Donjons & Dragons : l'incroyable histoire derrière l'hallucinant nanar

Matthias Mertz | 15 avril 2023
Matthias Mertz | 15 avril 2023

La sortie de l'amusant Donjons & Dragons : l'Honneur des voleurs rappelle l'existence du nanar cosmique Donjons & Dragons, qui a été un méga-four et un traumatisme pour la planète. Retour sur ce cauchemar, et son étrange production.

Jeremy Irons qui cabotine en sorcier Profion dans une église tchèque, Damodar l’homme de main avec du gloss, une partouze de dragons moches en CGI : on parle bel et bien du film Donjons & Dragons, celui qui devait servir de dauphin au Seigneur des anneaux et qui a fini par mettre en danger toute la fantasy au début des années 2000.

La possible renaissance de la licence avec Donjons & Dragons: L'Honneur des voleurs en 2023, mené par Chris Pine et Michelle Rodriguez,  va t-elle effacer cette horreur ? Probablement pas. D'autant que le précédent film a donné deux suites (en direct-to-video, s'il vous plaît), La Puissance suprême et Le livre des ténèbres, en 2005 et 2012.

 

 

Pour rappel, le film raconte la quête de deux voleurs, Snails et Ridley, en compagnie d'une magicienne novice, Marina, qui doivent permettre à l'empire d'Izmer d'éviter de sombrer dans le chaos. Le terrible Profion, accompagné de son homme de main Damodar souhaite se servir du pouvoir des dragons pour obtenir le sceptre de l'impératrice Savina et s'emparer de son empire.

Et parce qu'on aime bien se souvenir de cette fois où on a bu l'eau des toilettes pendant près de dix ans, on a décidé de revenir en détail sur l’histoire très chaotique de la production de ce naufrage. 

 

 

 

Solomon, alpha & oméga

L’intérêt pour une adaptation sur grand écran de Donjons & Dragons (qu'on raccourcira par la suite en D&D) ne date pas des années 2000. Avant la sortie de la série animée éponyme en 1983, le créateur du jeu, Gary Gygax, avait déjà pris attache avec de nombreux studios, sans parvenir à trouver un arrangement.

En 1990, un jeune canadien de 19 ans, Courtney Solomon, se demande pourquoi son jeu favori n’a pas encore reçu d’adaptation au cinéma. Il décide d’appeler TSR, société publiant le jeu et détenant ses droits, et prétexte un devoir en sciences économiques afin de glaner quelques informations. Il parvient à rester en contact avec l’entreprise, et apprend trois mois plus tard que les droits pour une adaptation sur grand écran seraient disponibles. Une réunion plus tard, les cadres hilares de TSR dissuadent le jeune Canadien de se lancer dans l’aventure.

 

Donjons & Dragons : photo, Jeremy Irons, Bruce PayneNous non plus, on n’a jamais compris le truc du gloss

 

Il va pourtant contacter un avocat, se servir de toutes ses économies pour rédiger un contrat, et une première mouture de proposition d'une trentaine de pages, dans laquelle il détaille comment il compte fidèlement respecter l'héritage du jeu et le traduire dans un long-métrage.

Une fois cette ébauche de scénario achevée et les droits du jeu obtenus, Corey (une version raccourcie du nom Courtney, préférée par ce dernier et que nous utiliserons par la suite) Solomon fait ses bagages et quitte le Canada pour un voyage de 18 mois, au cours duquel il compte bien trouver des investisseurs. Il se rend rapidement compte qu'il a écrit "un film à 100 millions de dollars", selon ses propres mots, dont il a les droits pour une durée limitée. C'est le début d'un compte à rebours : s'il ne commence pas le tournage à temps, il les perdra.

Dans cette tâche, il trouve assistance auprès d'Allan Zeman, un businessman hong-kongais touche-à-tout. Introduit à Corey Solomon quelques années plus tôt, Zeman sent immédiatement qu'il y a un gros coup à jouer. Ils fondent ensemble Sweetpea Entertainment, une société de production dont l'unique but est de produire le film.

 

Donjons & Dragons : photoCelui-là, c'est pour le plaisir des yeux

 

Wizards, plutôt procès que profion

Ce film à 100 millions de dollars (dont personne ne sait de quelle poche ils sortiront) doit maintenant trouver un réalisateur. Soit une tâche pas si éprouvante compte tenu de l'attractivité de la franchise D&D. Le hic, c'est que lorsque Corey Solomon a obtenu les droits du jeu pour un film, il a accepté un droit de regard de TSR sur le scénario, mais aussi sur le choix du réalisateur. Sans l'accord de l'entreprise, il ne peut valider ni l'un ni l'autre. Il va donc devoir conjuguer avec Lorraine Williams, la manager générale de TSR de l'époque, qui a remplacé Gary Gygax.

Corey Solomon va pourtant amener du beau monde à Lorraine Williams. Un nom logique pour le début des années 90 : Renny Harlin, révélé par Le Cauchemar de Freddy et 58 minutes pour vivre, qui a le vent en poupe puisqu'il vient de filmer Stallone dans Cliffhanger. Des noms complètement dingues, peu importe l'époque : Francis Ford Coppola et James Cameron, tous reçus chez TSR... et rejetés.

Voilà le récit de la rencontre entre James Cameron et Lorraine Williams que fera Corey Solomon en 2006 auprès de Devin Faraci pour le site Chud : "J'ai eu, vous savez, l'accord de James Cameron en 1993 pour faire le film. Elle est assise dans le restaurant de l'hôtel Bel Air avec Cameron, elle croise les bras, le regarde et dit (on est en 1993) 'Quelles sont vos qualifications pour réaliser le film ?' J'étais là à me dire 'Okay, Jim, s'il te plaît, ne me tue pas maintenant. Je sais que c'est ton tempérament, mais ne me tue pas. Ok.'"

 

Donjons & Dragons : photoJeremy Irons, en méchant over the top

 

En 1997, le producteur Joel Silver (Matrix, 58 minutes pour vivre) embarque dans le navire. Il convainc Corey Solomon de faire de D&D une série télévisée pour minimiser les risques. Malheureusement, l'accord passé avec TSR ne prévoyait pas que les droits du jeu servent sur le petit écran. Corey Solomon doit alors retourner négocier avec TSR pour une extension de ces derniers. Ces derniers ont malheureusement été vendus à Wizards of the Coast (la société qui a fait fortune avec Magic : The Gathering), qui s'oppose fermement à leur utilisation pour une série.

Corey Solomon est alors forcé de faire un film, sans droit de regard sur son scénario (malgré une réécriture complète, il sera forcé de partir d'une mouture antérieure et moins complète), en assurant par défaut la réalisation. Il a alors 3,5 millions de dollars seulement, et se prépare à tourner un direct-to-video sans grande envergure, afin d'éviter un procès, après environ huit ans à batailler pour donner vie à son jeu de rôle favori, une journée pas facile donc. En puisant dans ses propres deniers, ceux de sa famille et d'Allan Zeman, il parvient à accumuler entre 30 et 35 millions de dollars, et entame un tournage à Prague afin d'être le plus économe possible.

 

Donjons & Dragons : photoWizards, hurlant à Solomon qu'ils allaient le poursuivre

 

Un nouvel espoir

L'espoir fait vivre et l'histoire est remplie de bons films nés dans la douleur, mais Donjons & Dragons n'en fait pas partie, même si le choix des acteurs et actrices avait à l'époque intrigué. La jeune Thora Birch (qui sortait triomphante d'American Beauty) incarnait ainsi la monolithique, mais bienveillante, impératrice Savina, tandis que l'oscarisé Jeremy Irons était Profion, l'antagoniste qui en fait des caisses. À l'époque, l'acteur a justifié son arrivée au casting par son envie de sortir de sa zone de confort et par la présence de Joel Silver qui l'avait convaincu. Il est toutefois revenu avec un récit différent auprès du Guardian en 2010 : "Vous rigolez ? Je venais d'acheter un château, je devais le payer d'une façon ou d'une autre".

 

Donjons & Dragons : photo, Thora BirchThora Birch, un jeu absolument monolithique

 

On retrouve également Richard O'Brien (Rocky Horror Picture Show) ou Tom Baker (Doctor Who) parmi les comédiens les plus connus. Le groupe de protagonistes est quant à lui interprété par Zoe McLellan, Marlon Wayans (qui tournait dans Requiem for a Dream en même temps, deux salles, deux ambiances) et Justin Whalin. 

Ce casting plutôt créatif n'était d'ailleurs pas la seule raison de faire confiance au film. La bande-son est réalisée par Justin Burnett, qui a travaillé au sein du studio d'Hans Zimmer, dont il est finalement devenu l'assistant. À la demande de Corey Solomon, il devait produire une bande-son ressemblant aux travaux de John Williams, en particulier ceux qu'il livrera pour Indiana Jones et Star Wars.

 

Donjons & Dragons : photo, Jeremy IronsD&D ressemble autant à Star Wars que Jeremy Irons à François Fillon

 

Cette volonté se prolonge avec la présence de l'excellent George Gibbs, qui avait planché sur les effets visuels et spéciaux de Qui veut la peau de Roger Rabbit ou encore des deuxièmes et troisièmes volets des aventures d'Indiana Jones. Il aura à sa disposition les infrastructures locales de la République tchèque pour faire de la magie. L'antre de Profion est par exemple une église prêtée pour l'occasion.

À ce moment, D&D jouit d'une certaine excitation, son site de news non officiel a enregistré 1,5 million de visites en moins d'un an, et la présence en convention des acteurs et de son réalisateur rassure les fans. Signe de bonne santé du projet : la société de production New Line Cinema s'offre pour 5 millions de dollars ses droits de distribution domestique, mais aussi la primeur pour réaliser une suite et un prequel.

Pour tout le monde, c'est donc potentiellement un énorme coup, et le début d'une grande saga. Il s'agit pour la société de préparer la sortie du Seigneur des Anneaux, qui interviendra un an plus tard. Le premier film de la trilogie, La Communauté de l'anneau est en production depuis 1997, et 2001 marque l'arrivée d'une première bande-annonce. C'est l'heure d'appâter les fans de fantasy et de faire découvrir le genre aux autres.

 

Donjons & Dragons : photo, Justin WhalinNew Line Cinema, pensant trouver la parfaite introduction pour le Seigneur des Anneaux

 

échec (très) critique

Alors, ce film dans les cartons depuis dix ans, mis en scène par un réalisateur novice, mais passionné, il s'en est sorti comment ? Déjà, il est sorti à la toute fin de l'année 2000 (le 27 décembre en France, contre le 8 au pays de l'oncle Sam), contre l'avis de ses producteurs, qui souhaitaient le faire sortir au printemps ou durant l'été 2001. Warner Bros, dont New Line Cinema est une filiale, s'y est opposé, car il aurait alors empiété sur Le Seigneur des anneaux dont la bande-annonce sortait justement durant le printemps.

Pour rappel, notre bébé resté en gestation dix ans durant a eu un budget final de 45 millions de dollars.  Aux États-Unis, le film récolte durant son démarrage 7,2 millions de dollars, et 15,3 en tout. Il glanera 18,5 autres millions à l'international. Bilan de sa carrière au box-office : 34 millions de recettes, une somme bien inférieure à son budget. En France, près de 745 000 âmes sont allées se perdre devant cette horreur. Les spectateurs ont largement boudé ce repompage ce qui a souvent été qualifié par ces derniers de Star Wars en plus cheap, et se sont précipités devant Incassables à la place, qui sortait durant la même semaine, et qui enregistre en France plus de 3,4 millions d'entrées (l'époque de notre dieu Shyamalan).

 

Donjons & Dragons : photo, Justin WhalinTélérama et Le Journal du Dimanche face au film en l'an 2000

 

L'une des critiques majeures (outre le manque d'originalité du scénario et le casting très éclectique où tout le monde semble avoir été laissé en roue libre) portées au film est la qualité ses effets spéciaux. En effet, l'éparpillement des équipes entre l'Allemagne, la République tchèque et l'Angleterre a entrainé de nombreux quiproquos et impasses créatives, faute de coordination. Il en ressort, faute d'outils adaptés (certains logiciels d'imagerie ont été développés spécialement pour le film), que de nombreux effets spéciaux sont particulièrement laids.

Si certains irréductibles ont apprécié et ont parlé d'une "fabuleuse saga médiévale" ou d'un film bourré de "dragons effrayants" (désolé Le Journal du Dimanche et Télérama, mais on ne pouvait pas laisser passer ça), D&D s'est fait majoritairement bien cartonner à sa sortie. 3,1/10 sur Senscritique, 1,2/5 sur Allociné, et il ne récolte pas plus d'amour auprès des spectateurs que de la presse, qui l'honore d'un magnifique 14% sur Metacritic avec la mention "Aversion écrasante". La classe.

 

Donjons & Dragons : photoC'est le plan le moins moche en imagerie numérique

 

Et Corey Solomon ? S'il est monnaie courante pour les réalisateurs qui ont accouché d'un monstre de noyer le poisson, le réalisateur canadien a au contraire souhaité rendre la monnaie de leur pièce à quelques-uns de ses partenaires commerciaux (et évidemment, on adore les règlements de compte).

De Gary Gygax, le cocréateur de D&D et grand manitou à la tête de TSR, il dira qu'il était dans un "coke binge", ou une frénésie de cocaïne. C'est la raison qui l'aurait poussé à laisser sa place à l'incompétente (toujours selon lui) Lorraine Williams, que Corey Solomon qualifie de "trust fund baby", et dont il est très content qu'elle fût rapidement virée.

Corey Solomon n'est toutefois pas clair sur le rôle qu'il aurait souhaité endosser au sein de l'aventure D&D. Il explique parfois avoir désiré réaliser le film malgré son inexpérience (comme dans le Cinefantastique de décembre 2000), tandis qu'il a depuis changé sa version en expliquant n'avoir jamais voulu endosser la réalisation. Il en a toutefois produit la suite avec Sweetpea, Donjons & Dragons : La puissance suprême, qui s'est avéré, comme on l'expliquait plus haut, être un obscur direct-to-video qui ne mérite pas de sortir de son donjon.

 

Donjons & Dragons : photo, Zoe McLellanArrière, les direct-to-video, je ne finirai pas comme vous !

 

Corey Solomon toutefois est retourné à la réalisation pour deux films, American Haunting en 2005 et Getaway en 2013, qui ont tous deux des budgets inférieurs à 20 millions de dollars. Ils ont au moins le mérite d'avoir permis au réalisateur lors de leur promotion de se livrer sans pincettes sur son aventure désastreuse dans un piège plus dangereux que n'importe quel donjon : la production de ce film.

S'il y a un multivers où Donjons & Dragons est un film de la trempe de ses modèles, d'Indiana Jones à Star Wars, et on se rappelle de lui avec une larme à l'oeil, comme notre premier Zemeckis. Il en existe également sans doute un où le film a ralenti l'appétit du grand public et des studios pour le genre de la fantasy, et où il a largement desservi la sortie du Seigneur des Anneaux.

Dans le nôtre, il demeure un excellent nanar à propos duquel il est difficile de ne pas être bienveillant, et dont la production si chaotique est une histoire bien plus savoureuse que la plupart des soirées jeux de rôle.

 

Tout savoir sur Donjons & Dragons

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commentaires
RiffRaff
18/04/2023 à 11:29

Vu à l'époque et "apprécié". Entendons nous bien, c'était mauvais, mais étant rôliste et plutôt amateur de nanar, j'ai aimé la naïveté de l'ensemble qui rappelle les scénars un peu pétés créés à 14 ans par des MJs convaincus que décalquer le dernier blockbuster en date fera une aventure épique.

Je me suis même aventuré pour voir le deuxième film, qui a eu droit à une sortie salle en France, qui est un nanar assez incroyable qui semble avoir été écrit avec un vieux manuel des monstres et une table de rencontres aléatoires.

Axlmzo
16/04/2023 à 10:02

La puissance suprême est bien sortie en salles

Hasgarn
16/04/2023 à 00:07

J’ai fait parti des quelques âmes (damnées) a s’être rendu en salle pour voir cet… essai cinématographique.
A titre perso, le moment que j’ai retenu de ce film est [SPOILER MAIS COMME CEST NAZE, VOUS NE PRENEZ PAS DE GRANDS RISQUES] la mort de Marion Wayans filmée à arc plus de punch que le reste du film. Y’a un plan qui a retenue mon attention et dont je me souviens encore aujourd’hui. [FIN DU SPOIL DONT ON N’A RIEN À CIRER]

C’est assez peu…
Avec ma cousine, on en est ressorti plutôt mal à l’aise. En espérant que Le Seigneur des Anneaux aurait une meilleure tenue :o}

RobinDesBois
15/04/2023 à 17:12

Je me souviens de l'affiche que je voyais placardé partout sur les espaces publicitaires. Ca me tentait pas du tout et là je viens de voir la bande annonce et ça m'a complètement donné envie de le visionner. Ca a l'air d'être un nanard très sympathique, typique des années 90.

Sanchez
18/07/2022 à 00:49

Le méchant s’appelle Profion … on peut s’arrêter là . Au revoir

Kiel
17/07/2022 à 00:37

Pour moi la pire victime de ce film c'est le mec qui a dû jouer Damotar avec son gloss ble et le mec qui joue le plus mal c'est le plus grand acteur. Jeremy iron caricature tellement son jeu qu'il rend le jeu des autres non crédible.

Ankytos
16/07/2022 à 13:10

Vu. J'avais donc mal interprété. Merci pour la réponse et pour l'article.

Matthias Mertz
16/07/2022 à 10:32

@Ankytos : Aucun mépris vis-à-vis du JdR ici, je suis aussi un pratiquant et passionné ! J'ai voulu mettre en avant que l'histoire très chaotique de la production du film est si savoureuse et pleine de rebondissements, qu'ironiquement, c'est un jeu de rôle à sa façon (qui était à un dialogue près complètement différente et avec James Cameron aux commandes, par exemple) en encore plus succulent.

Hugo Flamingo
15/07/2022 à 21:21

Superbe article. Merci

Maxibestof
15/07/2022 à 14:18

Le deuxième Donjon et Dragons est bien sorti au cinéma par contre, ce n'est pas un DTV (malgré les apparences !). En tout cas il est sorti au ciné en France :-)

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