Jurassic World 3, Star Wars 9 : pourquoi c'est le même film, et le même gros problème

Geoffrey Crété | 10 juin 2023 - MAJ : 12/06/2023 10:17
Geoffrey Crété | 10 juin 2023 - MAJ : 12/06/2023 10:17

Jurassic World 3, Star Wars 9 : même combat de la nostalgie, du fan service, et de la déception. Et si c'était des symptômes de la même maladie ?

Colin Trevorrow devait réaliser Star Wars : L'Ascension de Skywalker avant d'être gentiment viré par Disney. À la place, il a commis Jurassic World : Le Monde d'après. Et c'est presque magique puisque Jurassic World 3 et Star Wars 9 fonctionnent merveilleusement bien en miroir.

(Fausse) conclusion de trilogies, réunion de personnages, recyclage intempestif et exercice de fan service de l'extrême : les deux blockbusters issus de studios rivaux (Disney pour Star Wars, Universal pour Jurassic) sont finalement les deux facettes de la même pièce, que le public demande et/ou subit depuis maintenant quelque temps.

Décryptage de ce cynisme industriel qui donne envie de rire et pleurer.

 

 

trilogie-survie

Ce n'est peut-être qu'un hasard, mais il est parfait : Jurassic World et Star Wars : Le Réveil de la Force sont tous les deux sortis en 2015. Ils étaient de loin les deux rois du box-office (2 milliards pour les étoiles, 1,6 pour les dinos), et ont relancé la machine industrielle des deux licences (un univers entier de films et séries pour Star Wars, et des jeux vidéo, une série Netflix et des attractions chez Universal Studios pour les dinos). C'était un shot de nostalgie pur et parfait, avec le retour de deux sagas parmi les plus populaires et importantes du cinéma américain.

Ces retours étaient inévitables. La nécessité économique d'exploiter le filon était là, et ce n'était qu'une question de temps. Un Jurassic Park 4 était développé dès 2001, et a muté plusieurs fois avant d'être sérieusement lancé en 2013, finalement sans la productrice Kathleen Kennedy, qui était trop occupée sur... la nouvelle trilogie Star Wars. George Lucas répétait que l'histoire s'était terminée avec Le Retour du Jedi, mais quand il a vendu Lucasfilm à Mickey, il avait sa vision d'une nouvelle trilogie - que Disney a largement balayée.

 

Star Wars : Le Réveil de la Force : PhotoCaReysser les jouets de demain

 

Dans tous les cas, le destin des deux sagas a été scellé à la même période. Fin 2012, Disney a mis la main sur Lucasfilm, et annonçait une nouvelle trilogie. Début 2013, Universal lâchait une date de sortie pour un nouveau Jurassic Park, officiellement titré Jurassic World quelques mois après.

C'est à cette période que l'univers étendu de Marvel a explosé, avec le succès d'Avengers en 2012 pour valider officiellement le triomphe de ce modèle construit depuis 2008 avec Iron Man et compagnie. Ce n'est peut-être qu'un hasard, mais c'est là encore parfait : face aux super-héros de demain, les héros d'hier devaient revenir dans la course, avec une nouvelle trilogie pour occuper le terrain.

Jurassic World, Star Wars, même combat : recycler et moderniser une IP (propriété intellectuelle, selon le jargon hollywoodien), rouvrir en grand les portes du parc (littéralement, pour JW), et dépoussiérer un univers pour qu'il n'appartienne plus seulement au passé.

 

Jurassic World : photo, Chris PrattCaresser les peluches de demain

 

"Je sens que ce soir, je vais conclure"

Étonnamment et paradoxalement, les deux sagas ont (sur)vendu l'idée d'une fin, alors même que leur raison d'être était initialement de ressusciter un cadavre. Star Wars 9 était "la fin de neuf films", selon le réalisateur J.J. Abrams, qui répétait chez Entertainement Weekly et partout ailleurs pendant la promo que L'Ascension de Skywalker était la conclusion de trois trilogies. Ce qui a depuis été bien confirmé.

Toujours chez Entertainment Weekly, mais en 2022, Colin Trevorrow présentait Jurassic World 3 comme "une célébration de toute la franchise", insistant sur la cohérence de tout ce bordel, et renvoyant à la première trilogie pour expliquer que désormais, tout avait plus de sens (rires cosmiques). La présence de quelques dinosaures (le trio original, le T-Rex, l'associé de John Hammond et compagnie) devait assurer une continuité, avec des ponts entre passé et présent pour former (et forcer) une super-saga.

Des deux côtés, cette volonté manifeste de boucler la boucle s'est incarnée dans le grand méchant final : l'increvable Palpatine, pour réunir le bordel Star Wars, et l'oublié Lewis Dodgson (un très second rôle de Jurassic Park) dans Jurassic World. Ou comment créer l'illusion d'un tout cohérent, avec un ennemi qui était là depuis le départ.

 

Jurassic World : Le Monde d'après : photo, Sam Neill, DeWanda Wise, Chris Pratt, Jeff GoldblumComposition de cadre très originale

 

Bien sûr, personne n'est dupe et rien n'est fini. Sans parler des séries, et même si l'idée des trilogies a visiblement été abandonnée, Star Wars reviendra bien au cinéma, notamment avec un film réalisé par James Amngold, ainsi qu'un projet The Mandalorian par Dave Filoni.

Côté Jurassic, ce n'est qu'une pause, puisque le producteur Frank Marshall a prévenu chez Slashfilm : "Le Monde d'après va conclure cette trilogie, mais on ne se repose pas sur nos lauriers. On va s'asseoir, et voir à quoi ressemble le futur. (...) Nous voulons absolument faire plus dans le monde de Jurassic".

Ces trilogies étaient au mieux l'équivalent d'une fin de saison. De là à dire que cette promesse de fin-conclusion n'était qu'un argument en carton pour tenter d'exciter les fans, en affirmant que tout ceci avait bel et bien une raison d'être...

 

Star Wars : L'Ascension de Skywalker : photo, Oscar Isaac, Daisy Ridley, John BoyegaComposition de cadre très originale

 

les vieux jouets

C'était l'évidence dans la trilogie Disney de Star Wars : impossible et impensable d'écrire le futur sans s'accrocher au passé. Chaque épisode l'a démontré : Han Solo et Leia étaient présents dans Le Réveil de la Force, qui tournait autour du mystère de Luke, et de la mort du copain de Chewbacca. Dans Les Derniers Jedi, Luke était au premier plan, jusqu'à un sacrifice final pour aider tout le monde. Lucasfilm avait prévu de centrer l'épisode 9 sur Leia, mise sur la touche dans l'épisode 8, pour que chaque opus appartienne à l'un des personnages cultes. Et bien sûr, en plus des retours déjà oubliés (au hasard, Lando), le grand méchant était le fils des héros d'hier. 

Côté Jurassic World, c'était plus timide - ou plus improvisé. Malcolm était un figurant de luxe dans Fallen Kingdom, et c'était une vaste plaisanterie. Ellie, Alan et lui sont de retour dans Le Monde d'après, et la blague continue puisqu'ils n'ont absolument aucune âme ni raison d'être. Coincés dans les mêmes schémas, les mêmes vêtements, les mêmes postures parfois, ils ont simplement été sortis du placard pour être exhibés sous le nez des fans.

 

Star Wars : L'Ascension de Skywalker : photo, Mark HamillLuke Sleepwalker

 

Cette peur panique de tourner la moindre page s'incarne avec quantité d'autres éléments. Jurassic World 3 ramène encore une fois Henry Wu, personnage-trophée dénué de la moindre caractéristique si ce n'est celle d'être complètement scientifique et stupide, et d'avoir été présent dans le premier Jurassic Park. Le film rappelle plusieurs seconds rôles pour bien peu de chose (Omar Sy, Justice Smith, Daniella Pineda), et va jusqu'à afficher des photos de ceux qui avaient piscine lors du tournage (Jake Johnson et Andy Buckley ont failli revenir, mais leurs rôles ont été coupés, et nul doute que ça a beaucoup changé l'intrigue).

La meilleure démonstration reste peut-être Lewis Dodgson, grand méchant de ce Monde d'après... et qui était bien présent dans le premier Jurassic Park. C'était lui le contact de Dennis Nedry, incarné à l'époque par Cameron Thor (en prison depuis, donc remplacé par Campbell Scott dans JW3). Quand Nedry se foutait de lui en criant "Dodgson ! Dodgson est parmi nous ! Dodgson est là ! Tout le monde s'en fout", il avait plus que raison, sans le savoir : son retour dans JW3 est au mieux anecdotique, au pire complètement raté (la mousse à raser étant la seule caractérisation valable, au fond).

 

Jurassic Park : photoTout le monde s'en fout, effectivement
 

Jurassic World a mis en scène une grande réunion, mais sans oser décoiffer et encore moins tuer le trio culte (ni même fait croire à un quelconque danger, comme en atteste la scène-hommage où Ian attire le gros dino). Star Wars a fini par dire adieu à tout le monde, mais a osé ramener Palpatine dans un dernier tour de magie qui restera dans les annales du ciné-mal.

Des deux côtés, ces coups d'oeil intempestifs dans le rétroviseur ressemblent à des aveux de faiblesse, de non-foi totale en la capacité des sagas à continuer et avancer. Ainsi, l'argument de vente des retours-recyclages du passé devient finalement un simple désaveu industriel.

 

Jurassic World : Le Monde d'après : Photo Laura Dern, Sam NeillPassage inévitable à la boutique cadeau

 

fan desservi

Dans les deux sagas, c'est un crescendo de malaise, qui se termine dans un feu d'artifan-fice. Star Wars 9 a bien entendu poussé le bouchon jusqu'à ramener Palpatine, faire de Rey sa petite-fille cachée, et boucler la trilogie ultime avec un retour sur les terres de Luke Skywalker... pour que l'héroïne reprenne son flambeau-nom. Ou comment tourner autour du pot et en rond, jusqu'à se vomir dessus en arborant un fier sourire.

Jurassic World a usé d'une autre arme de débilisation massive : la citation gratuite.

Dans Le Monde d'après, Colin Trevorrow empile ainsi les hommages aussi gros que les trous béants du scénario : Ellie portant les mêmes vêtements, retirant ses lunettes de la même façon, et filmée presque exactement comme dans le premier Jurassic Park, pour simplement observer un champ en ruines (belle métaphore) ; Malcolm qui agite un insecte cramé au lieu d'un fumigène pour aider ses copains en attirant monsieur dinosaure ; Grant qui prévient le groupe qu'il ne faut pas bouger face au dino (avant de tous bouger, allez comprendre) ; les dilophosaures de retour pour tuer le méchant lié à Nedry dans le premier Jurassic.... C'est presque un bingo avec des cases à cocher.

 

Star Wars : L'Ascension de Skywalker : photo, Daisy RidleySabre-lagerbe

 

Ici, il n'y a même plus de vague notion de dramaturgie, comme avec le drama familial de Palpatine, censé remettre en jeu l'identité et donc le destin de Rey. Trevorrow atteint un point de non-retour dans le fan service le plus gras et gratuit, en ne racontant absolument plus rien, si ce n'est la complicité automatique avec le public. Qu'il aille jusqu'à mobiliser les memes de Jeff Goldblum (la chemise ouverte) en dit long sur la vacuité de l'entreprise, et la subtile main tendue vers le public.

Dans Jurassic World 3 et Star Wars 9, la mécanique est finalement la même : inciter (forcer) le public à reconnaître un personnage, un visage, un décor, un costume, un nom ou une babiole. C'est le parfait mirage et l'écran de fumée absolu, censé détourner l'attention et habiller le vide.

 

Jurassic World : Le Monde d'après : photo, Laura Dern, Sam NeillLA. TRIS. TESSE.

 

critique vs public vs box-office

Jurassic World 3 et Star Wars 9 partagent un autre fait d'armes : l'écart entre la réception du public et de la critique. Aux États-Unis, c'est particulièrement évident, puisque ce sont les seuls épisodes des trilogies à avoir creusé le fossé dans ce sens, avec une presse (très) négative vs un public satisfait.

Sur Rotten Tomatoes (un indicateur à prendre avec des pincettes, mais à prendre quand même), L'Ascension de Skywalker est le seul épisode de la trilogie dans ce cas. Le Réveil de la Force a convaincu presse et public (93% et 85%), Les Derniers Jedi a divisé côté spectateurs (91% et 42%), et le dernier opus a renversé la vapeur : un ratage pour la presse (52%) et une mission remplie pour le public (86%).

 

Star Wars : L'Ascension de Skywalker : photo, Adam DriverCritique, public : unis face à la nullité (parfois)

 

Le mouvement est similaire côté Jurassic : le premier a réuni tout le monde dans le moyen-ok (71% et 78%), le deuxième aussi mais dans le négatif (47% et 48%), mais le troisième a changé la donne avec une critique très négative (31%) mais un public à peu près heureux (77%).

Un "hasard" amusant qui rappelle que ceci reste avant tout une affaire de consommation et donc de dollars. Ainsi, le box-office a sauvé les apparences. Star Wars 9 a encaissé 1,07 milliard en salles, soit moins que Star Wars 7 (incomparable vu l'événement, mais 2 milliards tout de même) et Star Wars 8 (1,3 milliard). L'essoufflement est évident, et Disney et Lucasfilm l'ont compris en ralentissant la cadence au cinéma (avant d'annoncer repartir de plus belle en 2023) pour presque tout basculer sur la SVoD, avec des séries en pagaille. Mais en surface, l'honneur est sauf - surtout après le désastre de Solo, pire score de toute l'histoire de la saga, qui a précipité la fin de ces A Star Wars Story.

 

Jurassic World : Le Monde d'après : photoCinéphile essayant d'éviter les daubes à 200 millions

 

Côté box office, Jurassic World : Le Monde d'après a atteint péniblement le milliard de dollars de recette (1,003 milliard) après quatre mois d'exploitation. Le troisième volet fait donc moins bien que Jurassic World (1,6 milliard) et Jurassic World 2 (1,3 milliard). La Chine a en plus de ça été une douche froide, puisque le film excitait moins que prévu et attendu - tiens, comme Star Wars, où Disney s'est crashé sur la dernière trilogie, jusqu'à toucher les bas-fonds de la honte.

Jurassic World 3 a donc fini derrière ses prédécesseurs, ce qui lui fait un nouveau point commun avec Star Wars. Ça, et l'exaspération face à une entreprise de débilisation massive, qui donne envie de sortir son joker "vieux cons" pour affirmer que le monde va mal.

Tout savoir sur Jurassic World : Le Monde d'après

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commentaires
Maître Capello
11/06/2023 à 09:32

Peut être parce que c'est écrit par des nullos.

Ethan
11/06/2023 à 01:32

parce que c'est tellement évident

Endymion
19/12/2022 à 22:31

Ca me sidére de voir qu un navet comme star wars obtient 86% de satisfaction spectateur et plus d un milliard au box office. Comment envisager des films grands publics avec un scénario travaillé si les

Epoustouflifliant
17/12/2022 à 10:04

Moi j'oserai une réponse à la question de l'article : parceque les scénaristes et les producteurs sont des mauvais.

Brazil
16/12/2022 à 22:31

Pas mal la dernière illustration, elle aurait suffit à elle même.

EternalBG
02/08/2022 à 11:50

De toute façon, de mon point de vue, Colin Trevorrow est le pire réalisateur de film jamais connu car il a échoué en tournant jurassic world 3 dont je veux un remake la dessus et Star Wars 9 dont je suis pas fan. Trevorrow n'envoie que des parlotte et moins d'action et cela m'agace. Après, je sais pas quels autres films il a tourné merci pour votre critique

Maxibestof
04/07/2022 à 14:05

C'est aussi le cas pour les musiques de films qui sont devenus fade voire mauvaises...
Souvenez-vous de l'époque de John William (ET, Indiana Jones, Star Wars, Jurassic Park, etc...), Danny Elfmann, Basil Poledouris, etc...
Aujourd'hui les musiques ne sont souvent que des "bruits" avec des thème très simple et peu recherché... Et oui, je trouve Hans Zimmer ultra surévalué.
Quels sont les thèmes musicaux actuels qu'on sifflera dans 30 ans ???
Mais bon, c'est aussi en effet le cas des films en général.... Dire que dans les année 80 on a eu la création de Ghosbusters, Indiana Jones, Retour vers le futur, Gremlins, Terminator,, etc.... Que des créations originales devenues cultes... De nos jours ce ne sont que suite et remake.. qu'est ce qui deviendra culte dans 30 ans ??
Perso je vais faire mon vieux con, mais je ne vais jamais voir les Marvel qui sont de véritables repoussoir pour moi... Mais au risque de choquer, j'ai bien aimé The Batman malgré quelques défauts.. Le problème ce que j'ai l'impression que les gens voulaient un Batman ressemblant à ceux de Nolan, ou alors à un Marvel...

mothra2000
03/07/2022 à 13:40

La facilite des scenarios basiques...
Fan service a outrance...
Et peut etre oui des scenaristes qui n ont pas les competences ou les capacites pour ecrires des histoires interessantes....

Heavenren
03/07/2022 à 12:08

ça pose surtout la question des compétences scénaristiques aujourd'hui.
Quelle que soit la saga, c'est du plantage en beauté: Terminator, StarWars, Jurassic Park (même Alien dans un sens), alors que ce sont des univers d'une richesse incroyable. Il y a largement plus que ce qu'il faut de matière première pour produire des scénarios intéressants.
Alors pourquoi? Pourquoi est-ce que ces films dotés de budget qui suffiraient à faire fonctionner un petit pays se plantent à ce point?

Ethan
02/07/2022 à 22:49

@Anakin Skywalker the best
C'est vrai mais c'est plus un malaise.
Ren ressemble à une fille je trouve.
A la fin ils s'embrassent avec rey et personne a compris ce baiser.
Le clonage aussi de palpatine qui a eu un gosse ça veut plus rien dire et on arrive pas à s'identifier à ces personnages

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