Philippe Martinez (L'Empreinte de la mort)

Didier Verdurand | 10 janvier 2005
Didier Verdurand | 10 janvier 2005

Il n'y a pas que Jean-François Richet, Florent-Emilio Siri et Louis Leterrier qui sortiront un film américain en 2005, il y a aussi le Marseillais Philippe Martinez. Son oncle, de Marseille aussi, interprète Raymond aux côtés de Jean-Claude Van Damme dans L'Empreinte de la mort. La scène mémorable de torture fonctionne grâce à lui. « Il a fait quinze ans de taule, c'est un ancien gangster, et comme il se trouvait sur le tournage je lui ai demandé de s'improviser acteur. Il était parfaitement à l'aise avec une perceuse pour faire parler quelqu'un. » Alors quand Philippe Martinez vous dit qu'il lit L'Équipe tous les matins à Los Angeles, vous n'avez pas vraiment envie de blaguer sur la dernière victoire du PSG sur l'OM.

De quel milieu venez-vous ? Parlez-nous de votre curriculum vitae.
Tout a commencé à Marseille, où j'ai fait le Conservatoire car je voulais devenir comédien, et je traînais souvent au festival d'Avignon. À 20 ans, j'ai compris que je ne serai jamais De Niro et j'ai arrêté de suivre des cours, sans pour autant abandonner les planches puisque j'ai produit et mis en scène des pièces, et que j'ai assuré la direction du théâtre de l'Odéon, toujours à Marseille. Fin 1990, attiré par les États-Unis, j'ai décidé de m'y installer et de travailler dans la production cinématographique, et me voilà réalisateur !

Cela paraît si facile !
Mon premier boulot à Hollywood était dans un restaurant ! Et puis j'ai lu une annonce où l'on recherchait des vendeurs de films. J'ai été embauché, donc, j'ai appris à vendre des films en cours ou déjà terminés pour après créer ma propre boîte, et j'ai retrouvé la production. Tout ça pour arriver un peu par accident à la réalisation de Citizen verdict.

Par accident ?
Il y a cinq réalisateurs qui ont travaillé dessus, mais je ne m'entendais pas avec eux les assureurs, de plus en plus inquiets, m'ont dit que si je n'arrivais pas à trouver la bonne personne je devais faire ce film, ce dont je ne me sentais pas capable, mais finalement j'ai utilisé mon expérience de metteur en scène de théâtre et j'ai pu tourné Citizen verdict en apprenant des bases techniques. Il y a des imperfections à ce niveau-là, car je n'avais pas d'idée du style visuel définitif du film. C'est la principale différence entre un premier film et L'Empreinte de la mort, où là je savais où j'allais, même sans scénario !

Sans scénario ???
Il y avait au départ un scénario de pur film d'action qui flirtait avec le surnaturel. La petite fille, notamment, avait des dons de voyance, il y avait de la magie noire... J'ai fini par me demander pourquoi j'étais impliqué dans cette histoire, car ce n'était pas du tout proche de ma sensibilité. Arrive le tournage en Afrique du Sud, et là je décide de prendre une autre direction. Tous les jours j'arrivais avec de nouvelles scènes, et même si c'était un peu le chaos je me sentais à l'aise. Je suis bien quand j'ai peur de rater.

Comment avez-vous réagi ?
J'étais comme perdu dans un océan et me suis attaché à l'histoire, qui est simple puisqu'il s'agit de celle d'un homme qui veut se venger du meurtre de sa femme et retrouver son fils kidnappé. C'est du Clint Eastwood, du Charles Bronson, mais il fallait bien sûr se démarquer.

Vous avez tourné dans l'ordre chronologique ?
Quasiment, sauf la dernière séquence que je connaissais déjà : je voulais faire un showdown, c'est-à-dire une longue scène d'action. Mais je voulais faire vibrer le spectateur avant d'arriver à cette fameuse scène, en m'intéressant à l'évolution de mon personnage qui devait être touchant, et ça, je n'étais pas sûr que Van Damme en était capable. Donc la première scène tournée fut la découverte de sa femme morte, pour qu'il me montre ses tripes. Avant qu'il l'interprète, nous nous sommes assis par terre, et on a parlé de son épouse, de sa vie pour essayer de lui faire croire en quelque sorte que sa vraie femme était morte. Il se met à pleurer, je pleure aussi en pensant à autre chose, l'équipe attend...

... et pleure aussi !
(Rires) Tout le monde pleure ! Sérieusement, il y a eu un véritable travail psychologique, les directions n'étaient pas aussi simples que « Tu rentres dans la pièce, tu vois ta femme par terre et tu craques », et c'est épuisant pour l'acteur, mais le résultat valait l'effort. C'est parfois violent. À un moment, quand Jean-Claude tape un type à terre (en réalité c'est un matelas), je lui avais demandé de penser à toute la source de toutes les erreurs qu'il avait pu commettre dans son existence. Il y a une demi-heure de préparation pour que l'adrénaline et l'émotion montent en lui. C'est du minimalisme énorme au niveau du cœur.

Quand l'avez-vous rencontré ?
Il y a trois ans. Le contexte était très différent, car je l'avais approché en tant que producteur qui voulait faire un Van Damme de plus. Mais plusieurs évènements dans ma vie m'ont changé. J'ai attrapé le virus de la mise en scène avec Citizen verdict, j'ai produit Modigliani avec Andy Garcia, et il a accepté de changer de direction avec moi.

Quelle image aviez-vous de lui ?
Comme tout le monde, une image plutôt négative. Je sais aussi que les médias sont très cyniques ou méchants et qu'il est facile de se moquer de quelqu'un. Vous me mettez en face de Fogiel, je sais que je peux le démonter aussi en deux minutes. Van Damme a une énorme sincérité et dit parfois des pensées illogiques, mais on ne devient pas une star pour rien. Je me suis demandé pourquoi, d'ailleurs, et on me répondait que les gens aiment le karaté et qu'il se bat bien. Il y a bien autre chose, et c'est son cœur énorme et incontrôlable.

Souffre-t-il de cette image ?
Je ne sais pas. Comme tous les acteurs, il a besoin d'être aimé. Je n'en connais pas un insensible à la critique, ce sont des déséquilibrés sentimentaux.

S'il n'est pas en France aujourd'hui pour faire la promo de L'Empreinte de la mort, c'est parce que lui et son entourage sont désormais soucieux de cette réputation ?
Un peu, oui.

Comment avez-vous vécu la sortie de Modigliani en France ?
Très mal, il s'est fait descendre par les critiques et le choc fut violent pour le réalisateur, Mick Davis, qui ne s'en est toujours pas remis. On ne comprend pas, nous avons mis beaucoup d'amour dedans, le film est beau, Elsa Zylberstein est fabuleuse... Son échec rend les ventes plus difficiles, il n'a toujours pas de distributeur américain. L'Empreinte de la mort est bien accueilli, ça fait plaisir !

Pourquoi L'Empreinte de la mort sort-il directement en vidéo aux États-Unis ?
La raison est purement financière. Quand le tournage a commencé, Artisan devait le distribuer là-bas. Ils reçoivent les rushes des quatre premiers jours et m'appellent, très contents, me disant qu'ils trouvaient le film trop artistique ! Le contrat a été rompu et nous étions dans l'obligation de ne pas traîner pour enchaîner, et nous avons conclu un marché avec Blockbuster. Eux savent déjà combien ils gagneront en le sortant directement en vidéo, alors qu'une sortie salles coûterait dans les 20 millions de dollars, ce qui représente un risque trop important pour eux. En Europe et en Asie, la réaction des distributeurs est différente, ils sont prêts à miser dessus.

Et Citizen verdict ?
Il sortira aux États-Unis en février dans les salles, et il enchaînera normalement dans la foulée en France, en avril.

Vos projets ?
Je vais de moins en moins produire pour me concentrer sur la qualité. Je viens de produire Irish jam, une comédie avec Eddie Griffin (le héros d'Opération funky), et en janvier commencera le tournage à Londres de Land of the blind, sur la dictature, avec Ralph Fiennes et Donald Sutherland. Je ne lancerai que deux projets en 2005, deux films d'action qui étonneront par leur ambition artistique. Dennis Hopper, un de mes meilleurs amis, et moi-même seront les réalisateurs. Clive Owen jouera dans le film de Dennis, vous êtes le premier média à qui j'en parle.

Vous me faîtes penser à Menahem Golan (producteur-réalisateur à succès dans les années quatre-vingt).
Si je suis dans le cinéma, et je lui ai dit quand il est venu dans mon bureau il y a un an, c'est grâce à lui, car il me fascinait. Quand j'étais petit, un jour, chez ma grand-mère juive, nous avons vu un reportage sur ce producteur « larger than life » hollywoodien qui arrivait d'Israël, et je me suis dit que je voulais faire comme lui ! Nos formations sont très différentes puisque c'est un commerçant, et moi un metteur en scène de théâtre, donc notre cinéma n'est pas le même, mais nous avons sympathisé. Il n'est plus riche, il a tout perdu, mais il continue à 75 ans de se lancer dans des petites productions de 300 000 dollars, toujours avec le même enthousiasme.

Et c'est Menahem Golan qui a découvert Van Damme !
Oui, ce n'est pas une légende, Jean-Claude m'a raconté comment il avait fait la démonstration du coup de pied en l'air dans ce restaurant où se trouvait Menahem Golan, qui lui demande de passer le lendemain dans son bureau ! Et après deux minutes de conversation, Golan lui dit qu'il a un rôle et sort le scénario de Bloodsport. Un coup de génie, une intuition extraordinaire !

Propos recueillis par Didier Verdurand.
Autoportrait de Philippe Martinez.

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