Bertrand Blier (Combien tu m'aimes ?)
Une nouvelle oeuvre de Bertrand Blier fait toujours l'évènement. Ses derniers films nous avaient presque habitué à être déçu - la barre est-elle trop haute ? - et c'est aussi peut-être pour cette raison que Combien tu m'aimes ? nous a enthousiasmé tant il est supérieur. Son auteur sent le vent tourner en sa faveur mais on le sent un peu tendu. Propos d'un géant du cinéma français qui pourrait arrêter de tourner plus tôt qu'on ne le croit...
La presse a l'air unanime pour dire que Combien tu m'aimes ? est votre meilleur film depuis bien longtemps
Ça m'est égal, il y a des périodes où ça marche, d'autres non. J'aime
tous mes films et chaque fois que j'en fais un, je me dis qu'il va être
formidable mais c'est rarement le cas. Si les films sont réussis, en
général ils marchent et tous les metteurs en scène sont soumis à cette
règle, que ce soit Coppola, Fellini
Il ne faut tirer aucune conclusion
avant la fin d'une carrière car on peut avec le temps s'apercevoir que
ce ne sont pas forcément les plus gros succès qu'on préfère. Je pense
notamment à Jean Renoir et La Règle du jeu
qui n'a jamais marché nulle part et cela ne l'a pas empêché de devenir
une référence absolue dans l'Histoire du cinéma alors que ce n'est pas
le meilleur film de Renoir. J'aime bien les films ratés de metteurs en
scène qui ont du talent mais le public est le premier juge car c'est
lui qui sort son portefeuille et nous devons le respecter. Trop belle pour toi avait une conjoncture un peu identique à celle que connaît aujourd'hui Combien tu m'aimes ?.
J'ai cru en le tournant que j'allais être ridicule et que c'était le
film de trop alors que finalement
On peut se comparer à des boxeurs
qui vont sur le ring.
Vous avez bien accusé le coup après l'échec cuisant des Côtelettes !
J'ai du répondant dans le sens que je suis un inventeur d'histoires,
j'ai toujours de nombreux projets et beaucoup d'amis acteurs qui sont
prêts à venir travailler avec moi donc je suis crédible. Le seul
changement qui peut intervenir concerne le volume d'argent engagé.
Votre première rencontre avec Monica Bellucci ?
Cela n'avait rien d'exceptionnel, je l'ai invité à déjeuner et je lui
ai raconté l'histoire que j'avais en tête. Je voulais son accord avant
de me lancer dans l'écriture du scénario. Elle a accepté au bout d'un
quart d'heure. Nous sommes vite devenus copains, elle est charmante,
très agréable.
Vous avez écrit en pensant à d'autres comédiens ?
Dès que j'ai eu l'idée de Monica, je me suis demandé qui pourrait être
le mec et en cinq minutes, j'avais Bernard Campan en tête. Ce fut plus
long de trouver une rivale crédible de Monica car c'est difficile à
jouer. J'ai tâtonné sur ce personnage et le choix fut le plus radical
possible en choisissant la plus jeune. Sara Forestier incarne la
jeunesse et rentre en compétition avec Monica car si on doit choisir
entre les deux, ce n'est gagné ni pour l'une ni pour l'autre.
Vous avez fait votre choix dans le film en étant le client de Sara !
(Rire.)
C'est une blague ! Elle est bien cette petite
Je voulais mettre en
valeur son visage avec la lumière et je suis content du résultat, elle
est très belle. Elle va faire une énorme carrière.
Gérard Depardieu a utilisé des anti-sèches ?
Maintenant, on doit utiliser des grands panneaux car à 56 ans, il
commence à avoir des problèmes de vue et ne peut plus lire de petits
papiers
Il ne veut plus apprendre son texte, c'est emmerdant. Gérard
est fatigué, il a fait tellement de films ! Il est moins professionnel
mais cela dit, je le trouve quand même génial dans son rôle.
Combien tu m'aimes ? est-il un peu misogyne sur les bords ?
Je n'ai pas d'opinion là-dessus.
Dans le dossier de presse, vous dîtes : « C'est
un thème intéressant qui consiste à proposer un salaire à une pute pour
qu'elle vive avec vous. Ce n'est pas plus absurde que de payer une
prestation compensatoire à vie. Ça se tient. Il y a des filles avec
lesquelles on paie avant, et puis d'autres où l'on paie après. L'homme
paie. »
Oui mais ce n'est pas dans le film. On ne devrait pas faire de dossier de presse, on raconte très souvent des conneries !
C'en est une ?
Non, c'est un propos de bistrot. Quand on arrive à un certain âge et
qu'on a un certain nombre de pensions alimentaires à payer, on peut
arriver à ce genre de pensées cruelles, je le reconnais... Mais qu'on
me prouve le contraire !
Vous avez pris des renseignements sur les putes ?
Ce n'est pas la peine non plus de faire une étude de six mois mais il
est préférable d'aller pendant l'écriture prendre un verre ou deux dans
un bar pour discuter avec ces femmes, qui sont d'ailleurs très sympas.
Il faut surtout bien distinguer les putes de bars à Pigalle et celles
de la rue, il y a tellement de formes différentes de prostitutions
aujourd'hui
On a l'impression, pas seulement avec Combien tu m'aimes ?, que vous n'êtes pas très éloigné de Buñuel.
Il fait partie du patrimoine mondial du cinéma et je me sens en effet
des affinités énormes avec lui. Il m'est arrivé d'être jaloux de lui
car il a tourné des scènes que j'aurais aimé signer
(Après un temps de réflexion.) C'est vrai qu'il est l'un des rares à m'avoir fait dire « Ah le salaud, quelle scène ! »
Parmi les artistes contemporains, qui vous plaît particulièrement ?
En France, pas grand monde. J'aime surtout des films difficiles, ceux de Brunot Dumont ou Gaspard Noé. De Jeunet, j'ai préféré Amélie Poulain au Long dimanche de fiançailles.
Ce cinéaste m'amuse avec sa caméra, il fait des plans incroyables.
Parmi les réalisateurs étrangers, je suis un fanatique d'Almodovar et
chez les asiatiques, de Zhang Yimou et surtout de Wong Kar-Wai. Il y a
des plans de Combien tu m'aimes ? qui sont directement inspirés de 2046. Du côté des américains, pas grand chose, c'est assez consternant. On peut citer Magnolia, mais ça commence à dater ! Même les grands comme Scorsese m'ennuient. L'avantage d'Hollywood est d'avoir un cinéma « moyen ».
Avec le recul, que pensez-vous de votre collaboration avec Besson, pour Les Côtelettes ? Jean-Pierre Mocky m'a dit récemment qu'avec des réalisateurs de caractère comme lui ou vous, il ne pouvait pas y avoir de bonnes relations professionnelles (Cliquez ici pour relire ses propos.)
Luc n'est pas intervenu pendant le tournage. Un peu lors du montage et cela nous a donné l'occasion d'un peu nous fritter, c'est normal. Heureusement qu'en France, l'auteur a le dernier mot ! C'est un gars bien, j'aime Luc, il est né avec une caméra dans la tête mais il est coriace.
Où serez-vous le mercredi fatidique ? Vous êtes nerveux à l'approche de la sortie ?
Oui, je suis toujours nerveux. Je ne sais pas où je serai. Pas dans une salle. Près de mon téléphone.
Pourquoi pas dans une salle ?
Parce qu'il ne faut pas aller dans les salles, ça n'a aucun sens. Dans
quelle salle aller, à quelle séance
Ça ne m'intéresse pas. Je préfère
que des gens me parlent du film dans la rue. Pour Les Valseuses,
j'étais quand même amusé de voir les longues files d'attente qui
cachaient les entrées pour les autres films mais aujourd'hui avec les
cartes et les achats à l'avance, c'est rarement le cas.
Votre prochain film ?
Je suis sur des projets mais il n'y a rien de précis. Je veux attendre de savoir si Combien tu m'aimes ? sera un succès, car cela détermine toujours le suivant.
Si Les Côtelettes avait été un succès, vous n'auriez pas fait Combien tu m'aimes ? ?
Ou différemment car j'aime la politique du risque, après un succès je
choisis un film casse-gueule. C'est mon côté aventurier, je suis attiré
par le danger.
Vous allez encore beaucoup tourner ?
Non, j'ai d'autres choses à faire comme des pièces de théâtre ou des
romans. J'espère arrêter de faire des films dans les cinq ans à venir.
Pas définitivement, on ne sait jamais, mais j'ai assez tourné.
Apparemment, il vous reste des choses à dire.
Il faut les chercher maintenant !
Propos recueillis par Didier Verdurand.
Autoportrait de Bertrand Blier.