James Ellroy - Le Demon Dog de L.A.

Patrice Louinet | 2 novembre 2006
Patrice Louinet | 2 novembre 2006

James Ellroy, le « demon dog » de Los Angeles, naît en 1948 ; sa mère est infirmière, son père occupe quant à lui une succession de petits boulots. Comptable de formation, il aurait, aux dires de son fils, géré pendant un temps les affaires de Rita Hayworth. Ses parents divorcent et Ellroy partage dès lors son temps entre un père instable, irritable et sans grande autorité, et une mère qui s'adonne à la boisson et aux hommes de passage.

En 1958, sa mère est retrouvée morte dans un terrain vague, étranglée et peut-être violée. Son assassin ne sera jamais retrouvé. La vie d'Ellroy bascule. Il devient très rapidement délinquant, se complait dans d'interminables séances de masturbation quasi-pathologiques, fantasmant sur les playmates de Playboy mais aussi sur sa mère morte. Il commet ses premiers larcins : sa grande passion est de s'introduire par effraction chez des gens afin d'y renifler ou d'y dérober les sous-vêtements féminins. Il est exclu de son lycée pour propos antisémites, pro esclavagistes et pour apologie du nazisme.

Son père meurt alors qu'il a réussi à se faire réformer de l'armée (il s'y était engagé volontairement trois mois auparavant). Ses derniers mots à son fils furent « Essaye de coucher avec toutes les serveuses que tu rencontreras ». Alcoolique, drogué et recherché, Ellroy est envoyé en centre de correction puis en prison. À sa libération il passe la plupart de son temps dans le parc Robert Burns, y dormant la nuit, y travaillant comme caddie pour les golfeurs du parc pendant la journée.

Durant ces vingt années, il nourrit une passion pour le roman noir américain. Son père lui a fait découvrir Jack Webb et son The Badge – une histoire de la police de L.A. – alors qu'il avait dix ans. C'est dans ce livre que Ellroy découvre l'histoire du Dahlia Noir qui aura une telle importance pour sa carrière. Sa santé complètement détraquée, souffrant de symptômes plus qu'inquiétants, tant sur le plan physique que psychologique, Ellroy décide, d'un coup, de se racheter une conduite. Il arrête l'alcool et décide d'écrire son premier roman ; ce sera bien évidement un roman noir, Brown's Requiem. Il a alors 30 ans. Sa vie prend un nouveau virage.

Brown's Requiem paraît en 1979, directement en poche (les livres « respectables » paraissant d'abord en édition cartonnée aux USA). Encouragé par des débuts assez prometteurs, il écrit Clandestine en 1981, dans lequel les allusions autobiographiques sont légion. Le succès est en route et dès lors Ellroy s'attache à mettre toutes les chances de son côté, canalisant ses pulsions les plus sombres pour les transcender dans le roman noir. Il commence à attirer l'attention des spécialistes avec la trilogie Lloyd Hopkins, trois romans se déroulant bien entendu à Los Angeles, et on comprend très rapidement que le « Dog » (le surnom que lui donnaient ses amis dans sa jeunesse) est, en plus d'un auteur prometteur, une bête de média.

Il multiplie les répliques assassines, les jugements faciles et incisifs, tape là où ça fait mal (et surtout s'il est facile de le faire : il se moque ainsi de Tarantino à une époque où il est de bon ton de l'encenser), dit que le Rock'n'Roll est de la musique de dégénérés, se positionne en tant que Républicain et pour la peine de mort. Publier une interview d'Ellroy, c'est être certain de faire grand bruit, l'inviter sur un plateau télé devient l'assurance d'un show, rapidement rodé et efficace. Sa grande spécialité est alors d'imiter son chien Barko (qu'il déclare être le véritable auteur de ses romans) et d'aboyer face aux caméras. Un « demon dog » quoi !
Ellroy affiche alors clairement ses ambitions : il veut devenir le plus grand auteur de roman noir de tous les temps. Il renie Raymond Chandler, l'homme qui a le mieux – avant lui – utilisé Los Angeles comme cadre de ses histoires et déclare que l'homme à égaler, puis à surpasser, est Dashiell Hammett, celui-là même qui a inventé le genre.

Le cinéma commence très sérieusement à s'intéresser à Ellroy, reniflant bien sûr le talent mais aussi des qualités photogéniques et télévisuelles rares dans ce milieu. C'est finalement à James Woods que revient la tâche d'incarner en premier un personnage d'Ellroy à l'écran. Woods, dont le visage névrosé et ambigu a tout ce qu'il faut pour y arriver, se retrouve donc en 1988 à l'affiche de Cop (adapté de Blood on the moon), film de James B. Harris (il est d'ailleurs le producteur exécutif du Dahlia Noir) somme toute décevant car trop inégal. Ellroy se déclarera très déçu de la performance de Woods.

C'est en 1987 que sort The Black Dahlia, le roman qui fait exploser sa carrière. Sur des centaines de pages, Ellroy dissèque le meurtre d'Elizabeth Short avec une précision digne d'un entomologiste (ou d'un tueur en série...). Mais réalité et fiction vont diverger : Ellroy choisit de donner une solution à l'énigme. En livrant son meurtrier à la justice, Ellroy espère sans doute calmer ses propres démons : il dédie d'ailleurs le livre à la mémoire de sa mère. En fait, il s'offre tout au plus un répit.
Ellroy a décidé de recréer l'histoire criminelle de Los Angeles de 1946 (l'affaire du Dahlia) à 1960 en quatre volumes, le fameux « L.A. Quartet ». À l'issue de la rédaction de White Jazz le dernier tome, Ellroy pense qu'il est temps de passer à autre chose, et d'ajouter une dimension et une vision politique à tout cela qu'il juge désormais comme indissociable de l'histoire criminelle des USA.

Le demon dog s'est entre-temps marié avec une journaliste reconnue, à quitté L.A. pour le Kansas et ses verts pâturages, bien loin de la jungle urbaine, et semble être un homme plus serein, en paix avec lui-même (même si ses apparitions publiques restent imprévisibles et colorées).
En 1994 cependant son passé le rattrape en la personne d'un reporter s'intéressant aux vieilles affaire criminelles non résolues de L.A. Celui-ci allait en effet re-examiner, l'affaire de sa mère. Ellroy s'engage alors dans une véritable contre-enquête, aidé d'un policier à la retraite, odyssée racontée dans un livre poignant : Ma part d'ombre, dans lequel Ellroy referme, semble-t-il, la blessure, faisant la paix avec sa mère et son fantôme.

En 1997 Hollywood s'intéresse de nouveau à Ellroy avec l'adaptation de L.A. Confidential, troisième opus du L.A. Quartet. Les moyens sont là, les acteurs sont remarquables (Kevin Spacey comme à l'accoutumée, ainsi que Russell Crowe et Kim Basinger qui offrent là des performances de haute volée). Curtis Hanson a eu l'intelligence de ne pas vouloir adapter les 600 pages du livre, ne retenant au final que 30 ou 40% de l'intrigue du roman, mais qu'il retranscrit à merveille, opérant une transition remarquable entre le papier et la pellicule. Trahissant le roman, il parvient à restituer à merveille l'atmosphère et la vision du monde d'Ellroy. C'est suffisamment rare pour être noté.

Une adaptation de Brown's Requiem voit le jour en 1998. Œuvre de Jason Freeland, réalisateur bien connu de sa concierge (et sans doute de ses voisins de palier), sa sortie est plus que discrète (quelques salles aux Etats-Unis et une sortie « direct to video » en France chez feu Film Office). L'auteur de ces lignes n'a d'ailleurs découvert l'existence de ce film qu'en rédigeant le présent article. Au vu d'une part des critiques qui se sont risqués à le visionner et dont on peut trouver quelques avis plus que mitigés sur le net et d'autre part du maigre salaire versé par Ecran Large à ses rédacteurs, il est peu probable que vous en trouviez un jour le compte-rendu sur le site (Ingrat ! NDLR).

Ces dernières années, Ellroy les a consacrées à terminer sa nouvelle trilogie, qui va de 1960 (fin du L.A. Quartet et début de l'ère Kennedy) à la fin des années soixante. Le résultat est inégal, encensé par certains qui y voient un prolongement naturel de l'œuvre, décevants pour d'autres, qui reprochent au nouveau Ellroy de ne plus avoir cet aspect viscéral et torturé qui exsudait de ses ouvrages précédents. Quant aux projets cinématographiques, ils sont très nombreux, trop sans doute. On a ainsi parlé d'une adaptation de Ma part d'ombre avec David Duchovny, c'est dire. Par contre, ce qui semble bien plus vraisemblable c'est la mutation d'Ellroy d'écrivain en scénariste pour Hollywood. Il travaille ainsi à l'adaptation de Land of the Living, l'histoire d'une femme capturée et torturée par un tueur en série qui est ensuite confrontée à l'incrédulité de la police et de ses amie une fois sortie de son calvaire. Il est aussi l'auteur de The Night Watchman, un scénario original, qui sera semble-t-il filmé par Oliver Stone, Spike Lee ayant jeté l'éponge, et interprété par Keanu Reeves.

Reste à savoir si c'est Hollywood qui mangera le chien, si le chien mangera Hollywood, ou tout simplement, comme beaucoup d'éléments le laissent penser, si le chien a encore des crocs...

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