The Departed - Preview
C'est sans exagération aucune que l'on peut annoncer The departed de Martin Scorsese comme le long-métrage le plus attendu de cette fin d'année. Les raisons de s'exciter à propos du film sont nombreuses. Passage en revue des éléments qui font de The departed l'évènement de l'automne.
Pièce à conviction numéro 1 : le sujet. The departed est un remake d'Infernal affairs,
brillant polar hongkongais qui voyait s'opposer Andy Lau et Tony Leung
dans les rôles respectifs d'un mafieux infiltré chez les flics et d'un
flic immergé chez les mafieux. Violence froide, situations tendues et
développement machiavélique de l'intrigue, Infernal affairs
fait aujourd'hui office de référence dans le genre polar urbain. À tel
point que deux suites ont suivi, bien moins brillantes mais pas
déshonorantes pour autant. Transférée à Boston, l'intrigue n'a pas subi
de changements radicaux, mais quelques modifications substantielles ont
néanmoins été apportées. Deux personnages ont été largement développés
: celui du chef mafieux, véritable troisième personnage principal, et
celui de la psychanalyste qui suit le policier infiltré (et déprimé).
Objectif : explorer encore un peu plus la noirceur et l'aspect tragique
du scénario. Mais la véritable inconnue, celle qui suscite l'intérêt de
tous les fans du film d'Andy Lau & Alan Mak, c'est la fin. Celle d'Infernal affairs a marqué tous les esprits, et c'est dans le but de s'en démarquer que celle de The departed
sera différente. Autant le dire tout de suite : moins vibrant mais plus
crédible, le dénouement du film de Scorsese risque de décevoir ceux qui
s'attendent à une photocopie occidentalisée de l'original.
De toute façon, il était hors de question pour le réalisateur des Affranchis
de faire dans la simple redite. D'abord parce que ce serait indigne
d'un réalisateur de cette stature. Ensuite parce qu'après l'échec des Nerfs à vif,
de loin l'un des moins bons films du cinéaste, Scorsese a sans doute
perdu à tout jamais l'envie de refaire bêtement les films des autres.
Enfin pour une raison des plus logiques : Scorsese a avoué sans honte
ne pas avoir vu Infernal affairs, et n'avoir aucune
intention de le voir, en tout cas pas avant de tourner son film. Des
propos qui en ont choqué plus d'un, évoquant le respect du matériau
original et l'intégrité artistique. Absurde : le meilleur moyen de
faire un film personnel et pas un remake sans cervelle, c'est bel et
bien d'employer la méthode Scorsese. Ne pas regarder le film d'origine,
c'est éviter toute tentation (consciente ou inconsciente) de faire dans
la recopie.
Poursuivons
sur la pièce à conviction numéro 2 : le réalisateur. Martin Scorsese,
Marty pour les intimes, fait partie du cercle fermé des metteurs en
scène dont chaque film est attendu de pied ferme (qu'il parle de
mafiosi, de Jésus Christ ou du dalaï-lama). Sous les sourcils les plus
touffus d'Amérique se cachent deux yeux noirs, malicieux et intenses,
dans lesquels le génie a bien du mal à se cacher. Scorsese a le pouvoir
de s'approprier n'importe quel sujet et de le transcender sans pour
autant trahir le matériau de départ. Trois plans lui suffisent pour
faire naître des personnages légendaires. De Travis Bickle à Jake
LaMotta, de Howard Hughes à Bill le Boucher, ses héros favoris sont des
hommes impulsifs et colériques dont le charisme est l'élément moteur,
loin devant les bizarreries psychologiques. Idem pour les lieux
utilisés : de Bethléem à Little Italy, Scorsese utilise le décor comme
un personnage à part entière, capable d'influer sur les agissements de
chacun. Cela donne des films sanglants et saignants, où l'épique côtoie
l'intime au coin de chaque ruelle sombre. Située à Boston, l'intrigue
de The departed devrait lui donner l'occasion d'évoluer
une nouvelle fois dans les tréfonds d'une jungle urbaine taillée pour
lui. Nul doute qu'il pourra donner libre cours à sa maestria filmique
tout en enrichissant l'univers de The departed de son style assez
inimitable (mais maintes fois imité).
Les fans de Scorsese ont une raison supplémentaire d'être excités comme des puces par The departed
: il constitue pour son réalisateur une sorte de dernière. Non, pas une
dernière à la Besson (la retraite de Marty ferait d'ailleurs beaucoup
plus de malheureux), mais une fin de cycle. Il y a quelques mois,
Scorsese a solennellement déclaré : "The departed sera
mon dernier film hollywoodien." Point à la ligne. À ce jour, aucune
précision supplémentaire n'a été apportée. Scorsese va-t-il s'envoler
définitivement vers d'autres contrées? Ou simplement s'inscrire dans un
désir d'indépendance en fermant sa porte aux studios pour le restant de
sa carrière? La question demeure pour le moment sans réponse.
Pièce
à conviction numéro 3, et pas des moindres : le casting. Ouvrez grands
les yeux, ça va faire mal. Ça sent la testostérone : Matt Damon,
Leonardo DiCaprio, Jack Nicholson, Alec Baldwin, Mark Wahlberg, Martin
Sheen, Ray Winstone... et, tout de même, une recrue féminine nommée
Vera Farmiga. Un casting dense et tonitruant qui montre bien l'ampleur
du projet. Pour sa troisième collaboration consécutive avec Scorsese,
DiCaprio s'est emparé du rôle du "gentil", interprété dans Infernal affairs
par Tony Leung. L'occasion de confirmer qu'il est désormais crédible
dans la peau d'un homme viril, mature et responsable (malgré des
prestations convaincantes, l'étiquette "minet pour lectrices de OK
Podium" n'a toujours pas fini de lui coller à la peau). Face à lui,
l'attraction du film : Matt Damon en méchant. Reprenant le rôle d'Andy
Lau, Damon devrait montrer à ceux qui l'ignorent encore qu'il est un
acteur solide et passionnant capable de tout jouer, à mille lieues de
son pote Ben Affleck. Il a beaucoup été reproché à Scorsese d'avoir
choisi deux types un peu trop fluets et pâlichons pour incarner des
vrais durs à qui on ne la fait pas. Au vu des premières images (un
trailer un peu trop démonstratif mais qui fait franchement saliver), il
semblerait que le film et ses deux acteurs principaux suffisent à
répondre à ces attaques. The departed sent le soufre et
la sueur, pas l'eau de toilette bon marché. Le trailer met également en
évidence l'importance du personnage de Jack Nicholson, très détendu
dans la peau du chef mafieux rigolard et cynique. Un rôle prévu à la
base pour Robert De Niro, dont on va finir par penser qu'il est fâché
avec son pygmalion Scorsese : voilà déjà dix ans (et une demi-douzaine
de longs-métrages) que le duo magique ne s'est pas retrouvé sur grand
écran.
Autant d'ingrédients si alléchants dans le même projet : The departed a vraiment tout pour être un excellent film. Mais peut-être pas le grand film attendu : selon les premiers spectateurs du film, celui-ci serait un peu trop long (sur des scénarios voisins, Infernal affairs dure 1h35, tandis que celui-ci frôle les 2h15) et clairsemé de pointes d'humour pas vraiment bienvenues. Mais rien ni personne ne peut entamer l'envie dévorante qu'on a de voir le nouveau Scorsese. Encore un peu de patience, c'est pour le 29 novembre 2006.