Bertrand Blier (Combien tu m'aimes ?)

Didier Verdurand | 25 octobre 2005
Didier Verdurand | 25 octobre 2005

Une nouvelle œoeuvre de Bertrand Blier fait toujours l'évènement. Ses derniers films nous avaient presque habitué à être déçu - la barre est-elle trop haute ? - et c'est aussi peut-être pour cette raison que Combien tu m'aimes ? nous a enthousiasmé tant il est supérieur. Son auteur sent le vent tourner en sa faveur mais on le sent un peu tendu. Propos d'un géant du cinéma français qui pourrait arrêter de tourner plus tôt qu'on ne le croit...

La presse a l'air unanime pour dire que Combien tu m'aimes ? est votre meilleur film depuis bien longtemps…
Ça m'est égal, il y a des périodes où ça marche, d'autres non. J'aime tous mes films et chaque fois que j'en fais un, je me dis qu'il va être formidable mais c'est rarement le cas. Si les films sont réussis, en général ils marchent et tous les metteurs en scène sont soumis à cette règle, que ce soit Coppola, Fellini… Il ne faut tirer aucune conclusion avant la fin d'une carrière car on peut avec le temps s'apercevoir que ce ne sont pas forcément les plus gros succès qu'on préfère. Je pense notamment à Jean Renoir et La Règle du jeu qui n'a jamais marché nulle part et cela ne l'a pas empêché de devenir une référence absolue dans l'Histoire du cinéma alors que ce n'est pas le meilleur film de Renoir. J'aime bien les films ratés de metteurs en scène qui ont du talent mais le public est le premier juge car c'est lui qui sort son portefeuille et nous devons le respecter. Trop belle pour toi avait une conjoncture un peu identique à celle que connaît aujourd'hui Combien tu m'aimes ?. J'ai cru en le tournant que j'allais être ridicule et que c'était le film de trop alors que finalement… On peut se comparer à des boxeurs qui vont sur le ring.

Vous avez bien accusé le coup après l'échec cuisant des Côtelettes !
J'ai du répondant dans le sens que je suis un inventeur d'histoires, j'ai toujours de nombreux projets et beaucoup d'amis acteurs qui sont prêts à venir travailler avec moi donc je suis crédible. Le seul changement qui peut intervenir concerne le volume d'argent engagé.

Votre première rencontre avec Monica Bellucci ?
Cela n'avait rien d'exceptionnel, je l'ai invité à déjeuner et je lui ai raconté l'histoire que j'avais en tête. Je voulais son accord avant de me lancer dans l'écriture du scénario. Elle a accepté au bout d'un quart d'heure. Nous sommes vite devenus copains, elle est charmante, très agréable.

Vous avez écrit en pensant à d'autres comédiens ?
Dès que j'ai eu l'idée de Monica, je me suis demandé qui pourrait être le mec et en cinq minutes, j'avais Bernard Campan en tête. Ce fut plus long de trouver une rivale crédible de Monica car c'est difficile à jouer. J'ai tâtonné sur ce personnage et le choix fut le plus radical possible en choisissant la plus jeune. Sara Forestier incarne la jeunesse et rentre en compétition avec Monica car si on doit choisir entre les deux, ce n'est gagné ni pour l'une ni pour l'autre.

Vous avez fait votre choix dans le film en étant le client de Sara !
(Rire.) C'est une blague ! Elle est bien cette petite… Je voulais mettre en valeur son visage avec la lumière et je suis content du résultat, elle est très belle. Elle va faire une énorme carrière.

Gérard Depardieu a utilisé des anti-sèches ?
Maintenant, on doit utiliser des grands panneaux car à 56 ans, il commence à avoir des problèmes de vue et ne peut plus lire de petits papiers… Il ne veut plus apprendre son texte, c'est emmerdant. Gérard est fatigué, il a fait tellement de films ! Il est moins professionnel mais cela dit, je le trouve quand même génial dans son rôle.

Combien tu m'aimes ? est-il un peu misogyne sur les bords ?
Je n'ai pas d'opinion là-dessus.

Dans le dossier de presse, vous dîtes : « C'est un thème intéressant qui consiste à proposer un salaire à une pute pour qu'elle vive avec vous. Ce n'est pas plus absurde que de payer une prestation compensatoire à vie. Ça se tient. Il y a des filles avec lesquelles on paie avant, et puis d'autres où l'on paie après. L'homme paie. »
Oui mais ce n'est pas dans le film. On ne devrait pas faire de dossier de presse, on raconte très souvent des conneries !

C'en est une ?
Non, c'est un propos de bistrot. Quand on arrive à un certain âge et qu'on a un certain nombre de pensions alimentaires à payer, on peut arriver à ce genre de pensées cruelles, je le reconnais... Mais qu'on me prouve le contraire !

Vous avez pris des renseignements sur les putes ?
Ce n'est pas la peine non plus de faire une étude de six mois mais il est préférable d'aller pendant l'écriture prendre un verre ou deux dans un bar pour discuter avec ces femmes, qui sont d'ailleurs très sympas. Il faut surtout bien distinguer les putes de bars à Pigalle et celles de la rue, il y a tellement de formes différentes de prostitutions aujourd'hui…

On a l'impression, pas seulement avec Combien tu m'aimes ?, que vous n'êtes pas très éloigné de Buñuel.
Il fait partie du patrimoine mondial du cinéma et je me sens en effet des affinités énormes avec lui. Il m'est arrivé d'être jaloux de lui car il a tourné des scènes que j'aurais aimé signer… (Après un temps de réflexion.) C'est vrai qu'il est l'un des rares à m'avoir fait dire « Ah le salaud, quelle scène ! »

Parmi les artistes contemporains, qui vous plaît particulièrement ?
En France, pas grand monde. J'aime surtout des films difficiles, ceux de Brunot Dumont ou Gaspard Noé. De Jeunet, j'ai préféré Amélie Poulain au Long dimanche de fiançailles. Ce cinéaste m'amuse avec sa caméra, il fait des plans incroyables. Parmi les réalisateurs étrangers, je suis un fanatique d'Almodovar et chez les asiatiques, de Zhang Yimou et surtout de Wong Kar-Wai. Il y a des plans de Combien tu m'aimes ? qui sont directement inspirés de 2046. Du côté des américains, pas grand chose, c'est assez consternant. On peut citer Magnolia, mais ça commence à dater ! Même les grands comme Scorsese m'ennuient. L'avantage d'Hollywood est d'avoir un cinéma « moyen ».



Avec le recul, que pensez-vous de votre collaboration avec Besson, pour Les Côtelettes ? Jean-Pierre Mocky m'a dit récemment qu'avec des réalisateurs de caractère comme lui ou vous, il ne pouvait pas y avoir de bonnes relations professionnelles… (Cliquez ici pour relire ses propos.)
Luc n'est pas intervenu pendant le tournage. Un peu lors du montage et cela nous a donné l'occasion d'un peu nous fritter, c'est normal. Heureusement qu'en France, l'auteur a le dernier mot ! C'est un gars bien, j'aime Luc, il est né avec une caméra dans la tête mais il est coriace.

 

Où serez-vous le mercredi fatidique ? Vous êtes nerveux à l'approche de la sortie ?
Oui, je suis toujours nerveux. Je ne sais pas où je serai. Pas dans une salle. Près de mon téléphone.

Pourquoi pas dans une salle ?
Parce qu'il ne faut pas aller dans les salles, ça n'a aucun sens. Dans quelle salle aller, à quelle séance… Ça ne m'intéresse pas. Je préfère que des gens me parlent du film dans la rue. Pour Les Valseuses, j'étais quand même amusé de voir les longues files d'attente qui cachaient les entrées pour les autres films mais aujourd'hui avec les cartes et les achats à l'avance, c'est rarement le cas.

Votre prochain film ?
Je suis sur des projets mais il n'y a rien de précis. Je veux attendre de savoir si Combien tu m'aimes ? sera un succès, car cela détermine toujours le suivant.

Si Les Côtelettes avait été un succès, vous n'auriez pas fait Combien tu m'aimes ? ?
Ou différemment car j'aime la politique du risque, après un succès je choisis un film casse-gueule. C'est mon côté aventurier, je suis attiré par le danger.

Vous allez encore beaucoup tourner ?
Non, j'ai d'autres choses à faire comme des pièces de théâtre ou des romans. J'espère arrêter de faire des films dans les cinq ans à venir. Pas définitivement, on ne sait jamais, mais j'ai assez tourné.

Apparemment, il vous reste des choses à dire.
Il faut les chercher maintenant !

Propos recueillis par Didier Verdurand.
Autoportrait de Bertrand Blier.

 

 

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