Udo Kier (Manderlay)
Profitant de la dernière édition de L'Étrange Festival à Paris, où une rétrospective était programmée en son honneur, nous avons partagé un très bon moment avec Udo Kier , qui se révèle être à l'opposé des personnages inquiétants qu'il a l'habitude de camper dans nombre de ses films (plus de 150 au compteur) et à nouveau dans le dernier de Lars Von Trier, Manderlay. Rencontre avec un gentleman du cinéma que l'on a eu grand plaisir à écouter...
(Udo Kier l'air inquiet) Ok donc vous allez encore me poser des questions sur mes origines et mon âge véritable et tout le tralala
Et bien non, nous voudrions plutôt évoquer vos premiers rôles marquants et plus précisément La Marque du Diable (Michael Armstrong,1970) qui a tant marqué les spectateurs au moment de sa sortie.
(Soulagé) Très bien, La Marque du Diable
était mon troisième film et surtout mon premier en couleurs, avec
Herbert Lom. Ce fût un très grand succès. La publicité faite autour du
film y avait été pour beaucoup, on distribuait des sacs à vomi à
l'entrée des salles, et la scène de torture avec la langue arrachée est
devenue un classique.
Est-ce par ce film qu'Andy Warhol vous a découvert et vous a proposé les rôles-titres de Chair pour Frankenstein et Du sang pour Dracula ?
Non c'est le hasard complet et en plus c'est Paul Morissey qui m'a
choisi. J'étais à Munich pour un tournage, sur un film allemand, et
j'ai sympathisé avec Paul qui était venu présenté sa trilogie
wharolienne (Flesh, Trash, Heat)
en Allemagne. Un jour, il m'appelle au téléphone, en me disant qu'il
doit faire un petit film, un Frankenstein pour Carlo Ponti, sous la
supervision d'Andy Warhol, je demande quel rôle il peut avoir pour moi,
il me répond « Et bien celui du Professeur Frankenstein! ». On a fait
le film en trois semaines pour 300 000 $, en 3-D en plus. De nos jours,
tourner une publicité coûte plus cher ! Mais n'imaginez pas qu'un
tournage de film avec Andy Warhol, c'était la fiesta tout le temps et
rock'n'roll. Pas du tout, c'était très strict, dans une ambiance plutôt
studieuse. Le dernier jour de tournage, j'organise un cocktail à la
cantine de Cinecittà, où même l'équipe du film de Fellini en tournage à
l'époque s'est joint à la nôtre, et à l'issue de la fête, voilà qu'on
me propose le rôle de Dracula, le challenge étant de perdre 15 kg en 15
jours pour pouvoir l'interpréter.
Et comment avez-vous fait ?
J'ai arrêté de me nourrir et je n ai bu que de l'eau. Voilà pourquoi
je passe la majeure partie du film en chaise roulante, j'étais devenu
tellement faible que je n'avais plus la force de marcher !
Pour ces deux films, on a l'impression que le réalisateur vous laissait plus ou moins improviser ?
En fait il n'y avait pas de véritable scénario, juste une idée sur
laquelle on partait et ensuite on brodait. Il ne faut pas oublier que
ces films sont des comédies à l'origine. Tous les soirs on se
retrouvait avec Paul Morissey et les acteurs et on discutait de la
trame à suivre pour le lendemain.
Et que pouvez dire à propos des allégations d'Antonio Margheriti
déclarant que c'était lui qui assurait en fait la mise en scène sur Chair pour Frankenstein et du Sang pour Dracula?
C'est totalement faux, Antonio Margheriti était uniquement cité au
générique pour des histoires de production à Rome qui obligeait à ce
qu'un réalisateur italien soit sur le plateau. Je l'ai vu un jour en
tout et pour tout. Il ne devait être là que comme « couverture » et
n'est absolument pas intervenu dans le processus créatif des deux
films. Mais après cette bonne expérience, je ne voulais pas faire
d'autres films d'horreur, j'ai décliné la proposition de la Hammer qui
voulait faire de moi leur nouveau Christopher Lee. Et c'est là que
Fassbinder entre en jeu.
Comment l'avez-vous rencontré ?
En fait, nous nous connaissions depuis l'adolescence, on s'est perdu de
vue et un jour j'ai découvert qu'il était devenu un metteur en scène
célèbre ! Et voilà qu'il m'embauche pour La Femme du chef de gare. Cela a été le début d'une collaboration vraiment enrichissante, qui s'est arrêtée en 1981 avec Lola, une Femme allemande. Je n'étais pas de la partie pour Querelle et il est mort après l'avoir terminé.
Mais dans les années 70, vous n'hésitez pas à faire le grand
écart, en passant de Fassbinder au film érotique. Comment avez-vous
atterri aux génériques d' Histoire d'O et de Spermula ?
Mais encore par hasard ! J'étais dans un night-club parisien, en train
de boire un coup avec Roman Polanski, en 1974. À l'époque, je faisais
la promotion de Chair pour Frankenstein, et un producteur est venu me proposer le sujet du film Histoire d'O.
J'ai commencé par refuser car l'idée de faire un porno, trop peu pour
moi ! Mais Polanski m'a convaincu, en me parlant du roman original et
de son retentissement à l'époque de sa sortie. D'ailleurs Ken Russell
était pressenti pour la mise en scène à ce moment.
C'était votre premier film français ?
Non, j'avais fait une série TV en 1973, Joseph Balsamo
avec Jean Marais, coproduction franco-allemande. Mais au milieu des
années 70, il y avait un autre grand projet qui me tenait à cur mais
qui n'a jamais pu être mené à bien, c'est le Dune d'Alejandro
Jodorowsky, avec un casting fabuleux, Dali, Orson Welles, et pour moi
le rôle de Feyd-Rautha (interprété par Sting dans le film de David
Lynch). Alors j'ai fait aussi Spermula avec Charles Matton,
mélange de film érotique et de SF. J'avais d'abord refusé de le faire à
cause de son titre (NDLR : le sujet est bien sûr une femme-vampire
interprétée par Dayle Haddon qui boit du sperme !) mais Charles m'a
rassuré que c'était un « coup » du producteur Bernard Lentéric, le
titre original étant L'Amour est un fleuve en Russie ( !?). Mais j'ai fait d'autres films érotiques, en particulier avec Walerian Borowczyk, Lulu et Dr Jekyll et les Femmes.
J'étais bien sûr le Dr Jekyll mais Walerian, qui est un véritable
esthète s'occupait plus des femmes sur le tournage, en particulier de
Marina Pierro qui l'intéressait au plus haut point !
Que pouvez-vous nous dire à propos du film Rhapsodie Hongroises que vous avez fait avec Miklos Jancso, un grand réalisateur encore méconnu chez nous.
C'était une grande saga historique, à gros budget. Miklos adorait faire
de longs plans-séquences, usant de grues et d'hélicoptère, avec tout le
faste et les costumes. J'avais complètement oublié ces films-là !
On
a l'impression que, dès que le courant passe avec un auteur, vous
enchaînez à la suite les films avec lui, Fassbinder d'abord (5 films)
et maintenant Lars von Trier (7 films). Vous regardez le scénario
d'abord ou vous acceptez quoiqu'il vous propose ?
Pour Fassbinder, étant amis d'enfance, il n'y avait pas à discuter. Ma
rencontre avec Lars date d'un festival où je présentais un court que
j'avais réalisé, Element of Crime
était aussi en compétition. Lorsque j'ai découvert son film, cela m'a
complètement époustouflé et j'ai demandé à rencontrer le réalisateur.
Quelle n'a pas été ma surprise quand j'ai vu arrivé ce grand gamin ! Ma
première expérience avec lui a été le film Epidemic mais c'est avec un film TV adapté d'une pièce de théâtre, Médée, où il m'a offert le rôle de Jason, que notre collaboration a vraiment commencé. Et Europa a
suivi. Mais il y a d'autres réalisateurs avec qui je suis fidèle, le
dernier étant Viktor Schliegensief (NDLR : L'Étrange Festival a
présenté ces films dans son édition 2005) qui uvre dans le
politiquement incorrect et le trash. En fait, j'aime bien travailler
avec le même metteur en scène car c'est parfois plus commode puisqu'on
connaît ses marques. Mais cela ne m'empêche pas de tourner pour des
réalisateurs plus classiques. Ainsi j'ai terminé Cigarette Burns de John Carpenter à Los Angeles (NDLR : un des épisodes de l'anthologie Masters of Horror) avec qui je n'avais jamais tourné auparavant !
Vous avez quand même un sacré parcours, en alternant films d'auteur et films d'action ou de SF (La fin des temps, Blade). Comment arrivez-vous à faire la part des choses ?
Mais parce que je ne me prends plus la tête ! Etre acteur c'est déjà un
métier très dur, si on doit y rajouter de la souffrance ou faire des
caprices de star, non merci ! Vous savez, maintenant je vis à Los
Angeles, je collectionne les meubles, je peints, j'ai trois chiens, je
possède une librairie, et j'aime le contact avec les gens. Et ainsi je
décroche des rôles. Par exemple, Michael Bay m'avait rencontré sur des
publicités qu'on avait fait ensemble, il m'a ensuite embauché le plus
simplement du monde pour Armaggedon pour
faire le psychologue, j'ai ainsi une scène avec chacune des vedettes du
film, de Bruce Willis à Ben Affleck ! Ce genre de cinéma, c'est de
l'industrie et pas autre chose. D'ailleurs, mon agent me répète souvent
qu'il y a un mot interdit dans le monde du cinéma hollywoodien, c'est
le mot « Art ».
Vous semblez aussi vous complaire dans les rôles de « bad guy » ?
Mais tout le monde rêve de jouer un rôle de « bad guy ». Dans la vie,
on doit être gentil et respecter la loi alors jouer quelqu'un de
diabolique, c'est comme avoir un orgasme, c'est libérateur. Quand on me
croise dans la rue à LA, les passants me disent « Oh you are so evil »
et cela me fait plaisir. Et puis tous ces films d'horreur ont fait
beaucoup pour ma célébrité. Les afro-américains se souviennent de moi
pour mon rôle de vampire dans Blade et me saluent dans la rue bien qu'ils ne connaissent pas mon nom.
Et tourner avec Pamela Anderson (dans Barb Wire) c'était comment ?
Mais elle est adorable. J'avais déjà fait des vidéos avec Madonna et
Anna Nicole Smith donc le fait de tourner avec une icône sexuelle ne me
posait pas de problème, bien que l'on me l'ait déconseillé. Les autres
acteurs du film faisaient mine de l'apprécier mais en même temps il se
moquait d'elle une fois le dos tourné, ce qui n'était pas mon cas. Elle
n'était pas dupe de la situation, du coup elle a exigé du metteur en
scène plus de scènes avec moi, au grand dam de certains qui ont
développé une jalousie à mon encontre. Ah Pamela, si je pouvais la
sentir tous les jours (rires). Elle aurait dû faire un remake de Barbarella, elle aurait été parfaite dans ce comic strip.
Un des derniers films où vous apparaissez et que nous avons apprécié à Écran Large est Love Object de Robert Parrigi.
Très bonne coopération, et un réalisateur plein d'avenir, nous avons
d'ailleurs un film en préparation pour 2006. Le scénario était très
bon, vous savez maintenant ce qui me motive, c'est une bonne histoire
et un bon salaire (rires). C'est normal, avant quand j'étais jeune, je
pouvais jouer pour la beauté de l'art, maintenant l'âge aidant j'ai
besoin d'assurer ma retraite. D'ailleurs tourner pour de l'argent ne me
pose pas de problème. Le dernier film que j'ai fait pour l'argent c'est
un remake de M avec Armand Assante, produit par Menahem Golan et tourné en Bulgarie (NDLR: aux dernières nouvelles le film se titre Children of Wax
et le personnage d'Udo Kier s'appelle P !). La seule chose que j'ai
exigée c'est que M ne soit plus un sadique sexuel attiré par les
enfants. Je fais une série TV familiale depuis des années en Allemagne
et je pense que mon public ne comprendrait pas que je puisse jouer un
pédophile.
Y a t il un film que vous regrettez dans votre longue filmographie ?
Je ne me souviens pas de tous mais le dernier qui m'a marqué c'est Modigliani,
avec Andy Garcia, un ratage. Pendant que nous tournions, je sentais que
cela ne collait pas et la vision des rushes m'a conforté dans l'idée
que le réalisateur n'avait pas du tout saisi son sujet. Vous l'avez vu ?
Malheureusement... Quelques jeunes réalisateurs allemands ont
réussi à percer ces derniers temps, je pense à Olivier Hirschbiegel (La Chute) ou Stefan Ruzowitzky (la série Anatomie), ont-ils fait appel à vous ?
Non, Olivier a fait Invasion pour
une grande major avec Nicole Kidman alors pourquoi aurait-il besoin de
moi ? Ils sont tous sensibles aux sirènes d'Hollywood, même s'ils s'en
défendent, et ils se leurrent en pensant garder leur intégrité
artistique, mais face au dollar, bien peu de choses ne résistent. Et
après certains rentreront en Allemagne en disant que le cinéma aux USA
c'est de la merde (rires). Vous savez, même Gus Van Sant avec qui j'ai
fait deux films et qui a un statut d'auteur, est obligé de faire des
films alimentaires pour continuer à travailler.
Mais
quelque part, vous ne regrettez pas l'absence d'un personnage comme
Fassbinder, capable de faire des films qui puissent remuer l'opinion ?
Absolument, mais en faisant End of Violence de Win Wenders ou Invincible
de Werner Herzog, j'essaie de renouer avec ce type si particulier du
cinéma allemand qui arrive à déranger. Mais Fassbinder était un cas à
part, un artiste déchiré et sensible, pur produit de l'après-guerre. Il
brûlait la chandelle par les deux bouts et je savais qu'il ne vivrait
pas vieux. C'était quelqu'un en révolte perpétuelle et un vrai génie,
de la trempe de Eisenstein ou Von Sternberg. Lars von Trier me le
rappelle un peu. Et tous les deux ont en commun cette grande qualité :
ils ne laisseraient personne retoucher ou couper leurs films.
À quand le passage à la mise en scène ?
En fait, je devais réaliser Dogme 7
pour Lars Von Trier, mais bien que j'ai commencé le film, le projet a
pris une toute autre voie. Je préfère tourner des séquences au gré de
mes voyages et de ma fantaisie, avec ma caméra DV. C'est un film
contant l'errance d'un handicapé à travers le monde, et il mettra
longtemps avant de sortir sur un écran.Je pense que ce sera mon unique
réalisation : c'est beaucoup trop dur de faire un film !
Propos recueillis par Patrick Antona.
07/11/2017 à 22:20
Acteur pas assez mis en avant -dommage