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Godzilla : la scène épique qui a transformé le monstre en dieu (pour les Américains)

Par Mathieu Jaborska
21 juillet 2024
MAJ : 27 novembre 2024
Godzilla : la scène qui a tout changé

Comment mettre en scène le dévoilement d’un monstre aussi iconique que Godzilla ? Réponse avec le réalisateur Gareth Edwards.

Tout le monde aime les monstres. Massifs ou vicieux, affectueux ou carnassiers, extra-terrestres ou radioactifs… Ils constituent souvent l’attraction principale du cinéma populaire. Dans un bon film de monstre, l’une des scènes les plus importantes, sinon la plus importante, c’est celle de la révélation. C’est le moment de se jeter à l’eau, se mettre à nu, de jouer cartes sur table, de sortir les griffes, d’offrir au monde la contemplation de la bestiole pour laquelle il a payé sa place de cinéma (ou son DVD).

Autant dire que la réalisation est primordiale. Ecran Large entame un petit cycle sur quelques séquences marquantes de dévoilement des monstres.

Et on commence avec le Godzilla américain de Gareth Edwards, qui était attendu au tournant à ce niveau. Le jeune réalisateur de Monsters devait à la fois rendre justice à 50 ans de cinéma japonais et succéder à une première adaptation américaine justement critiquée pour avoir délesté le roi des monstres de sa puissance iconique. La scène en question fut à la hauteur de l’attente, ainsi qu’une démonstration de mise en scène du gigantisme, dont tout Hollywood devrait s’inspirer.

Godzi pas là

Dans le film de 2014, Godzilla sait se faire désirer. Comme l’ont souligné ses détracteurs, le bestiau apparait tard dans le récit, et à peu près autant que dans l’original. Jusqu’à la séquence de l’aéroport d’Hawaii, seuls les MUTO ont été vraiment montrés, lesquels mettent à sac la moitié de la planète. Le spectateur n’attend plus qu’une seule chose : que Big G, jusqu’alors entraperçu seulement, révèle sa puissance destructrice pour montrer qui est en haut de la chaîne alimentaire.

Depuis le début du film, le réalisateur applique à la lettre une vieille règle du grand spectacle : toujours impliquer un référent humain. Dans ce jeu de révélations de kaijus, c’est le plus souvent la technologie qui fait surgir les monstres. Cette scène ne fait pas exception. Le MUTO apparait grâce à l’éclairage public, tout juste rallumé après un black-out total. Il crie (il MUTONNE ?) au moment où il est visible de Aaron Taylor Johnson, en train de foncer vers lui à bord d’une rame de métro, un gamin étourdi dans les pattes. Qu’on soit dans la rame, sur le tarmac ou dans le cockpit des pilotes, on s’accroche au point de vue humain.

Dans cette situation, je...
Dans cette situation, je…

Les pièces du puzzle sont en train de s’assembler : des spectateurs, une diversion. Place au clou du spectacle. Godzilla aussi se fait remarquer grâce aux humains. Mieux : il apparait subrepticement dans un plan solidement harnaché à un avion visant le MUTO. Et lorsqu’il nous laisse admirer le lustre de ses écailles, c’est à la faveur de l’explosion d’un avion. Le rapport d’échelles est suggéré par l’ampleur du carnage. S’il faut les projecteurs du métro pour révéler le MUTO, il faut faire sauter un aéroport entier pour enfin admirer son monumental adversaire.

La belle rouge !

Mais avant les fameux travellings, on note plusieurs détails venant enfoncer encore le clou du relai spectatoriel et mettre le cinéphile à la place d’un quidam confronté à un animal de plusieurs kilotonnes. Lorsque la rame penche dans le vide, on suit dans sa glissade, une seconde à peine, le héros. Puis, au gré d’un raccord dans l’axe très flippant, puisqu’il nous rapproche instantanément du gouffre, la caméra s’accroche à de pauvres figurants. Elle les suit dans leur tobogan infernal, avant de cruellement les abandonner au bord de l’abîme, les laissant être précipités dans le vide. Puis, un cut revient sur Taylor Johnnson qui est, lui, parvenu à s’en sortir.

Un peu plus loin, un rapide plan tient presque du gag. Tandis qu’il contemple la démarche du MUTO, un employé de l’aéroport est submergé. Un rapide mouvement de haut en bas en haut montre à quel point cet évènement est insignifiant devant la stature impressionnante du monstre. Et tous ces figurants ne savent pas encore ce qui les attend.

Not impressed

Le cri de monstre

Bien sûr, la partie la plus mémorable de la scène reste les 3 plans qui suivent l’explosion de l’avion. Un travelling latéral (néanmoins filmé à l’épaule, pour garder l’impression de tumulte), un reaction shot du MUTO et un long travelling, vertical cette fois, dévoilant Godzilla dans toute sa grandeur, au propre comme au figuré. A ce moment, la mise en scène passe un cap supplémentaire. Non seulement le feu des pitoyables constructions humaines réduites en cendres révèle les monstres, mais la caméra se calque sur sa propagation, jusqu’au plan du cri, où, sur le côté gauche, on peut voir l’explosion se développer jusqu’à titiller les cimes de cette véritable montagne sur pattes.

Toutefois, cette scène n’est pas uniquement remarquable pour ses ambitions. Ce qui frappe, c’est que dès le premier véritable plan sur sa vedette, Edwards parvient à la caractériser. Car sous sa direction, Big G n’est pas qu’un gros dinosaure en quête de poisson, mais bien un personnage à part entière. En ça, le fameux plan des avions qui explosent fait office de note d’intention.

Le pied !

D’une part, l’être humain n’est pas seulement insignifiant, il est condamné à rester spectateur d’un combat homérique qui le dépasse complètement. Le surcadrage des baies vitrées de l’aéroport place le citoyen lambda dans une drôle de position, écrasé entre la dévastation et le quatrième mur. Tout au long du film, il restera dans cette position, incapable de faire quoi que ce soit, si ce n’est assister, à l’abri derrière une vitre ou un écran, à la baston de kaijus.

D’autre part, en passant du MUTO à Godzilla, le cinéaste démontre ce qui les distingue et accomplit ce que son prédécesseur américain n’était pas parvenu à faire : imposer le roi des monstres comme une puissance supérieure, voire presque divine. En cadrant en premier ses grosses patounes, le plan nous le présente comme un être massif avançant vers l’adversité. Enfin, il y a le son. Paniquée, hurlant de terreur, la foule se tait soudainement au premier pas de géant. La coupure est si nette qu’on en repérerait presque le coup de fader du monteur son.

Ainsi, le travelling vertical sert autant à mesurer la taille gigantesque du bestiau que d’assoir sa suprématie sur la Planète Terre, impression évidemment renforcée par la musique d’Alexandre Desplats et ses cœurs mystiques. Ainsi, quand ce fabuleux cri en deux temps (le rugissement, puis l’écho profond, lourd de sens) retentit au beau milieu de la nuit, le monde change. Déjà, en quelques plans, l’humanité a accepté son nouveau dieu. En quelques secondes, Edwards a remis le « God » dans « Godzilla ». Désormais, plus qu’une chose à faire : « Let them fight ! »

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KBN

Gareth Edwards a multiplié, avec son Godzilla de 2014, les ellipses parmi les plus frustrantes de l’histoire du cinéma et la scène de l’aéroport est littéralement un sommet dans le domaine du non-respect du spectateur avec une transition totalement inepte vers le gosse du héros principal qui pionce devant la téloche diffusant le combat de monstres alors que tout s’annonçait fantastique (et c’est une parmi tant d’autres).

Par contre la scène de la plage et du tsunami déclenché par l’arrivée de Godzilla, des fumigènes qui éclairent à peine le corps titanesque de la créature puis les tirs dérisoires des humains situés sur les toits, est une superbe séquence.

Ultra Vomito

La scène du laser en ville de Minus One enterre tout les Godzilla mad in USA.

FranckD

Un de mes films favoris pour toutes les raisons évoquées ci dessus, j’ajouterais à ça le coté émotionnel, la relation père/fils est réussi et crédible (au moins autant que dans le jours d’après 😉 )