Jonathan Demme (The Agronomist)

Didier Verdurand | 4 octobre 2004
Didier Verdurand | 4 octobre 2004

La particularité de The Agronomist est qu'il est riche d'entretiens filmés sur plus de quinze ans. Formidable orateur, Jean Dominique était la voix de la démocratie, diffusée par la plus vieille station de l'île, Radio Haïti Inter, qu'il avait accaparé en 1968. En plus du destin extraordinaire d'un homme, c'est celui d'un peuple meurtri qui nous est présenté. Ce court tête-à-tête avec Jonathan Demme date de 2003, pendant le festival de Deauville.

Comment avez-vous rencontré Jean Dominique ?
En 1987, j'ai réalisé un premier documentaire sur Haïti. J'en avais ressenti le besoin suite à une première visite là-bas, pour y acheter des tableaux. J'avais découvert un merveilleux peuple, qui essayait de se diriger vers la démocratie avec passion. Ce qui me fascinait, c'est que ce peuple qui essayait de se relever était pour la majorité illettré, à cause du régime dictatorial des Duvalier. Comment se battre sans ces armes naturelles que sont l'écriture et la lecture ? Tout le monde me disait d'aller à Radio Haïti Inter, et c'est là que j'ai vu pour la première fois Jean Dominique. J'ai pensé qu'il était l'homme le plus charismatique que j'avais jamais rencontré. Je le trouvais si beau et sa présence m'impressionnait tant que je voulais le faire jouer dans un film ! Pas dans un documentaire, dans un vrai film de fiction ! Quelques années plus tard, j'ai appris qu'il avait dû aller en exil à New York. Quel bonheur de savoir que cette super star était si proche ! Très excité, j'ai tenu à le revoir et à cultiver une relation avec lui, donc je lui ai proposé de faire un documentaire sur un journaliste en exil, qui se terminerait par un happy end lorsqu'il retournerait à la radio, pour se retrouver derrière son micro. Lui pensait que ce serait ennuyeux, mais il était intrigué par mon intérêt pour cette idée, en tant que cinéaste. Et comme il était en exil, qu'il ne travaillait pas et qu'il était finalement très libre car il s'ennuyait, nous avons commencé à nous voir régulièrement et à devenir d'excellents amis.

Vous dîtes qu'il aurait pu être une star de cinéma, et cela paraît en effet une évidence. J'ai même pensé qu'il avait le même pouvoir d'attraction qu'Hannibal Lecter ! Qu'avez-vous pensé d'ailleurs d'Hannibal et de Dragon rouge ?
En fait, je ne les ai pas vus. C'est très spécial ce qui me lie à Thomas Harris et à Hannibal Lecter. Cela compliquerait beaucoup de choses si je voyais une autre vision d'un autre cinéaste.

Est-ce que votre oscar de Meilleur Réalisateur vous aide à réaliser les documentaires que vous désirez, en toute liberté ?
Non. Pour réaliser un film de fiction, oui, bien sûr, et vous êtes très bien payé. C'est cependant grâce à l'argent que je gagne en réalisant La Vérité sur Charlie que je peux investir dans le financement de The Agronomist. Mon oscar n'intervient donc pas directement dans la conception du documentaire.

Puisque vous en parlez, revenons sur La Vérité sur Charlie. Il ne nous semble pas à sa place dans votre prestigieuse filmographie !
Je regrette que vous n'ayez pas aimé ! C'est un film qui me tient à cœur, car je le considère comme un aboutissement de mon amour pour la Nouvelle Vague et Paris, mais je ne m'attends pas à ce qu'il plaise forcément aux Parisiens ! À l'origine, c'est Will Smith qui devait interpréter le personnage masculin principal, mais il a préféré faire Ali. Mark Whalberg n'est pas un comédien aussi drôle, et il manquait la fantaisie de Smith pour me rapprocher le plus possible de la vision que j'avais au départ de l'ambiance générale du film. Je trouve dommage que ce soit un échec au box-office, mais il a tout de même satisfait quelques spectateurs, c'est déjà pas mal !

(septembre 2003)

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