Udo Kier (Manderlay)

Patrick Antona | 10 novembre 2005
Patrick Antona | 10 novembre 2005

Profitant de la dernière édition de L'Étrange Festival à Paris, où une rétrospective était programmée en son honneur, nous avons partagé un très bon moment avec Udo Kier , qui se révèle être à l'opposé des personnages inquiétants qu'il a l'habitude de camper dans nombre de ses films (plus de 150 au compteur) et à nouveau dans le dernier de Lars Von Trier, Manderlay. Rencontre avec un gentleman du cinéma que l'on a eu grand plaisir à écouter...

(Udo Kier l'air inquiet) Ok donc vous allez encore me poser des questions sur mes origines et mon âge véritable et tout le tralala…

Et bien non, nous voudrions plutôt évoquer vos premiers rôles marquants et plus précisément La Marque du Diable (Michael Armstrong,1970) qui a tant marqué les spectateurs au moment de sa sortie.
(Soulagé) Très bien, La Marque du Diable était mon troisième film et surtout mon premier en couleurs, avec Herbert Lom. Ce fût un très grand succès. La publicité faite autour du film y avait été pour beaucoup, on distribuait des sacs à vomi à l'entrée des salles, et la scène de torture avec la langue arrachée est devenue un classique.

Est-ce par ce film qu'Andy Warhol vous a découvert et vous a proposé les rôles-titres de Chair pour Frankenstein et Du sang pour Dracula ?
Non c'est le hasard complet et en plus c'est Paul Morissey qui m'a choisi. J'étais à Munich pour un tournage, sur un film allemand, et j'ai sympathisé avec Paul qui était venu présenté sa trilogie wharolienne (Flesh, Trash, Heat) en Allemagne. Un jour, il m'appelle au téléphone, en me disant qu'il doit faire un petit film, un Frankenstein pour Carlo Ponti, sous la supervision d'Andy Warhol, je demande quel rôle il peut avoir pour moi, il me répond « Et bien celui du Professeur Frankenstein! ». On a fait le film en trois semaines pour 300 000 $, en 3-D en plus. De nos jours, tourner une publicité coûte plus cher ! Mais n'imaginez pas qu'un tournage de film avec Andy Warhol, c'était la fiesta tout le temps et rock'n'roll. Pas du tout, c'était très strict, dans une ambiance plutôt studieuse. Le dernier jour de tournage, j'organise un cocktail à la cantine de Cinecittà, où même l'équipe du film de Fellini en tournage à l'époque s'est joint à la nôtre, et à l'issue de la fête, voilà qu'on me propose le rôle de Dracula, le challenge étant de perdre 15 kg en 15 jours pour pouvoir l'interpréter.

Et comment avez-vous fait ?
J'ai arrêté de me nourrir et je n ‘ai bu que de l'eau. Voilà pourquoi je passe la majeure partie du film en chaise roulante, j'étais devenu tellement faible que je n'avais plus la force de marcher !

Pour ces deux films, on a l'impression que le réalisateur vous laissait plus ou moins improviser ?
En fait il n'y avait pas de véritable scénario, juste une idée sur laquelle on partait et ensuite on brodait. Il ne faut pas oublier que ces films sont des comédies à l'origine. Tous les soirs on se retrouvait avec Paul Morissey et les acteurs et on discutait de la trame à suivre pour le lendemain.

Et que pouvez dire à propos des allégations d'Antonio Margheriti déclarant que c'était lui qui assurait en fait la mise en scène sur Chair pour Frankenstein et du Sang pour Dracula?
C'est totalement faux, Antonio Margheriti était uniquement cité au générique pour des histoires de production à Rome qui obligeait à ce qu'un réalisateur italien soit sur le plateau. Je l'ai vu un jour en tout et pour tout. Il ne devait être là que comme « couverture » et n'est absolument pas intervenu dans le processus créatif des deux films. Mais après cette bonne expérience, je ne voulais pas faire d'autres films d'horreur, j'ai décliné la proposition de la Hammer qui voulait faire de moi leur nouveau Christopher Lee. Et c'est là que Fassbinder entre en jeu.

Comment l'avez-vous rencontré ?
En fait, nous nous connaissions depuis l'adolescence, on s'est perdu de vue et un jour j'ai découvert qu'il était devenu un metteur en scène célèbre ! Et voilà qu'il m'embauche pour La Femme du chef de gare. Cela a été le début d'une collaboration vraiment enrichissante, qui s'est arrêtée en 1981 avec Lola, une Femme allemande. Je n'étais pas de la partie pour Querelle et il est mort après l'avoir terminé.

Mais dans les années 70, vous n'hésitez pas à faire le grand écart, en passant de Fassbinder au film érotique. Comment avez-vous atterri aux génériques d' Histoire d'O et de Spermula ?
Mais encore par hasard ! J'étais dans un night-club parisien, en train de boire un coup avec Roman Polanski, en 1974. À l'époque, je faisais la promotion de Chair pour Frankenstein, et un producteur est venu me proposer le sujet du film Histoire d'O. J'ai commencé par refuser car l'idée de faire un porno, trop peu pour moi ! Mais Polanski m'a convaincu, en me parlant du roman original et de son retentissement à l'époque de sa sortie. D'ailleurs Ken Russell était pressenti pour la mise en scène à ce moment.

C'était votre premier film français ?
Non, j'avais fait une série TV en 1973, Joseph Balsamo avec Jean Marais, coproduction franco-allemande. Mais au milieu des années 70, il y avait un autre grand projet qui me tenait à cœur mais qui n'a jamais pu être mené à bien, c'est le Dune d'Alejandro Jodorowsky, avec un casting fabuleux, Dali, Orson Welles, et pour moi le rôle de Feyd-Rautha (interprété par Sting dans le film de David Lynch). Alors j'ai fait aussi Spermula avec Charles Matton, mélange de film érotique et de SF. J'avais d'abord refusé de le faire à cause de son titre (NDLR : le sujet est bien sûr une femme-vampire interprétée par Dayle Haddon qui boit du sperme !) mais Charles m'a rassuré que c'était un « coup » du producteur Bernard Lentéric, le titre original étant L'Amour est un fleuve en Russie ( !?). Mais j'ai fait d'autres films érotiques, en particulier avec Walerian Borowczyk, Lulu et Dr Jekyll et les Femmes. J'étais bien sûr le Dr Jekyll mais Walerian, qui est un véritable esthète s'occupait plus des femmes sur le tournage, en particulier de Marina Pierro qui l'intéressait au plus haut point !

Que pouvez-vous nous dire à propos du film Rhapsodie Hongroises que vous avez fait avec Miklos Jancso, un grand réalisateur encore méconnu chez nous.
C'était une grande saga historique, à gros budget. Miklos adorait faire de longs plans-séquences, usant de grues et d'hélicoptère, avec tout le faste et les costumes. J'avais complètement oublié ces films-là !

On a l'impression que, dès que le courant passe avec un auteur, vous enchaînez à la suite les films avec lui, Fassbinder d'abord (5 films) et maintenant Lars von Trier (7 films). Vous regardez le scénario d'abord ou vous acceptez quoiqu'il vous propose ?
Pour Fassbinder, étant amis d'enfance, il n'y avait pas à discuter. Ma rencontre avec Lars date d'un festival où je présentais un court que j'avais réalisé, Element of Crime était aussi en compétition. Lorsque j'ai découvert son film, cela m'a complètement époustouflé et j'ai demandé à rencontrer le réalisateur. Quelle n'a pas été ma surprise quand j'ai vu arrivé ce grand gamin ! Ma première expérience avec lui a été le film Epidemic mais c'est avec un film TV adapté d'une pièce de théâtre, Médée, où il m'a offert le rôle de Jason, que notre collaboration a vraiment commencé. Et Europa a suivi. Mais il y a d'autres réalisateurs avec qui je suis fidèle, le dernier étant Viktor Schliegensief (NDLR : L'Étrange Festival a présenté ces films dans son édition 2005) qui œuvre dans le politiquement incorrect et le trash. En fait, j'aime bien travailler avec le même metteur en scène car c'est parfois plus commode puisqu'on connaît ses marques. Mais cela ne m'empêche pas de tourner pour des réalisateurs plus classiques. Ainsi j'ai terminé Cigarette Burns de John Carpenter à Los Angeles (NDLR : un des épisodes de l'anthologie Masters of Horror) avec qui je n'avais jamais tourné auparavant !

Vous avez quand même un sacré parcours, en alternant films d'auteur et films d'action ou de SF (La fin des temps, Blade). Comment arrivez-vous à faire la part des choses ?
Mais parce que je ne me prends plus la tête ! Etre acteur c'est déjà un métier très dur, si on doit y rajouter de la souffrance ou faire des caprices de star, non merci ! Vous savez, maintenant je vis à Los Angeles, je collectionne les meubles, je peints, j'ai trois chiens, je possède une librairie, et j'aime le contact avec les gens. Et ainsi je décroche des rôles. Par exemple, Michael Bay m'avait rencontré sur des publicités qu'on avait fait ensemble, il m'a ensuite embauché le plus simplement du monde pour Armaggedon pour faire le psychologue, j'ai ainsi une scène avec chacune des vedettes du film, de Bruce Willis à Ben Affleck ! Ce genre de cinéma, c'est de l'industrie et pas autre chose. D'ailleurs, mon agent me répète souvent qu'il y a un mot interdit dans le monde du cinéma hollywoodien, c'est le mot « Art ».

Vous semblez aussi vous complaire dans les rôles de « bad guy » ?
Mais tout le monde rêve de jouer un rôle de « bad guy ». Dans la vie, on doit être gentil et respecter la loi alors jouer quelqu'un de diabolique, c'est comme avoir un orgasme, c'est libérateur. Quand on me croise dans la rue à LA, les passants me disent « Oh you are so evil » et cela me fait plaisir. Et puis tous ces films d'horreur ont fait beaucoup pour ma célébrité. Les afro-américains se souviennent de moi pour mon rôle de vampire dans Blade et me saluent dans la rue bien qu'ils ne connaissent pas mon nom.

Et tourner avec Pamela Anderson (dans Barb Wire) c'était comment ?
Mais elle est adorable. J'avais déjà fait des vidéos avec Madonna et Anna Nicole Smith donc le fait de tourner avec une icône sexuelle ne me posait pas de problème, bien que l'on me l'ait déconseillé. Les autres acteurs du film faisaient mine de l'apprécier mais en même temps il se moquait d'elle une fois le dos tourné, ce qui n'était pas mon cas. Elle n'était pas dupe de la situation, du coup elle a exigé du metteur en scène plus de scènes avec moi, au grand dam de certains qui ont développé une jalousie à mon encontre. Ah Pamela, si je pouvais la sentir tous les jours (rires). Elle aurait dû faire un remake de Barbarella, elle aurait été parfaite dans ce comic strip.

Un des derniers films où vous apparaissez et que nous avons apprécié à Écran Large est Love Object de Robert Parrigi.
Très bonne coopération, et un réalisateur plein d'avenir, nous avons d'ailleurs un film en préparation pour 2006. Le scénario était très bon, vous savez maintenant ce qui me motive, c'est une bonne histoire et un bon salaire (rires). C'est normal, avant quand j'étais jeune, je pouvais jouer pour la beauté de l'art, maintenant l'âge aidant j'ai besoin d'assurer ma retraite. D'ailleurs tourner pour de l'argent ne me pose pas de problème. Le dernier film que j'ai fait pour l'argent c'est un remake de M avec Armand Assante, produit par Menahem Golan et tourné en Bulgarie (NDLR: aux dernières nouvelles le film se titre Children of Wax et le personnage d'Udo Kier s'appelle P !). La seule chose que j'ai exigée c'est que M ne soit plus un sadique sexuel attiré par les enfants. Je fais une série TV familiale depuis des années en Allemagne et je pense que mon public ne comprendrait pas que je puisse jouer un pédophile.

Y a t il un film que vous regrettez dans votre longue filmographie ?
Je ne me souviens pas de tous mais le dernier qui m'a marqué c'est Modigliani, avec Andy Garcia, un ratage. Pendant que nous tournions, je sentais que cela ne collait pas et la vision des rushes m'a conforté dans l'idée que le réalisateur n'avait pas du tout saisi son sujet. Vous l'avez vu ?

Malheureusement... Quelques jeunes réalisateurs allemands ont réussi à percer ces derniers temps, je pense à Olivier Hirschbiegel (La Chute) ou Stefan Ruzowitzky (la série Anatomie), ont-ils fait appel à vous ?
Non, Olivier a fait Invasion pour une grande major avec Nicole Kidman alors pourquoi aurait-il besoin de moi ? Ils sont tous sensibles aux sirènes d'Hollywood, même s'ils s'en défendent, et ils se leurrent en pensant garder leur intégrité artistique, mais face au dollar, bien peu de choses ne résistent. Et après certains rentreront en Allemagne en disant que le cinéma aux USA c'est de la merde (rires). Vous savez, même Gus Van Sant avec qui j'ai fait deux films et qui a un statut d'auteur, est obligé de faire des films alimentaires pour continuer à travailler.

Mais quelque part, vous ne regrettez pas l'absence d'un personnage comme Fassbinder, capable de faire des films qui puissent remuer l'opinion ?
Absolument, mais en faisant End of Violence de Win Wenders ou Invincible de Werner Herzog, j'essaie de renouer avec ce type si particulier du cinéma allemand qui arrive à déranger. Mais Fassbinder était un cas à part, un artiste déchiré et sensible, pur produit de l'après-guerre. Il brûlait la chandelle par les deux bouts et je savais qu'il ne vivrait pas vieux. C'était quelqu'un en révolte perpétuelle et un vrai génie, de la trempe de Eisenstein ou Von Sternberg. Lars von Trier me le rappelle un peu. Et tous les deux ont en commun cette grande qualité : ils ne laisseraient personne retoucher ou couper leurs films.

À quand le passage à la mise en scène ?
En fait, je devais réaliser Dogme 7 pour Lars Von Trier, mais bien que j'ai commencé le film, le projet a pris une toute autre voie. Je préfère tourner des séquences au gré de mes voyages et de ma fantaisie, avec ma caméra DV. C'est un film contant l'errance d'un handicapé à travers le monde, et il mettra longtemps avant de sortir sur un écran.Je pense que ce sera mon unique réalisation : c'est beaucoup trop dur de faire un film !

Propos recueillis par Patrick Antona.

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Gab
07/11/2017 à 22:20

Acteur pas assez mis en avant -dommage