario n'est-il qu'affaire de mécanique ?
Il y a en effet des gens qui travaillent comme ça, c'est-à-dire en n'utilisant que des éléments clés prompts à faire ressentir au spectateur des émotions telles que le rire ou les larmes et ce de manière, quasi automatique, mais ce n'est pas mon cas. Il y a toutes sortes de manière d'écrire un scénario et il est important de faire la différence entre un auteur et un scénariste, car les deux n'ont rien à voir. Un auteur peut se permettre d'écrire des choses intournables, tout en traitant d'un thème qu'on essaye de travailler comme une musique. Il a un monde bien à lui et c'est à lui de se démerder s'il veut le tourner, tandis qu'un scénariste sait construire un film de manière à ce qu'il marche. Je me considère comme un auteur, mais j'avoue que je ne suis pas un très bon scénariste.

 

Le cinéma d'auteur est-il une notion qui se perd ?
Je ne sais pas ce qu'on entend aujourd'hui par cinéma d'auteur. Touchez pas au grisbi a beau être pour moi un chef d'œuvre, je ne le considère pas comme un film d'auteur mais comme un film de metteur en scène. Parce qu'il dégage un charme qui le rend extraordinaire, qui renvoie au regard et non à l'image. Les films de Becker, Melville ou encore Renoir sont portés par la personnalité de leur réalisateur et le regard qu'ils ont porté sur l'humanité. On assiste à la disparition de cette notion au profit d'une prolifération d'images souvent brillantes. Il y a un vrai problème de culture dû au fait que selon moi, on n'enseigne pas suffisamment bien le cinéma (du moins pas au même titre que la littérature) ce qui est d'autant plus dommageable que les enfants apprendraient énormément en découvrant certains films. Ainsi, quand je vois des gens s'extasier devant Michael Mann, j'ai envie de leur dire de revoir les premiers films de Stanley Kubrick et d'Orson Welles.

 


 

Toujours dans le portrait, vous disiez être, au début de votre carrière, un auteur au service du metteur en scène, qu'est ce qui a changé depuis ?
J'ai débuté en tant qu'auteur, puis quand j'ai commencé comme metteur en scène j'étais très tyrannique car il fallait absolument tourner ce que l'auteur avait écrit. Quand j'ai démarré avec Les Valseuses j'étais assez timide avec l'image et ne prenais pas assez d'aises avec la caméra préférant me focaliser sur les dialogues et les acteurs. Maintenant, je me sens plus libre de faire des scènes de cinéma pur voire d'improviser sur les tournages.

 

Accepteriez-vous de tourner un film dont vous n'auriez pas écrit le scénario ou inversement écrire un scénario sans le réaliser ?
Absolument, si c'est un bon truc, j'accepterai de le réaliser…. mais on ne me propose rien ! Le deuxième cas s'est déjà présenté plusieurs fois mais ne m'a jamais réussi. Quand j'écris une scène, il faut que je la tourne car je sais comment le faire, pas les autres.

 

Un autre bonus du DVD vous confronte à votre double lors d'une courte interview, cela signifie-t-il que vous avez un coté schizophrène ?
Non, mais j'ai trouvé ça très drôle car on voit y deux Bertrand Blier aussi abrutis l'un que l'autre.

 

Quelle est la plus belle histoire d'amour au cinéma ?
Je ne pourrais pas vous dire exactement car il en existe tellement. La plus belle histoire d'amour arrive quand on a 20 ans car à cet âge on peut voir des milliers de choses et trouver ça extraordinaire ! Par exemple, Un Homme et une femme et Hiroshima mon amour m'ont bouleversé à l'époque où je les aie vu. Tout bon film est une histoire d'amour avec un homme ou une femme : on ne peut, par exemple, que tomber amoureux d'un acteur comme Marcello Mastroianni ou Marlon Brando.

 


 

Les histoires d'amour finissent mal en général, vous confirmez ?
C'est vrai, bien que ce ne soit pas une règle absolue. Cependant, la tendance aujourd'hui est de réaliser des films qui se terminent bien, les gens en redemandent à tel point que ce n'est plus révolutionnaire.

 

Le cinéma est-il le remède idéal à la mélancolie ?
Oh non, il en existe des biens meilleurs ! Le cinéma n'est en rien une panacée, c'est un art qui rend rarement heureux mais toujours malheureux et auquel on ne comprend rien ! C'est pas franc comme truc mais ça reste fascinant. Quand j'ai commencé j'en avais une vision très paradisiaque, c'était l'époque de la Nouvelle Vague, Truffaut, Vadim, il y avait un côté merveilleux que je ne retrouve plus aujourd'hui ou très rarement. Il faut vraiment aimer le cinéma pour en faire, car la mélancolie est souvent générée par le cinéma lui-même. Si on reste sur un plan artistique, l'écriture de romans est beaucoup plus satisfaisant. Il est plus rare de connaître le succès avec un livre qu'avec un film, mais quand ça arrive c'est merveilleux. Mes meilleurs films, ce sont mes romans et mes pièces de théâtre… mais je ne n'en ai écrit qu'une !

 

Vous attendez quoi du cinéma ?
Que ça me fascine ! Je peux tout autant être emporté par un polar que par 2046. Ce dernier a beau être parfois long et gonflant, je suis ressorti de la salle dans un état de bonheur total.

 

Quels sont vos projets ?
J'écris actuellement la dernière scène de mon nouveau film qui sera interprété par Edouard Baer et Carole Bouquet.

 

 

 

Propos recueillis par Ilan Ferry.
Autoportrait de Bertrand Blier.
Retrouvez notre premier entretien avec Bertrand Blier en cliquant sur ce lien.

 

 

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