Albert Dupontel à l'assaut d'Écran Large
Fils
illégitime de Terry Gilliam et Terry Jones (si si, c'est possible, il
n'y a qu'à voir le nombre de rôles de femmes joués par les deux hommes
au sein des Monty Python), Albert Dupontel a eu la chance de récupérer
les deux principales qualités de ses géniteurs : un humour dévastateur
et sans concession, et un don pour la réalisation de longs-métrages.
L'accent anglais a par contre été oublié en route, si l'on en croit sa
prestation peu convaincante (sur ce plan seulement) dans Bernie,
film dans lequel il mettait d'ailleurs déjà en scène de manière
déguisée cette quête poignante de parents anglophones. Les deux
ex-Pythons ne tardèrent alors pas à reconnaître le jeune homme et à lui
apporter leur bénédiction en acceptant d'apparaître dans ses deux films
suivants : tout d'abord Jones dans Le créateur (où il interprète Dieu encore un signe qui ne trompe pas), rejoint par Gilliam pour Enfermés dehors.
Mais
avant cet adoubement, il y eut pour Albert une enfance douloureuse, en
raison de la cruelle méprise de ses parents qui voulurent le faire
passer pour breton. Ce qui est en soi une couverture idéale pour un
anglais se transforma en cauchemar à cause du manque de préparation de
la supercherie. Le prénom du jeune garçon et son lieu fictif de
naissance (Saint-Germain-en-Laye, au cur de la région parisienne) lui
valurent bien des brimades et des moqueries au cours des différentes
classes de mer passées au pays des Gawen et des Morganne. Ces mauvais
traitements entraîneront chez lui une haine tenace envers les mangeurs
de kouingamann et buveurs de chouchenn, haine à laquelle il donnera
libre cours dans un second long-métrage à nouveau puissamment
autobiographique, Le créateur. La réplique « Kénavo les bouseux ! »
est devenue culte depuis ce film, au fur et à mesure que le film
compensait son four au box-office par une popularité grandissante sur
le long terme grâce au lobbying des fidèles de la première heure.
Pour
étayer leur discours élogieux, ces derniers purent s'appuyer sur la
renommée de Dupontel acteur et comique. Comme ces fils de cardiologue
qui font médecine juste pour plaire à leurs parents, la progéniture
illégitime mais prodigue suivit la voie humoristique pendant un temps,
avec un réel succès qui plus est : certaines de ses « Sales histoires » (« Le bac de français », « Rambo ») sont devenus des classiques, et son « Sale spectacle »
fit salle comble à l'Olympia pendant plusieurs mois. Mais il n'est pas
de ceux pour qui le triptyque « sketchs sur Canal+ one-man-show sur
scène longs-métrages de pure comédie montés sur son seul nom » est
une fin en soi, et il ne perdit jamais de vue son ambition première, le
Cinéma avec un grand C' ambition qui le fit s'inscrire à l'école du
théâtre de Chaillot dès 1987 et démarrer dans des petits rôles devant
la caméra de Jacques Rivette et de Paul Vecchiali.
Après
que sa courte carrière de comique déjà acerbe lui ait permis
d'atteindre une certaine notoriété au début des années 90, Albert
Dupontel put s'attaquer à des projets plus ambitieux en particulier
les trois longs-métrages dont il est le scénariste et metteur en scène,
cités en haut de cet article pour ceux qui n'ont pas suivi. En marge de
son uvre très personnelle de réalisateur, et de ses collaborations aux
exactions de potes aussi provocateurs que lui (pêle-mêle : Serial lover de James Huth, Le Convoyeur de Nicolas Boukhrief, Irréversible
de Gaspar Noé), il sait aussi se fondre dans l'univers d'autres
metteurs en scène pour des rôles sûrement alimentaires mais toujours
choisis avec soin. La liste de ceux avec qui il a travaillé est
éloquente : Jacques Audiard (Un héros très discret), Bertrand Blier (Les Acteurs), Michel Deville (La Maladie de Sachs), Jean-Pierre Jeunet (Un long dimanche de fiançailles), et dernièrement Danielle Thompson (Fauteuils d'orchestre).
Toujours remarqué, qu'il soit dans une troupe ou en première ligne, il
fascine par sa capacité à apporter une part d'ombre et de déséquilibre
même aux rôles les plus « normaux ». Un apport sans doute effectué à
part égale par l'acteur et par le spectateur, qui garde en permanence
dans un coin de sa tête l'éventualité d'un coup de pelle, d'une
descente de policiers à la mine patibulaire, ou, dans le pire des cas,
d'un assaut usant de tout l'attirail des conquistadors espagnols.
Toujours dans les mauvais coups, jamais dans le consensus mou : si Albert Dupontel devait choisir une devise, celle-ci serait particulièrement appropriée. Alors oui, Terry Gilliam et Terry Jones peuvent définitivement être fiers de leur petit rejeton.