Park Chan-Wook, un cinéaste profondément humain
Sympathy for Mr Park Chan-Wook ?
Regardé comme l'une des figures montantes d'un cinéma en tête de la
tendance, le Coréen Park Chan-wook appose au-dessus de son discours
cinématographique la signature d'un homme engagé et le sceau officiel
d'un agent provocateur. Car l'enfant du Pays du matin calme éveille des
sentiments vifs, partagés entre critiques incendiaires et éloges
enflammées, soufflant le chaud et le froid
Sueurs froides
C'est Vertigo, d'Alfred Hitchcock, qui fait vivre au jeune
Park Chan-wook un fulgurant coup de foudre pour le cinéma. Son coup de
cur cinématographique découvert au début des années 80, à l'aube de
ses 20 ans, l'enracine profondément dans le rêve de réaliser un jour
ses propres films « si je n'essaie pas, je le regretterai profondément
quand je serai dans ma tombe ». L'uvre tragique du maître du suspense
lui procure de grands frissons en faisant écho à son besoin de réponses
fraîches aux questions existentielles sur l'être humain.
Ces
réponses, Park Chan-wook pensait d'abord les trouver dans l'art qui
selon lui « permet aux hommes d'extérioriser les frustrations et la
violence qu'ils retiennent en eux ». À l'époque, l'étudiant bon élève
se destine à une carrière de critique d'art mais c'est en définitive la
philosophie et la littérature qui frayeront son chemin vers la
réflexion sur la condition humaine. Ses maîtres à penser se nomment
Sophocle, Shakespeare, Kafka, Balzac, Zola, Stendhal et Vonnegut, qui
encore aujourd'hui, l'influencent amplement. Côté ciné, après
Hitchcock, il avoue admirer Roman Polanski. Élève d'une université
catholique, il reçoit les bases d'un enseignement chrétien qui l'incite
à s'interroger sur l'existence divine. En outre, il est très tôt marqué
par la séparation de la Corée qu'il juge d'une ironie sans équivoque.
Sa filmographie porte en quelque sorte l'empreinte d'une jeunesse déjà
marquée par un vécu, des influences et des choix très forts.
Une fougue bouillonnante
L'univers
de Park Chan-wook s'apparente à un geyser d'émotions. Alors que
beaucoup lui prêterait un univers intérieur mystérieux, tendancieux,
voire ténébreux, à l'instar de la violence qu'il éjecte dans ses films,
d'autres commencent à percevoir en lui un être de grande valeur, riche
porteur de messages emplis d'humanisme.
Car si Park Chan-wook fait subir à ses images le traitement d'une
violence méticuleusement réfléchie, c'est qu'il fustige bien plus
minutieusement encore l'exécrabilité grandissante de l'humain en perte
de valeurs essentielles.
Sa carrière ne constitue en rien un alignement filmographique évolutif,
mais reflète davantage une mine de construction d'où s'extraient des
matériaux bruts destinés au polissage. Des matériaux fabriqués par la
vie, lissés par le temps, sertis par l'amour.
Des échecs cuisants
Loin du snobisme d'un sophiste mais loin aussi d'éviter toute
l'impéritie et la maladresse d'un novice, Park Chan-wook démarre sur le
chemin du cinéma en se heurtant au mur de l'incompréhension d'un public
qui ne saisit pas ses états d'âme et par conséquent, ne lui témoigne
aucune inclination au dialogue.
Ainsi, en 1992, son premier long-métrage, The Moon is... the sun's dream,
dépeint derrière une façade poétique ironique un drame urbain
pessimiste échafaudé dans les milieux des gangs, de la prostitution et
du crime. Financé grâce à ses petits boulots ouvriers sur les
tournages, ce premier essai porte à l'écran deux frères opposés dont
l'un, gangster, forme avec sa petite amie une sorte d'ersatz à la
coréenne de Bonnie and Clyde.
On pourrait penser qu'à l'instar de ses débuts en bas de l'échelle
de la profession, Park Chan-wook oeuvre pour dénoncer le caractère
pernicieux de l'argent qui mène la valse mais qui peut surtout conduire
à tout et à rien. Car l'apprenti-cinéaste imprègne ses premiers films
d'obscurs malaises sur fond de violence sociale dans un monde où
l'argent pourrit l'homme jusqu'aux tréfonds de son âme.
Malheureusement
pour son premier long-métrage, l'accueil du public est glacial.
Pourtant, c'est précisément durant ces années qu'apparaissent de
nouveaux cinéastes, marquant un renouvellement considérable de la
cinémathèque coréenne, Kim Ki-duk en tête. Et c'est également à ce même
moment que les studios hollywoodiens obtiennent de distribuer leurs
productions en Corée du sud. Park Chan-wook essuie un échec cuisant
dans un contexte ambivalent. Cet échec gèle ses ambitions pendant cinq
ans au cours desquelles il passe de l'autre côté de la caméra en
devenant critique de cinéma. Il publie même un essai sur le sujet,
délicieusement intitulé Discreet charm of watching films et tente l'actorat en apparaissant dans Mascara, de son homologue Lee Han.
Ce n'est qu'en 1997 qu'il réitère l'expérience de la réalisation à coups d'économies durement gérées, avec The Trio,
une comédie touchante dans laquelle une bande de marginaux tente de se
procurer de l'argent par tous les moyens. Aurait-il voulu adoucir les
contours en tentant de resservir son discours social dans des lignes
plus abordables ? Bref, un deuxième long-métrage au contexte social
toujours très prononcé dans lequel l'argent et ses dérives insalubres
squattent encore le devant de la scène. Le film connaît vite le cruel
glissement vers la sortie du box-office. Park Chan-wook doute plus que
jamais de ses capacités à réaliser.
Révélateur peut-être de son état d'esprit (humain avant tout) ou
présage certain des événements futurs, il écrit un nouveau scénario, Vengeance is mine,
et frappe aux portes des maisons de production. Aucune ne se risquera à
mettre en lumière le scénario jugé trop noir. Amer et mélancolique,
Park n'y croit plus.
Un chaleureux espoir
L'exercice du court-métrage semble lui redonner confiance. En 1999, il tourne Judgement, dont l'histoire s'appuie sur un événement d'actualité macabre (l'effondrement d'un grand magasin). Ce court de 26 minutes met en scène dans un humour noir des familles cherchant à s'accaparer les biens de leurs proches décédés. Fidèle à lui-même et à ses préoccupations, Park Chan-wook tire une fois de plus sur les dérives de l'homme, emprisonné dans son égoïsme et aveuglé par le matérialisme. L'homme est une loupe pour l'homme, illustrerait fort bien le cinéaste dans sa démarche entreprise à travers cette oeuvre méconnue, remarquée au Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand.
JSA
ou « J'y Suis Arrivé ! » plaisantent ceux qui ont suivi l'avancée du
coréen. En effet, lorsqu'il adapte à l'écran, à la demande de Myung
Films, le roman DMZ de Park Sang-yun, Park Chan-wook accède enfin à un budget plus conséquent et à une reconnaissance honorable. JSA, Joint Security Area,
sort sur les écrans coréens en l'an 2000 et fait le casse du siècle en
attirant plus de six millions de spectateurs (record jamais battu à ce
jour en Corée). Pour ce petit bijou, Park Chan-wook s'est employé à un
travail d'orfèvre. Il enchaîne les entretiens auprès d'anciens soldats
afin de recréer avec autant de justesse que possible la fraternisation
entre soldats du nord et du sud, toujours dans l'optique de faire de
ses films un miroir grossissant de la vie « il y a beaucoup de rumeurs
qui donnent à penser que de telles amitiés nord-sud ont réellement eu
lieu et continuent d'avoir lieu. En fait, je peux le confirmer ». D'une
maîtrise technique cinglante, JSA prouve le talent du cinéaste
à la réalisation et sa propension à édifier une large palette
d'émotions. Le film récolte de nombreuses récompenses, notamment au
Festival du Film Asiatique de Deauville.
Une trilogie ardente
Il mène de front diverses activités : création d'EGG films, collaboration scénaristique (Taekwon girl ; Jealousy is my middle name) réalisation du douloureux court-métrage Cut (présent dans l'anthologie 3 extrêmes, lire notre test du DVD), qui soulève si bien la question de l'humanité entre individus, puis N.E.P.A.L., court-métrage s'intégrant dans un programme de la Commission des Droits de l'Homme en Corée pour dénoncer la discrimination.
Enfin,
Park Chan-wook réalise le projet qui lui tient à coeur depuis cinq ans,
la création de la trilogie qu'on ne présente presque plus et qui
deviendra culte
En 2002 sort Sympathy for Mr Vengeance.
Le premier volet de la trilogie sur le thème de la vengeance est d'un
pessimisme rare. Nul besoin d'essayer d'y puiser quelque positivisme,
il n'y en a pas. Comme jamais auparavant va s'exprimer la révolution de
l'âme du cinéaste, jusque dans la réalisation, foncièrement différente
des films précédents. Cette descente aux enfers se clôt sur un
dénouement abominable qui non seulement blâme avec véhémence une
société faite d'inégalités mais dresse également un constat sévère des
hommes. Des hommes qui vivent froidement au jour le jour une succession
de tragédies dans le détachement, sans aucune remise en question de ce
qu'ils sont. Park Chan-wook ajouterait sans doute que la pauvreté
n'excuse pas tout, que l'argent ne rachète pas l'âme et, qui a
véritablement le droit de se venger ?
Le vertigineux Old Boy
rehausse le ton, après le succès mitigé du précédent. La réalisation
virtuose et le rendu du film grandiose lui valent le Grand Prix au
Festival de Cannes en 2004. Dans ce second opus, alors que l'on se
focalise sur la quête vengeresse du héros, celle-ci finit par se
retourner contre lui. Park Chan-wook s'attaque cette fois à notre
propre conscience et à la véritable nature de nos actes. En pensant
user du droit de se venger, cette vengeance en réalité nous manipule
déjà. Le final éblouissant mais agressif et traumatisant fait
indubitablement appel à la transcendance de l'esprit, une quintessence
pas facilement abordable par tout auditoire.
Le triptyque s'achève sur une vengeance féminine. Actuellement en salles, Lady Vengeance
donne une vision pessimiste de la rédemption, jouant à travers son
héroïne la carte de la sensibilité et de la profondeur, pour s'achever
sur une belle leçon de l'existence. Cette fois, la vengeance est
indirecte, mais quand bien même, demeure une grave erreur humaine. Le
plus extraordinaire, c'est qu'en allégeant Lady Vengeance de violence, Park Chan-wook montre à quel point celle-ci n'offre aucun salut.
Buisson ardent
En réalité, Park Chan-wook est un cinéaste à réflexion qui nous
invite à ne pas réagir en tant que simple spectateur. Pour lui, il est
temps pour l'homme d'apprendre à se connaître vraiment, au-delà de
toutes nos connaissances acquises. Sans jamais le dévoiler
foncièrement, Park Chan-wook distille une spiritualité lumineuse qui
émane, pour ceux qui savent le voir, de son obsession du corps
physique, travaillant ainsi la matière pour en faire ressortir l'éclat,
« mes personnages sont faits de nerfs, de chair et de sang ». Véritable
révélateur de la nature humaine, un être hideux enduit d'un vernis
rutilant qui n'a rien compris à la vie, il n'en cache pas moins son
amour pour cet être qu'il sait capable du pire mais surtout, du
meilleur. Une vision à l'image de son prochain projet filmique qui
traitera de l'existence de Dieu et du diable.
Gageons que Park Chan-wook, tout auréolé de ses derniers succès, ne
se perdra pas et restera au plus proche de ce qu'il est : un
réalisateur profondément humain
Un homme qui ne fait pas de cinéma.
Retrouvez les tests des trois films de Park Chan-wook déjà disponibles en DVD zone 2 ainsi que la critique cinéma de Lady Vengeance, dans les semaines depuis mercredi, en cliquant sur les visuels ci-dessous.
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Lady Vengeance |
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