FIF de Saint-Jean-De-Luz : rencontre avec Niels Schneider, interprète de Sympathie pour le diable

Christophe Foltzer | 11 octobre 2019 - MAJ : 13/10/2019 09:58
Christophe Foltzer | 11 octobre 2019 - MAJ : 13/10/2019 09:58

Si un festival, c'est avant tout voir des films, c'est aussi l'occasion de rencontrer les personnes qui en sont à l'origine. Réalisateurs, producteurs ou comédiens, ils se plient volonté à l'exercice de l'interview pour mieux nous faire partager leur vision du monde.

Si vous avez lu notre critique de  Sympathie pour le diable (disponible ici), vous savez déjà combien le film de Guillaume de Fontenay nous a marqués et combien il a été difficile pour nous de nous en remettre. On ne pouvait en rester là et nous avons profité de la présence du réalisateur et de son comédien Niels Schneider au Festival de Saint-Jean-De-Luz pour leur poser quelques questions. On commence tout de suite avec le très grand Niels Schneider...

 

photo Sympathie pour le diableNiels Schneider, en plein chaos

 

EcranLarge : Tout d'abord, peux-tu nous expliquer comment tu es arrivé sur ce film, puisqu'il a mis 14 ans à se monter ?

Niels Schneider : En fait, ça s'est fait de manière assez classique. J'ai reçu le scénario et j'ai passé des essais puisque ça n'a pas été une proposition. Quand j'ai lu le script, je me suis dit qu'il ne fallait pas que je le laisse passer parce que c'est tout ce dont j'avais envie. Même si je ne connaissais pas Paul Marchand et que je n'étais pas forcément attiré par le genre du film de guerre. Je suis né en 1987, du coup j'avais 5 ans au début du conflit à Sarajevo, donc je n'en connaissais pas du tout les tenants et les aboutissants. 

Mais ce personnage, c'est vraiment tout ce que j'aime d'ambiguïté, le fait qu'il soit de prime abord antipathique et en même temps beaucoup plus intéressant, fragile, radical et qui a finalement une vraie éthique, plus que certains en tout cas... Aujourd'hui, je trouve que l'on fait beaucoup un cinéma où c'est l'idéologie qui prend tout, où on fait des héros qui servent au spectateur ce qu'il doit penser à la petite cuillère et qui ne laissent aucun espace pour réfléchir, penser, se projeter. Cela donne des films politiquement irréprochables, du moins théoriquement, mais, pour moi, beaucoup plus pauvres.

 

EL : C'est vrai que nous ne sommes pas dans un film de guerre au sens classique du terme...

N.S. : Cela tient au fait d'avoir un film de guerre en creux, quelque part, où ça ne pète pas de partout. On n'est pas dans Il faut sauver le soldat Ryan. On est vraiment dans leur quotidien. Dans toutes les archives de Sarajevo que j'ai vues durant ce conflit, ce qui m'a marqué c'était le bruit constant. On entendait les obus qui tombaient, on entendait les snipers, mais il n'y avait personne dans la rue. C'était vide, c'était une ville fantôme, une ville morte. D'ailleurs, la vraie Boba me racontait qu'après la guerre, le plus difficile était le silence. Elle était tellement habituée à ce bruit que le silence l'empêchait de dormir et du coup, elle allait dans les avions de l'ONU pour retrouver ce boucan et c'est ce qui la rassurait.

 

photo Sympathie pour le diableNiels Schneider est Paul Marchand

 

EL : Tu ne penses pas qu'il y aurait un parallèle à faire entre la position de Paul Marchand et celle des comédiens actuellement, par rapport à l'idéologie qui prend le pas sur l'artistique ? Tout comme lui, n'êtes-vous pas les garants d'une certaine liberté d'expression, peut-être contre-idéologique ?

N.S. : Ce qui est compliqué c'est que dans le politiquement correct, le problème n'est pas l'idéologie. Personnellement, je suis totalement progressiste par exemple. Le problème, c'est l'hypocrisie, c'est le déni. Le fait de refuser de voir certaines choses qui ne sont pas belles. Et le combat de Paul Marchand, ce n'est pas exactement le retour du refoulé, mais c'était de faire réémerger ce que les gens refusaient de voir. Il assumait son "dégueu". Il disait qu'on ne peut pas être vivant aujourd'hui et être pur. Tout ce qu'on peut être, c'est honnête et conscient, et voir le dégueu, le laid. Ceux qu'ils détestaient, c'étaient "les morts-vivants" comme il les appelait. Ceux qui vivent en refusant de voir une partie des choses. 

Il chatouillait la mort, il la provoquait pour voir ce qu'elle avait dans le bide, mais il s'inquiétait de la vie, peut-être même plus que les autres. Il acceptait son côté impur. Mais il assumait, avec sa provocation. Par exemple, avoir des chaussures cirées à Sarajevo, fumer le cigare, alors que certains journalistes gagnaient une fortune, il leur demandait à quoi ils jouaient avec leurs pantalons de pêcheur à faire les baroudeurs. Non, quelques rares journalistes gagnent 300 000 euros par an alors qu'est-ce qu'ils vont se la raconter. Il avait une éthique un peu radicale puisqu'il voulait aussi être vulnérable. Pour lui, l'honnêteté, ça passait aussi par là. Il voulait être aussi vulnérable que ceux dont il prétendait raconter l'histoire. Donc il se moquait des journalistes qui arrivaient avec leur gilet pare-balles et qui sortaient à peine le micro de leur camion blindé. Il leur disait "Alors, Johnny, comment ça se passe la guerre ?" et puis il rentrait.

C'est un personnage qui dérangeait beaucoup, mais qui m'a totalement bouleversé. Il m'est rentré dans le corps...

 

EL : Justement, dans ta préparation du rôle, quelle a été ta connexion intime avec lui ? À quel moment tu t'es dit que tu avais compris qui c'était ?

N.S. : Il y a des choses qui me reliaient à lui, une certaine colère, une certaine révolte, peut-être une faille aussi qu'on a en commun. On diffère à plein d'endroits, je pense être moins grande-gueule que lui, j'ai moins ce besoin d'être dans la provocation et la transgression constante. Je la place autrement, cette colère.

Il y avait beaucoup d'archives sur lui. Il s'est suicidé en 2009, donc je ne l'ai pas rencontré, le connaitre, mais j'ai eu énormément de récits de la part de Guillaume de Fontenay, qui l'a très bien connu, et de Boba, qui m'a beaucoup accompagné sur le tournage. Je l'ai tout de suite trouvé touchant parce qu'il avait un côté très enfantin, avec un goût de romanesque. Pour moi c'était un enfant qui avait passé 8 ans à Beyrouth et qui avait 32 ans à Sarajevo et qui était plus expérimenté que tous les journalistes, mais j'aimais son manque de prise au sérieux, l'enfant qui veut jouer au caïd avec son cigare, avec son accent anglais tout pourri.

 

photo Sympathie pour le diable

 

EL : Mais est-ce que ce n'était pas aussi une protection ?

N.S. : Exactement ! C'est exactement ça. C'est un écran. Son cynisme et son humour, c'est une manière de mettre à distance cette guerre qui lui rentre finalement dans le corps. Cette manière de cirer ses chaussures, de repasser ses chemises, c'est une façon de garder la tête haute. C'est comme la chanson de U2, Miss Sarajevo. Pendant la guerre, ils ont monté le concours de miss, qu'on pouvait trouver totalement superficiel mais ce que je trouve magnifique c'est justement de garder sa part de superficialité, de trivialité. C'est aussi garder une dignité. Et Paul Marchand, c'est ça. Son dandysme est une coquetterie qui est pour lui vitale à ce moment.

 

EL : Qu'est-ce que ça t'a apporté de l'interpréter ? Et surtout, qu'est-ce que ça t'a enlevé ? Parce que, dans ma conception, il y a toujours un prix à payer...

N.S. : Le prix, c'est que j'ai perdu 15 kilos, je faisais 60 kilos sur le tournage. Je chialais tous les soirs dans ma chambre d'hôtel tellement le tournage était éprouvant. Et pourtant, je suis rentré à Paris et j'ai mis un mois avant de quitter son costume. Je me promenais dans ses fringues à Sarajevo et normalement, après le tournage, j'aurai dû me prendre une semaine à la plage et me remettre à bouffer. En fait, pas du tout. Je n’allais pas très bien psychologiquement. Je fumais 10 cigares par jour durant le tournage, j'avais la bouffe totalement cramée, je n’ai pas arrêté de fumer le cigare après, j'en fumais 3 par jour, j'avais récupéré tous ses costumes. Et, petit à petit, je suis passé à autre chose. C'est ça le coût : à un moment tu te dis que, wow, ça t'est vraiment rentré dans la peau. 

C'est aussi la répétition d'être tous les jours totalement obsédé par quelqu'un, à un moment donné, tu t'attaches à cette personne. Ce n’est pas un truc de schizophrène, de "je sais plus qui je suis". C'est un truc d'attachement. Je l'aime, je n’ai pas envie de le tuer, d'autant qu'il est déjà mort, je n’ai pas envie de le tuer une deuxième fois.

Ce que ça m'a apporté, c'est la rencontre de l'autre. Paul, j'ai vraiment l'impression de l'aimer comme un frère... La rencontre avec Boba, le peuple à Sarajevo, la ville, sans ce film, je serai complètement passé à côté. C'est un film où faire l'acteur prend absolument tout son sens. À tous les niveaux. Humainement, artistiquement. Je me dis "t'en sors de là un peu abimé, mais après tu te reconstruis." Ce n’est pas dramatique. Ce qui est dramatique c'est ce qui s'est vraiment passé. Moi, 3 ou 4 mois plus tard, j'allais très bien. Il ne faut pas penser que je m'apitoie ou que je dis que j'ai souffert, ce sont eux qui ont souffert. Au final, j'ai reçu beaucoup plus que j'ai donné.

 

photo Affiche Saint Jean de Luz

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