Tony Scott - Portrait

David Da Silva | 27 décembre 2009
David Da Silva | 27 décembre 2009
Le cas Tony Scott est intéressant car c'est l'exemple-type du shooter lambda de blockbuster (avec des films médiocres comme Jours de Tonnerre ou Top Gun, si on excepte son excellent premier film Les Prédateurs) qui s'impose peu à peu à Hollywood comme un auteur. Et oui, le terme un peu pompeux est lâché et peut sembler un peu incohérent avec la filmographie du bonhomme. Seulement, si on l'analyse un peu plus en détails, on se rend compte de la présence de thématiques récurrentes telles que la vengeance, les rapports de forces (duel Washington-Hackman dans USS Alabama, De Niro-Snipes dans Le Fan ou dans son dernier opus Washington-Travolta...), et l'amour impossible (True Romance, Revenge ou Top Gun  si l'on en croit Quentin Tarantino) ou l'amour qui transcende, l'amour qui transforme véritablement une personne (True romance, Revenge, Man on fire, Déjà vu...), Tony Scott est devenu un "auteur", un vrai, dont la filmo, bien que bien que blindée de blockbusters, forme un ensemble cohérent.

Né dans la banlieue anglaise de Newcastle le 21 juillet 1944, c'est au cours de ses années d'études au College Of Art de Leeds que le frère de Ridley Scott commence à s'intéresser à la mise en scène. Sa formation artistique a évidemment influencé grandement son langage cinématographique, car il est fortement influencé par la composition picturale plutôt que par l'écriture de la caméra : « Ma formation de peintre me pousse à soigner au maximum l'aspect visuel, à composer des plans avec un soin maniaque... ». En 1973, il fonde avec son frère la société RSA, spécialisée en films publicitaires, où il pourra perfectionner sa mise en scène avant de passer aux longs-métrages. C'est au travers de la centaine de ces films publicitaires qu'il réalisera pendant presque une dizaine d'années qu'il va développer certains thèmes visuels récurrents, comme l'utilisation abondante de fumée, les couleurs filtrées ou encore les traits de lumière au travers de vitres.

                       

Son premier film sera donc Les prédateurs avec Susan Sarandon, Catherine Deneuve et David Bowie. Avec un style esthétique très « léché », il réalise une magnifique réactualisation du mythe de vampire, que le réalisateur qualifie de « bizarre et ésotérique ». Mais le film passe relativement inaperçu et il faudra attendre 3 ans et sa rencontre avec les producteurs Jerry Bruckheimer et Don Simpson pour que sa carrière décolle véritablement : « Nous sommes amis depuis longtemps, depuis le jour où, en 1980, mon frère Ridley et moi avons visité le plateau du Solitaire de Michael Mann lors d'un voyage à Los Angeles... ».

La proposition des deux nababs d'Hollywood (concurrents de Joel Silver) est la réalisation d'une gigantesque publicité pour l'US Air Force nommée Top Gun. Si Scott démontre qu'il est un maître de la caméra et des images hyper-travaillées (notamment durant le début du film et cette scène de sauvetage), le scénario est le grand handicap du film. Au lieu d'un vrai film d'aventure digne de ce nom, on a plutôt droit à une bluette dans le milieu de l'aviation, doublée d'un drame psychologique sur les doutes existentielles de Pete Mitchell. Ajouter une musique  horrible ou des acteurs mauvais pour un vrai nanar de luxe, mais un énorme succès au box-office (qui a fait de Tom Cruise une star internationale).

 

 

On ne change pas une équipe qui gagne, alors les deux producteurs proposent une autre commande au réalisateur, la séquelle du gros succès Le flic de Beverly Hills avec Eddie Murphy (alors au sommet de sa carrière). Après un véhicule pour Tom Cruise, Scott se met docilement au service de Eddie Murphy et réalise un film sur mesure pour le star. Si le film est un gros carton, le niveau artistique des réalisations de Tony Scott est assez médiocre. Mais ces deux gros succès financiers permettent à Scott de réaliser un film qui lui tient particulièrement à cœur, Revenge avec Kevin Costner qui pourra le débarrasser de cette étiquette de « yes-man » des producteurs : « Revenge est un film que je souhaitais vraiment tourner, qui reflétait tout ce qui m'intéresse dans la mise en scène... »

 

 

Revenge est un film « maudit », un film charcuté par le producteur Ray Stark : « Ray Stark ne comprenait pas très bien cette histoire d'amour impossible, elle lui passait complètement au dessus de la tête... ». Cette histoire d'amour poignante entre Kevin Costner et Madeleine Stowe est un des meilleurs films de Tony Scott (le meilleur selon un certain Quentin Tarantino), un film touché par la grâce, de l'interprétation à la musique de Jack Nitzsche. Ce projet personnel permet au réalisateur de mettre en place certaines de ses thématiques comme la vengeance, l'amour impossible ou qui transcende les êtres et même les héros solitaires en rupture face aux hiérarchies trop facilement en place (Man on fire, Domino, Le dernier Samaritain...). Malheureusement, le montage final du film ne sera pas celui voulu par Tony Scott : « Ray Stark m'a enlevé le film, l'a monté à sa manière, en ne tenant nullement compte de l'histoire que je voulais raconter. Son montage  a été un massacre en règle de ce qui aurait pu donner un bon film. A ma version, il a ajouté près d'une bonne demi-heure de scènes qui auraient dû sauter, résultat : c'est davantage son film que le mien... ». Le montage final sera aussi supervisé par la star du film, Kevin Costner, qui voulait d'ailleurs aussi réaliser le film. « Peut-être, un jour, aurais-je l'occasion de le monter à ma guise, d'en faire le film dont je rêvais... »  et le réalisateur sortira des années plus tard un director's cut en DVD, avec une bonne vingtaine de minutes en moins : « L'œuvre que j'avais en tête était un mélange de noirceur, d'étrangeté, d'amour fou et de violence. Revenge aurait dû être très mexicain dans l'âme... ». Résultat ? le film s'attarde plus sur les états d'âmes du gangster interprété par Anthony Quinn et sabre dans certaines scènes explicatives, mais les deux versions sont aussi intéressantes l'une que l'autre.

 

 

Le film est un gros échec financier (15 millions de dollars de recettes) et Scott retourne voir ses amis Bruckheimer/Simpson afin de renouer avec le succès et retrouver une certaine indépendance pour ses futurs projets. Il tourne pour eux Jours de tonerre, un remake de Top Gun dans le milieu des stock-cars, un film avec un gros budget juste destiné à rapporter gros. Un script très mince (pourtant signé par Robert Towne) et les pires tics de réalisateur de Tony Scott s'incarne dans ce film (images chichiteuses, filtres rouges collés sur les ciels bleus, voiles se soulevant au rythme de ventilateurs placés hors-champs...). Tom Cruise livre aussi une de ses prestations les moins inspirées. On peut remarquer aussi que ce film marque la première collaboration de Tony Scott avec le compositeur Hans Zimmer, avec lequel il va collaborer sur ses prochains films (True romance, USS Alabama et Le Fan) avant que Harry Gregson-Williams ne le remplace. Jours de tonnerre est un film assez médiocre mais il marche relativement bien au box-office mondial (sans atteindre les scores faramineux de Top gun, le film rapporte 165 millions de dollars à travers le monde). Le réalisateur décide de changer de personnages principaux, fini les beaux gosses insipides, désormais c'est l'antihéros qui l'intéresse. Ses personnages auront vécu, seront en marge et en conflit avec l'autorité.

 

 

Joe Hallenbeck est le looser magnifique du film suivant de Tony Scott Le dernier samaritain, écrit par Shane Black, un des meilleurs scénaristes d'Hollywood, et produit par Joel Silver, le grand rival de Bruckheimer. Le personnage de détective privé, incarné par Bruce Willis, est un solitaire, qui picole plus que de raison, fume comme un pompier, ne prend même pas le temps de se raser, sa femme et sa fille l'humilient.  On voit dans ce long-métrage (parsemé de dialogues savoureux) l'amour de Scott pour le cinéma de Hong-Kong et les thrillers de John Woo, notamment lors d'une scène où Bruce Willis court en tirant avec deux flingues dans les mains. Personnages de loosers, patrons mafieux et conflit père-fille, ce film (devenu culte) marque une étape nouvelle dans la carrière de Scott, ce que confirmera son prochain projet True romance

« True romance est au carrefour de tout ce que j'ai réalisé jusqu'à présent...Je n'ai pas cherché l'esthétique à tout prix, True romance a pris un an et demi de ma vie, le scénario de Tarantino m'a fasciné, transporté... » confie Tony Scott  « Sur True romance, j'ai eu un contrôle artistique total, Samuel Hadida m'a permis de réaliser le film que je souhaitais. Dans le système hollywoodien, ce sont les compromis qui priment... ». Le mot est lâché, le réalisateur a eu les mains libres pour ce film qui est incontestablement une de ses plus grandes réussites (il remplace le réalisateur William Lusting initialement prévu, pour ce qui devait être une série B à petit budget). Grâce au script assez génial de Quentin Tarantino, Tony Scott réunit un casting impressionnant (Dennis Hopper, Christopher Walken, Brad Pitt, Christian Slater, Val Kilmer, Samuel Jackson...) : « Tous ont lu le script et sont tombés à la renverse. Ils tenaient absolument à participer à True romance, quitte à accepter un personnage secondaire. Les dialogues sont si brillants, les personnages à ce point démentiels que tous ont également divisé par deux ou plus leur cachet... ».  Un héros solitaire en marge, que l'amour transforme, la mafia, le rapport de force (la scène géniale entre Walken et Hopper),  on reconnait beaucoup de thèmes chers à Tony Scott.  « Je souhaite que True romance modifie l'opinion que les gens ont de moi, qu'ils ne m'appréhendent plus comme le cinéaste de l'épate visuelle, mais aussi comme quelqu'un qui dirige les comédiens... ». Le cinéaste montre encore son affection pour le cinéma de Hong-Kong avec le clin d'œil au film Le syndicat du crime 2 que les amoureux regardent à la télé (selon Tarantino, ce film fut le choix de Scott) et un final qui se conclut par un Mexican standoff de toute beauté (ce film lui permet aussi de rendre hommage à un de ses films préférés, La balade sauvage de Terrence Malick, auquel il empreinte une partie de la musique). Encore une fois, le film gagne un statut culte pour beaucoup de cinéphiles mais ne marche pas vraiment au box-office américain. Le réalisateur va une nouvelle fois retourner vers ses amis Bruckheimer/Simpson afin de retrouver le chemin du succès.

 

 

USS Alabama (le nom que porte Patricia Arquette dans True romance) est un thriller des grands fonds, un film se déroulant presque intégralement dans un sous-marin. Le thème du rapport de force entre les deux personnages principaux est un élément qui l'intéresse au plus au point dans ce projet : « Choisir les acteurs pour un film, c'est un peu comme peindre un tableau. Vous devez sentir ce que les gens sont et les utiliser pour les émotions qu'ils transmettent. La confrontation de Gene Hackman et de Denzel Washington était, dès le départ, très prometteuse. Ils sont très différents l'un de l'autre. La seule chose qu'ils ont en commun, c'est un charisme très puissant. Le contraste entre leurs personnalités provoque à l'écran une vraie dynamite... ». Et, en effet, le duel entre les deux acteurs est très efficace, à l'image d'un film où la tension et le suspense sont à leurs combles. Tarantino sera un script-doctor sur le scénario (même s'il n'est pas crédité au générique) pendant 6 jours et on reconnait sa patte assez facilement (la discussion sur les classiques de films de sous-marins, l'allusion à Star Trek ou la discussion sur la nationalité de chevaux...). USS Alamaba marque la rencontre de Tony Scott avec Denzel Washington, qui deviendra son acteur fétiche et financièrement, le film marche plutôt bien.

Le réalisateur va connaitre le plus gros bide de sa carrière avec Le fan, peut-être son film le plus méconnu, où Robert de Niro et Wesley Snipes se partagent l'affiche de ce film où un fan de base-ball commence à harceler son joueur fétiche. Thriller raté, avec un De Niro qui cabotine et un Tony Scott en flagrant manque d'inspiration (un abus de ses artifices de mise en scène ou un meutre commis façon Seven). 

L'histoire est un éternel recommencement et une nouvelle fois, Tony Scott retourne voir Bruckheimer afin de se remettre d'un gros bide. Le producteur lui propose la réalisation de Ennemi d'Etat, un thriller très influencé par Conversation secrète avec Gene Hackman (qui est aussi à l'affiche du film de Scott), le film de Francis Ford Coppola. Cette histoire paranoïaque d'un avocat (Will Smith) qui est poursuivi car il détient les images de l'assassinat d'un gouverneur permet à Scott de se laisser aller à des expérimentations visuelles et lui offre l'occasion de renouer avec le public et de livrer un thriller très efficace comme le reconnait le réalisateur : « Je suis très fier de USS Alabama et Ennemi d'Etat parce que ce sont des films de genre intelligents où les personnages ont toujours plus d'importance que les évènements eux-mêmes... ».

 

Spy Game est un peu dans la même veine, c'est un thriller d'espionnage dans la veine des films des seventies, avec un duo d'acteur formidable avec Robert Redford et Brad Pitt. Thriller haletant avec certaines scènes admirables (la séquence du sniper au Vietnam) et le film est un succès mondial avec 143 millions de dollars de recettes, qui lui permettent de pouvoir enfin réaliser le film qui lui tient le plus à cœur, Man on fire.

Basé sur le roman de A.J. Quinnell, Tony Scott essaie de monter ce film depuis le milieu des années 80 (c'est finalement le français Elie Chouraqui qui réalisera Man on fire, un thriller mou avec Scott Glenn) et il va livrer avec ce long-métrage son meilleur film à ce jour, un thriller hard-boiled d'une intensité exceptionnelle. Ce film regroupe plusieurs thèmes déjà présents dans les films précédents du cinéaste. La vengeance de Revenge , la relation père-fille du Dernier samaritain, l'organisation de la Mafia présent dans True romance et Ennemi d'Etat (même si on a droit aux kidnappeurs mexicains, rappelons que le roman original traite de la Mafia et que Scott a failli réaliser le film en Sicile avec De Niro). Doté d'un scénario excellent de Brian Helgeland, porté par un Denzel Washington dans son meilleur rôle, le film est l'aboutissement du style visuel de Tony Scott, dépassant le stade de la coquetterie visuelle et impliquant le spectateur au cœur du processus émotionnel du film : « J'ai voulu traduire par des images parlantes, parfois agressives, ce qu'éprouvait le personnage de Denzel Washington, surtout au regard de l'appréhension du sort réservé à la petite fille sous sa protection... ». La descente aux enfers et le sacrifice de cet homme solitaire condamné depuis longtemps pour ses mauvaises actions mais agissant par amour, celui d'une fillette de 9 ans, permettent à Tony Scott de réaliser un film magnifique (encensé par Tarantino, grand ami du cinéaste).

Tony Scott décide d'enchainer les tournages et réalise un biopic atypique Domino sur un ex-mannequin devenu chasseur de primes. Tony Scott décide de pousser encore plus loin ses expérimentations visuelles : « Si Domino se présente sous cette forme excentrique et baroque, c'est pour mieux traduire l'instabilité psychologique et psychique de l'héroïne, de même que le mode de vie qu'elle choisit... ». Affection pour un être solitaire en marge ou l'implication de la mafia et du FBI dans un trafic de drogue, on devine ce qui a dû attirer le cinéaste dans le script écrit par Richard Kelly. Mais, malgré certaines scènes réussies comme le gunfight final sur La passion selon Saint Matthieu de Bach et un Mickey Rourke impérial, le film fait pâle figure face à l'opus précédent du réalisateur.

Retour (et oui, encore) chez son pote Bruckheimer avec un thriller fantastique plutôt réussi Déjà vu : « Si j'ai choisi de réaliser Déjà vu, c'est surtout parce qu'il m'offrait l'opportunité de mettre en scène une histoire d'amour dans des circonstances inhabituelles... » . Le réalisateur l'avoue, c'est l'histoire d'amour entre les personnages interprétés par Denzel Washington et Paula Patton qui a motivé son choix : « Pour moi, le cœur du film est la passion que porte un policier à une femme déjà morte dont il essaie de sauver la vie... ». En effet, ce film regroupe deux thèmes chers à Tony Scott, l'amour impossible et l'amour qui transforme les êtres (cet homme va tomber amoureux d'une femme morte, lui qui ne voulait s'attacher à personne de peur de la mort, va transcender sa peur et tout faire pour faire revivre cette femme). Le réalisateur calme ses expérimentations visuelles : «  Pour Déjà vu, je n'avais aucune raison de revenir à un style expensif... » et le film est un thriller très correct, emmené par un excellent Denzel Washington.

Inséparables, le duo décide de s'associer à nouveau pour L'attaque du métro 123, le remake d'un thriller culte des seventies Les pirates du métro de Joseph Sargent. Assez différent du film original mais superbement interprété par Denzel Washington et John Travolta, le duel à distance que se livre les deux acteurs est vraiment très réussi et la tension du film ne baisse jamais. L'équipe gagnante de Man on fire (Tony Scott, Denzel Washington, Brian Helgeland et Harry Gregson-Williams à la musique) livre encore un thriller très efficace (mais pas du niveau de leur formidable opus précédent). Beaucoup de critiques seront formulées sur le dernier acte du film car le personnage (assez pantouflard) de Denzel Washington se transforme en héros mais, finalement, ça s'insère complètement dans la thématique de Tony Scott avec l'amour qui transcende les êtres. En effet, il appelle sa femme juste avant de partir à l'encontre des gangsters et elle lui demande de ramener du lait après sa mission (belle scène avec un sous-entendu qu'il doit revenir vivant) et lorsqu'il sait qu'il va mourir, le personnage se transcende pour rester en vie et, ensuite, s'offrir une rédemption.

La suite ? Unstoppable, encore un thriller avec Denzel Washington et Chris Pine, un biopic sur Steve Banerjee (le fondateur des chippendales) mais surtout un remake des Guerriers de la nuit de Walter Hill que le cinéaste définit ainsi : « Ce sera Les guerriers de la nuit rencontre Kingdom of heaven... ». Très prometteur et on est convaincu que le réalisateur peut encore nous livrer des films de la trempe de Man on fire.

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commentaires
Jide Lius
11/05/2018 à 19:01

Les frères Scott m’ont toujours beaucoup inspiré ! Très triste pour la disparition de Tony qui réalisa aussi one more try clip de George Michael avec des lumières splendide !!!