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Entre Terminator et Wall-E : Moon, le meilleur film de SF pour se taper une crise existentielle

Par Axelle Vacher
1 avril 2024
MAJ : 7 mai 2025
Moon : abo à renommer

Film de SF à (tout) petit budget, le Moon de Duncan Jones use de poncifs pourtant bien éculés par le genre, et propose un récit prompt à la crise existentielle.

Si cela semble évident, il semblerait qu'une piqure de rappel soit de mise : non, Terminator ne se termine pas nécessairement bien pour l'espèce humaine. À vrai dire, nombreux sont les titres de science-fiction à raconter plus ou moins subtilement que l'Intelligence artificielle représente une sérieuse menace pour l'Homme, et que ce dernier ferait bien de ne pas trop jouer avec le feu tant qu'il en est encore temps.

Pour son tout premier crédit de réalisateur, Duncan Jones semble toutefois avoir tenu à jouer la carte de la nuance. Que l'on ne s'y méprenne pas : que son Moon n'a rien particulièrement optimiste (après tout, il n'y a guère que Pixar pour nous pondre Wall-E). En prenant toutefois le parti de subvertir la figure de l'IA maléfique employée par d'autres classiques tels que Matrix ou Ex Machina, le cinéaste interroge le spectateur sur son rapport à la machine, et surtout son rapport à lui-même.

Attention, spoilers.

  • Et puisque l'on parle de Skynet, et s'il était temps de réhabiliter Terminator : Renaissance ?

l'homme dans la lune

D'un point de vue strictement narratif, Moon se répond d'un synopsis plutôt accessible : après plusieurs années passées à rechercher une solution miracle à la crise énergétique terrestre, l'entreprise Lunar Industries est finalement parvenue à découvrir la ressource-clef tant attendue. Son extraction n'étant possible qu'à même la surface de la lune, la société s'empresse d'y construire une station spatiale à la gestion quasi autonome. Aussi, nul besoin d'y envoyer quinze-mille astronautes tous les deux mois pour en assurer la maintenance. En lieu et place d’une main d’oeuvre couteuse, l’emploi d’un seul et unique employé – lequel officie à temps plein au sein de la base pour une durée de trois ans – suffit à assurer le bon fonctionnement de toute la chaîne de  production. Le spectateur part ainsi à la rencontre de Sam Bell (qu'interprète très joliment Sam Rockwell), pauvre bougre esseulé du côté obscur de la lune.

Moon : photo, Sam RockwellLe meilleur ami de l'Homme 2.0

Ainsi, Moon semble initialement s'inscrire dans la lignée de récits désireux d'interroger la notion de solitude dans un monde régi par le numérique. En 2013, Spike Jonze et son petit bijou Her ont notamment perpétué cette étude en explorant la relation qu'entretenaient le personnage campé par Joaquin Phoenix et l'intelligence artificielle Samantha (qu'a doublé Scarlet Johansson). Quelques années plus tard, un Brad Pitt en déréliction emportait lui aussi la question sur la lune avec le très clivant Ad Astra. Mais si ces enjeux font effectivement partie intégrante du film de Duncan Jones, ce n'est point là que s'y trouve l'essence.

Moon : photo, Sam Rockwell "All my myself, don't wanna be, ALL BY MYSELF...ANYMOOORE"

En distinguant aussi ostensiblement le mécanique de l'organique, le scénario de Nathan Parker propose à son public une prémisse confortable, où l'astronaute en mission remplit diligemment ses devoirs à l'aide de son robot à tout faire. "Le monde est bâti sur une frontière ; et cette frontière délimite les espèces", affirmait avec aplomb le lieutenant Joshi (Robin Wright) dans le Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve. Un bref coup d'oeil à Metropolis et autres pierres angulaires du genre suffit toutefois à comprendre que ce postulat n'existe que pour être bouleversé. Aussi, Moon ne perd pas de temps à retourner sa veste en dévoilant plus ou moins ex abrupto que le brave Sam... n'est pas vraiment Sam. Après que celui-ci ait été victime d'un accident à l'occasion d'une intervention technique, le premier acte du film se conclut en dévoilant que le personnage est en réalité un clone (ce qui, en soi, soulève déjà son lot de réflexions philosophico-existentialistes), et que son substitut est d'ores et déjà prêt à le remplacer.

Moon : photo De l'art de prendre soin de "soi"

the clone wars

Nul besoin d'être fin connaisseur en la matière pour savoir que, comme l'a très bien décrit le critique littéraire Denis Guiot, "la science-fiction n'a pas attendu Dolly pour parler du clonage et s'en inquiéter". Outre les piliers du genre tels que Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley, légion sont les récits à s'être penchés sur la question depuis. Si les exemples ne manquent pas, on peut notamment citer Le Prestige (l'un des meilleurs films de Christopher Nolan, inutile de chercher contre-argumenter), The Double de Richard Ayoade (dont le récit est tiré de la nouvelle homonyme de Fyodor Dostoevsky), Oblivion, Cloud Atlas, ou bien entendu, la franchise Blade Runner impulsée par Philip K. Dick en 1968. La figure du clone appartient donc à ces poncifs que le genre a longuement éculés tout en y projetant pléthore de dilemmes éthiques, moraux, politiques, philosophiques et plus encore. Mais loin de chercher à battre les mêmes cartes ad nauseam, Duncan Jones s'en sert davantage comme prétexte que de finalité. . Moon : photo, Sam RockwellGrounding Déterminer lequel des deux Sam est l’original est une quête futile que le scénario évince promptement. Alors puisque Moon ne fait pas grand cas de la réponse, Jones et Parker s'abstiennent tout simplement de poser la question. Le pourquoi du comment est lui aussi rapidement élucidé par Sam deuxième (douzième ?) du nom : "C’est une entreprise. Ils ont des investisseurs, des actionnaires. Qu’est-ce qui revient le moins cher selon toi ? Former du nouveau personnel, ou avoir des pièces de rechange déjà sur place ? On est sur la face cachée de la Lune […]. Ils s’en branlent de nous. Ils se marrent et encaissent leurs chèques". Ce qui titille réellement Sam #2, c'est plutôt de savoir combien peuvent-ils bien être à se partager le même bateau. Et où ces compagnons d'infortune sont-ils stockés en attendant que vienne leur heure ? Si le troisième acte s’acquitte de cette interrogation (beaucoup, au sous-sol), c’est un tout autre débat que le film semble imposer en rétrospective. En effet, pourquoi recourir à ces clones et leur implanter les souvenirs du "véritable" Sam Bell – lequel coule des jours paisibles sur Terre – si le but est de continuer à les considérer comme de vulgaires machines ? Moon : photo, Sam Rockwell "I'm too hot (hot damn), call the police and the fireman" Le problème n'est donc pas tant d'établir selon quelle mesure "Sam" est humain ou non (ou, plus existentiel encore : qu'est-ce que l'humain ?) que d'interroger la démarche entreprise par Lunar Industries. L'Histoire s'acquitte aisément d'en prouver le constat, mais l'Homme n'est pas exactement l'espèce la plus docile qui soit. Imposer une date de péremption aux clones tout en leur faisant miroiter l'idée d'un "chez eux" à retrouver semble ainsi être le moyen le plus sûr de non seulement garantir leur obéissance, mais surtout, d’enrayer toute dérive potentielle. En effet, nombreux sont les médias à figurer les tenants et aboutissants d'un éventuel soulèvement de l'intelligence artificielle à l'encontre de son créateur. Ava (Ex Machina), Roy Batty (Blade Runner), l'Agent Smith (Matrix), Ultron (Avengers : l'Ère d'Ultron), l'indéboulonnable Skynet (Terminator) et consorts ne sont qu'une poignée de cas parmi tant d'autres. Sam a beau être plus pondéré que ses camarades eugénistes, le personnage ne cherchera pas moins à se faire justice avant la fin du récit.

TerminatorClairement, l'idée du siècle

le meilleur des mondes

Le fait est que le film ne figure aucun "humain" à proprement parler. Pourtant, le cinéaste insiste lourdement : l’absence d’humains n’implique pas l’absence d’humanité, ce que GERTY ne manque pas d'illustrer. Initialement présenté au spectateur comme l'archétype de la machine (soit, une boîte de conserve à laquelle déléguer sans trop d'états d'âme les tâches ingrates du quotidien), l'appareil manifeste bien rapidement une ambiguïté singulière. Le clin d’oeil est difficile à ne pas relever, mais au cas où certains auraient manqué le mémo, le robot n'est pas sans rappeler une autre intelligence artificielle bien connue du 7e Art... à cela près que GERTY semble avoir été pensé comme le contrepoint de son homologue métallique. Moon : photo Classé 7e intelligence artificielle la plus cool du cinéma par IGN en 2014 Supercalculateur conçu pour assurer les fonctions du Discovery One de 2001 : l'odyssée de l'espace, Hal 9000 a pour seule fonction de garantir la mission qui lui est assignée. Aussi, lorsque Dave et Franck émettent l'hypothèse de le débrancher pour assurer la survie de l'équipage, Hal leur emboîte le pas, décimant gaillardement chaque individu à bord.

Si Hal et GERTY partagent effectivement quelques attributs visuels, ce dernier a néanmoins été programmé en soutien aux Sam. Certes, le robot omet initialement d'informer le personnage quant à sa véritable nature ; mais ce silence ne serait-il pas finalement la preuve que le robot se plie diligemment à la tâche ? Par souci de clarté, formulons cela autrement : et si demain, votre fidèle Macbook Pro vous apprenait entre deux mails que vous n'êtes qu'un clone condamné à ne jamais sortir de votre open space ? Merci, mais non merci.

Moon : photo, Sam Rockwell Comme un lundi

Savons-nous réellement à quand remontent les premières traces de civilisation ? Les débats que sous-tendent la question ont beau être perpétuellement disputés, l'anthropologue Margaret Mead argue pour sa part avoir résolu ce problème. À en croire son étude, inutile de chercher pareille preuve aux creux d'anciens pots en terre cuite, mais à la cicatrisation d'un fémur fracturé. Comme le rapporte Le média du CDJ : « Dans le règne animal, si tu te casses la jambe, tu meurs. [...] Aucun animal ne survit à une jambe cassée assez longtemps pour que l’os guérisse. Un fémur cassé qui est guéri est la preuve que quelqu’un a pris le temps d’être avec celui qui est tombé, a bandé sa blessure, l’a emmené dans un endroit sûr et l’a aidé à se remettre [...]. Aider quelqu’un d’autre dans les difficultés est le point où la civilisation commence ».

Moon : photo, Sam Rockwell Il y a peut-être plus que le fémur qui part en vrille, cela dit

D'après plusieurs spécialistes, cette anecdote et ses sources sont à prendre avec des pincettes ; néanmoins, les implications soulevées semblent particulièrement appropriées à évaluer la philanthropie que prête Jones à GERTY. La machine assure aux clones une compagnie bienvenue, pourvoit à leurs besoins physiques et mentaux, et plus simplement, leur témoigne davantage d'humanité que ses constructeurs à Lunar Industries. À la fin du récit, GERTY suggère ainsi à Sam #2 de couvrir les traces de son évasion en effaçant le contenu de son disque dur : « Je suis là pour veiller sur toi Sam. Je veux t'aider [...]. J'espère que la vie sur Terre sera comme dans tes souvenirs  ». Allez-y, allez-y. Sortez les mouchoirs.

Moon : photo, Sam Rockwell Ciao

User d’intelligences dites "artificielles" pour mieux questionner l’humain n’a rien de bien révolutionnaire. En refusant cependant d’opposer mécanismes et organismes, le film prolonge un débat vieux comme Hérode : l’humanité est-elle conditionnelle de l’humain ? Il serait amplement possible de citer Lacan, Nietzsche, Descartes, voire même Kant pour mieux prolonger les réflexions impulsées par Moon. Mais puisqu'il est inutile de chercher à se faire du mal comme ça, autant se rapatrier sur les valeurs sûres, et convoquer tout aussi sage pokémon légendaire Mewtwo : « Ce ne sont pas les circonstances de la naissance qui importent, mais c'est ce que l'on fait du don de la vie qui détermine qui on est ».

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Angie JetCity_84994

Un de mes films préférés, avec un Sam Rockwell parfait comme toujours.
Mais il peut y avoir plusieurs interprétations.
Des clones, oui.
Mais pourquoi pas un homme bouffé par la solitude, et victime d’hallucinations qui lui font voir ses doubles partout.
Doubles inventés qui, au final, lui permettraient de quitter le navire sans trop de remords.
Je me pose toujours la question en revoyant le film, et j’aime ces deux idées.

LIKE

Très bon film de SF. Il m’a fait penser à l’univers de l’écrivain Issac ASIMOV.
Petit budget et pourtant l’ambiance est réussie. Ceux qui veulent un film comme I-Robot avec de l’action, passez votre chemin. Ici c’est de la bonne SF !

Au passage I-Robot qui est censé reprendre Les Robots d’Issac Asimov, n’a rien avoir avec les bouquins, une honte de sortir un navet pareil. Ne rend pas hommage à ce grand écrivain (les 3 lois de la robotique, c’est de lui) Pas de robot-psychologue (Susan Calvin) Et oui une psychologue pour les robots. Pour ceux qui ne connaissent pas Issac Asimov, foncer (j’ai commencé par ‘un défilé de robots », un recueil de nouvelles mais il y en a un autre avant : les robots que je n’ai pas encore lu d’ailleurs. Pour les enfants qui n’aiment pas trop lire, un recueil de nouvelles c’est parfait

Vomito

Superbe film d’anticipation, découvert par hasard.
La BO est top.

Ankoine

Découvert à sa sortie (en DTV chez nous…) et j’avais été bien accroché! Et il faut parler de la musique de Clint Mansell, une petite pépite!
Bon, du coup, je lance un pavé dans la mare: le synopsis initial du prochain Bong Joon Ho/Robert Pattinson me fait beaucoup penser à Moon meme si je m’attend à quelque chose de différent, hein…

Faurefrc

Oui très bon film… en revanche je n’ai pas vu sa suite (ou tout du moins le film censé se dérouler dans le même univers) également réalisé par Duncan Jones et qui s’appelle Mute.
Les critiques assez désastreuses m’avaient vacciné à l’époque

Eomerkor

A priori petit film indé de SF qui est assez malin. Et rehaussé par un Sam Rockwell qu’on aimerai voir plus souvent. Certe ce n’est pas un équivalent du Solaris de Tarkovski mais on ne décroche pas et on a bien notre dose de questionnement et de reflexion comme avec un épisode de la quatrième dimension. Le genre de film que me fesait aller au ciné.

rientintinchti2

Sam Rockwell est un acteur fabuleux. Moon est très bien également.
Dommage qu’on ne le voie pas dans de meilleurs film. Il est l’un de mes acteurs préférés malgré pas mal de films pas terribles. Il a toujours été impec

Andarioch1

Je me suis calé devant avec un a priori très positif ( le fils de David Bowie, pensez donc…) et je n’ai pas été déçu.
Peut-être pas un grand film mais de la bonne SF intelligente. Que demander de plus

Ozymandias

Bon souvenir de ce film, merci pour l’article !

Kyle Reese

Vraiment excellent ce film. Sam Rockwell est parfait. C..est devenu un classique de la SF pour moi.