Zack Snyder : auteur ou faiseur ?

Florent Kretz | 26 octobre 2010
Florent Kretz | 26 octobre 2010

Tour à tour adulé ou conspué, le cas Zack Snyder fait largement débat. Et il vrai qu’entre une mise en scène au maniérisme prononcé et un goût assumé pour les thématiques musclées et bien équivoques, le cinéaste ne s’est pas fait que des amis… Pourtant, il fait partie de ces quelques réalisateurs à suivre de près. De très près même. Car, comme en témoigne son nouvel opus baptisé Le royaume de Ga’hoole - la légende des Gardiens, le bonhomme surprend toujours un peu plus de film en film, se montrant même carrément prodigieux à certains moments. Aussi, à l’aide d’une filmographie relativement courte mais méchamment importante, il sera parvenu à se rendre quasiment indispensable dans le paysage cinématographique contemporain. D’ailleurs, si quelques uns de sa génération commencent déjà à laisser signifier quelques essoufflements (Robert Rodriguez en tête), Snyder se fait plus rare et plus mature : bien que pilier d’une promo de réalisateurs geeks, il ne fait pas uniquement « des films qui font bander » mais de véritables œuvres porteuses d’une vision et témoins d’une certaine mentalité bien américaine. Du gros cinoche de bourrin mais pourtant du vrai cinéma d’auteur … Retour rapide sur ses quatre films, quatre indispensables, quatre pièces à découvrir (ou redécouvrir) absolument.

 

L’ARMEE DES MORTS (2004)

Lorsque Snyder est embauché pour réaliser L'armée des morts, le remake du Zombie de George A. Romero, il est très vivement attendu au tournant. D’une part Dawn of the dead est une œuvre culte de la fin des années 70 et que les fans refusent catégoriquement de voir bafouée. De l’autre, le réalisateur n’a pour l’instant aucun long-métrage à son actif : venant de la publicité, il n’a pour toute expérience que plusieurs dizaines de spots commerciaux pour des marques telles que Audi, Budweiser, Reebok ou Nike … et ce ne sont pas ses prix dans différents festivals (il obtient un Lion d’Or au Festival publicitaire de Cannes) qui le rendent plus populaires. Au contraire, la production est victime d’une campagne de dérision assez effarante ! Mais Snyder ne se décourage pas et livre quelques mois plus tard un film choc dans lequel il dévoile non seulement une réelle aptitude de mise en scène mais surtout un respect surprenant pour l’œuvre originale : sans pour autant dénaturer le Zombie de 1978, le réalisateur en signe en 2004 sa face sombre, sa variation républicaine ! Exit donc la satire sociale et la critique acerbe de la société de consommation, le mort vivant se fait aujourd’hui métaphore des démons d’une Amérique hantée par la catastrophe du 11 septembre 2001. Tombant carrément dans certaines positions gentiment réactionnaires lors de quelques séquences, le centre commercial est, comme le pays, à défendre des envahisseurs et des attaques extérieures. Incroyablement cynique, d’une brutalité crasse et d’une maitrise sidérante pour un premier film, L’armée des morts dévoile une Amérique perturbée, plombée et plombante, et refusant de se laisser bafouer au risque de se perdre. Symptomatique de l’état d’esprit virulent et revanchard qui fera les belles heures du gouvernement Bush, le film de Snyder fait peur, autant par sa puissance narrative (une séquence d’ouverture à tomber et fleurant bon la fin du monde) que par ses héros, messieurs tout le monde d’un peuple aveuglé par la colère… Toujours aussi efficace, toujours aussi choc !

 

300 (2007)

Si Zack Snyder a largement su réconforter l’audimat en dévoilant ses qualités de metteur en scène, un nouveau doute se créé à l’annonce de son nouveau projet. Aussi, après sa version burnée de Dawn of the dead, a-t-il décidé de s’occuper de l’adaptation live du roman graphique de Frank Miller, 300. Hors, Miller, sommité indiscutable du comics des années 80, est l’une de ces personnalités troubles de l’Amérique: l’homme n’a jamais tenté de dissimuler sa passion pour les armes à feu et surtout son obsession pour la sécurité et l’autodéfense. Mais plus encore, l’auteur aura carrément été lessivé par l’attentat du World Trade Center : certaines de ses œuvres, 300 en tête, étaient déjà victimes de polémiques mais, associées aux propos violents et résolus de Frank Miller, elles apparaissent encore plus houleuses. Snyder fait donc grincer des dents lorsqu’il s’associe à Miller pour adapter 300. Et il ne tentera jamais (ou rarement) d’arrondir les angles, le réalisateur étant un fan absolu de bandes dessinées. Nanti d’un budget de 60 millions, Snyder se lâche et déploie pour la première fois dans sa carrière de cinéaste quelques une de ses marottes : obsession pour l’héroïsme, le dévouement et l’abnégation, ultra stylisation et application moderne d’effets visuels, maitrise absolue du rythme et du découpage (on pourra lui reprocher quelques reflexes tenant plus du publiciste que du réalisateur de cinéma) … Snyder dompte le travail de Miller et en fait sien. Puisant autant dans ses références iconographiques que dans le climat ambiant propice à la glorification des héros, il dresse le tableau de quelques valeureux guerriers se dressant face à l’ennemi pour une unique question de valeurs et de principes. Phénoménal en terme d’action, sidérant dans sa glorification exacerbée de l’homme (le vrai, le dur !) et éminemment cinégénique, le film subit les foudres d’intellectuels, d’historiens, de communautés (…) mais offre au réalisateur une certaine aura auprès des spectateurs et surtout un ticket auprès des producteurs. Rapportant près de six fois sa donne, 300 est un succès considérable et impose Snyder comme l’un des auteurs les plus courus.

 

WATCHMEN - LES GARDIENS (2009)

Complètement acquis à sa cause, la Warner offre à Zack Snyder de réaliser le projet qui lui convient. Accompagné dans ses choix de carrière par sa femme Deborah, productrice ayant déjà officié sur 300, il décide de s’atteler à l’arlésienne Watchmen - les gardiens, monument de la bande dessinée et réputé inadaptable. Un choix pas dénué de sens dans la carrière du gars puisque les centaines de pages rédigées par Alan Moore et dessinées par Dave Gibbons traitent du retour de super-héros et de vigilantes masqués dans une Amérique alternative post-Vietnam. Et si Snyder est certain de trouver dans le projet quelques uns de ses thèmes de prédilection, une œuvre telle que Watchmen signifie une certaine inflexion dans la vision du réalisateur : histoire ultra torturée et se refusant à tout manichéisme, les Watchmen sont autant des incarnations salvatrices et sacrées que quelques entités menaçantes et impitoyables. Il renoue alors avec l’état d’esprit dans lequel il a grandi, celui qui anime son Wisconsin natal et traditionnellement républicain modéré. Visiblement troublé par les dérives d’une guerre qui n’en finit pas et qui se révèle être un véritable fiasco, le choix de ce film à ce moment n’est pas anodin et, bien que tout aussi percutant que les précédents travaux du réalisateur, Watchmen - les gardiens se pose comme miroir d’une période embarrassante de l’histoire des Etats-Unis. Evitant les embuches de l’adaptation, sublimant le récit et magnifiant sa mise en scène, résolu à ne pas (trop) tomber dans ses excès de démonstrations visuelles, Snyder transcende parfois ses volontés premières pour signer l’un des plus grands moments cinématographiques de l’année dernière: se risquant même à rompre son récit au profit de la construction de ses personnages, il s’inscrit dans la cour des grands avec quelques séquences somptueuses telles qu’un générique stupéfiant de beauté ou celle relatant la genèse du Dr Manhattan, histoire bouleversante et quasi indépendante rythmée par une musique de Philip Glass. Révélant et assumant de plus en plus un cinéma dédié à la fascination pour la force, la gloire et la grandeur, marqué par la violence et le sexe, bercé par une pop culture au flux ininterrompu, Snyder se fait plus modeste tandis qu’il brave les obstacles et frôle bientôt le chef d’œuvre. Pièce maitresse car incarnant l’œuvre de la maturité pour son auteur, elle marque aussi le passage le plus risqué de sa carrière : l’œuvre suivante se devra de transformer l’essai…

 

LE ROYAUME DE GA’HOOLE - LA LEGENDE DES GARDIENS (2010)

Sous couvert d’un film pour mômes, Snyder ne peut se contenir et signe finalement son œuvre la plus jusqu’au-boutiste mais aussi la plus fine et la plus réussie. Devant se faire violence pour conserver son statut de produit tous publics, il inscrit son travail dans une nouvelle dimension puisque pour la première fois sa réussite ne tient pas sur quelques variations fantasmagoriques autour de l’iconographie du brave mais, au contraire, sur une réelle qualité de conteur. S’il sacralise toujours autant les évènements les plus rocambolesques et n’échappent pas à ses pulsions le poussant à idéaliser les actes de courage et de grandeur, Zack Snyder surprend en parvenant à faire véritablement rêver et en se faisant beaucoup plus riche et novateur que ce qu’on attendait de lui: plus encore qu’un excellent faiseur, un véritable auteur.

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