Critique : Lady Vengeance

Patrick Antona | 16 novembre 2005
Patrick Antona | 16 novembre 2005

Devenu en l'espace de deux films (plus son sketch dans Trois extrêmes) le réalisateur emblématique de la nouvelle vague du cinéma sud-coréen, Park Chan-Wook se donnait comme ambition de mettre la pierre finale à son triptyque basée sur la vengeance, après les mirifiques Sympathy for Mr. Vengeance et Old boy. Si Lady Vengeance (pourquoi avoir coupé « Sympathy for » de son titre original ?) se situe techniquement, d'emblée, au niveau des deux précédents, réussissant à faire comme ses modèles le grand écart entre un humour noir et cruel et un côté foncièrement violent, propre aux oeuvres venus du « pays du matin calme », Park Chan-Wook essaie de se distinguer de ses précédents opus en évacuant trop rapidement certains de ses thèmes récurrents, pour aboutir au finish à une oeuvre « bâtarde » qui en fait plus un pétard mouillé que le film définitif que nous étions en mesure d'espérer.

Plus que des films basiques censés narrer la croisade vengeresse de personnages mis au pied du mur, que ce soient le père sans pardon de Sympathy for Mr. Vengeance ou le séquestré de Old boy, ces films évitaient l'écueil du genre en proposant une immersion totale de ces héros dans la détresse, tout en se permettant des « twists » scénaristiques qui évitaient l'artifice du récit à rebond. Ces retournements de situation conféraient en effet une lecture à double niveau à l'ensemble du film, tout en prenant ses distances, permettant alors d'éviter le côté réactionnaire de la chose. Dans Lady Vengeance, le cheminement de l'héroïne et le propos énoncé sont radicalement différents.

Débutant sur un postulat analogue à Old boy – ici c'est Lee Geum-Ja (Lee Yeong-ae vue dans JSA de Park Chan-Wook) qui sort de prison après treize ans d'emprisonnement –, accusée d'un meurtre d'enfant commis en réalité par un certain Mr Baek, Lady Vengeance reprend le chemin de ses illustres modèles avec l'élaboration du plan de revanche de l'ex-détenue. Celle-ci ayant réussi à « convertir » ses compagnes de cellule à sa mission, elle va se lancer sur la piste du véritable coupable avec leur aide. Park Chan-Wook prend alors la voie de la peinture de caractères, avec les « flash-backs » inhérents à la vie carcérale ou en dépeignant les difficultés de Lee Geum-Ja tentant de renouer avec sa fille, adoptée par une famille australienne. Mais si cette analyse se révèle parfois fine, et livre quelques unes des meilleures scènes du film, elle finit par tourner prestement à vide, imposant au récit des ruptures de ton qui finissent par délayer son rythme. Et si le metteur en scène renoue avec l'intensité dont il sait faire preuve habituellement en faisant appel à un brusque changement de ton pour le dernier quart du film en faisant [attention spoiler] basculer la croisade personnelle vers la justice collective [fin spoiler], sa conclusion nous laisse indubitablement sur notre faim.

Véritable pierre angulaire de ses précédents longs-métrages et ce depuis JSA, le scénario que Park Chan-Wook a élaboré ici avec Jeong Seo-Gyong n'est pas exempt de défauts. Pourquoi tisser une toile de contacts avec toutes ses anciennes compagnes d'infortune pour qu'au final une seule soit vraiment utile à la résolution de sa vengeance ? De même, si les motivations exposées de l'ineffable Mr Baek (Choi Min-Sik, « héros » de Old boy) permettent de donner un éclairage particulier sur ce qui transforme un quidam en monstre assassin, la révélation trop vite éventée sur son identité amoindrit l'intérêt que l'on pouvait porter sur un personnage trop vite expédié (c'est le cas de le dire !). De même, Lee Yeong-ae dans son interprétation de Lee Geum-Ja avec d'un côté la sensibilité d'une mère retrouvant sa fille et de l'autre la beauté froide que rien n'arrête ne parvient pas convaincre totalement et du coup, on a plus de mal à adhérer à sa cause. D'ailleurs, Park Chan-Wook, avec le virage narratif précité, l'épaule de toute une galerie de seconds rôles qui réussit à inoculer une forme d'ambiguïté par trop absente jusqu'ici dans l'histoire. En donnant tout le relief nécessaire permettant de faire passer une scène en elle-même éprouvante, ces personnages supplémentaires, qui sont tous des habitués de la filmographie de Park Chan-Wook, donneront l'impression à l'amateur d'assister en fait à un « happening » concocté par le réalisateur, alors que le spectateur averti y sentira un parfum d'Agatha Christie assez prononcé.

Film autoréférentiel au demeurant dans lequel Park Chan-Wook se cite assez souvent, Lady Vengeance n'est assurément pas l'œuvre sur lequel le fanboy irréductible fantasmait depuis des mois, s'attendant peut-être à une explosion des codes à la Kill Bill. Véritable chemin de pénitence pour une héroïne qui essaie de se reconstruire plutôt que réflexion sur le thème de la justice, Lady Vengeance élude malheureusement son sujet d'accroche, offrant une oeuvre qui évite le côté « fascisant » inhérent à son propos par une licence poétique que le réalisateur sait manier avec habileté (illustrée par un fascinant générique) mais qui en fin de compte relève plus de l'étude de moeurs que du véritable coup de poing que l'on attendait.

Résumé

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.

Lecteurs

(0.0)

Votre note ?

commentaires
Aucun commentaire.
votre commentaire