Films

Mars Attacks ! ou le chef d’oeuvre anarchisto-spatial de Tim Burton

Par Simon Riaux
28 novembre 2020
MAJ : 21 mai 2024

La carrière de Tim Burton est garnie de films légendaire. Mais peu le sont autant que l’atypique et radicale Mars Attacks.

Mars Attacks ! : Affiche officielle

La carrière de Tim Burton est garnie de créations devenues légendaires, de films cultes et autres joyaux noirs. Mais trop souvent, on oublie une de ses créations les plus atypiques et radicales, l’envahissant Mars Attacks !

 

photo, Pierce BrosnanCeci n'est pas une pipe

 

DEPENDENCE DAY 

Tim Burton vient d’enchaîner Edward aux mains d'argentBatman, le défi et Ed Wood. Trois longs-métrages considérés par beaucoup comme un véritable état de grâce, durant lequel l’artiste est successivement parvenu à murir un style éminemment singulier, réussir à l’imposer à un studio (quand bien même son second Batman réunit deux fois moins de billets verts, c’est bien la vision gothique de Burton qui éclabousse le grand écran), avant de rejoindre la cour des grands auteurs avec le récit biographique d’un destin de cinéma. 

Le vilain petit canard de Disney qui fut limogé, car trop peu compatible avec la culture maison, s’est taillé une place à part à Hollywood, et toute une génération de cinéphiles biberonnés à la Hammer ainsi que d’ados avides de faire sauter le carcan coloré des années 80 se retrouvent dans ses œuvres. Tim Burton paraît mûr pour un projet ambitieux et exigeant, un film aux ambitions plus vastes que tous ses précédents efforts. 

 

photoUn casino où on perd à tous les coups

 

Les planètes vont justement s’aligner, aussi bien économiquement que thématiquement. Jurassic Park a révolutionné l’industrie des effets spéciaux hollywoodiens en 1993, et les majors sont en quête de sujets leur permettant d’exploiter les potentialités des images de synthèse, dont le public sent qu’elles vont transformer les potentialités du spectacle. Burton de son côté, hésite entre deux projets : Dinosaurs Attack ! et celui qui deviendra Mars Attacks !. Craignant d’aboutir à un simple pastiche du Spielberg, Burton opte pour la seconde option, qui lui permet, après avoir raconté l’existence d’Ed Wood, de rendre directement hommage au “chef d’œuvre” du maître du nanar, Plan 9 from Outer Space. 

En outre, il existe depuis 1985 un scénario signé Alex Cox, basé sur un célèbre jeu de cartes à collectionner représentant des envahisseurs martiens. Acquis communément par les sociétés Orion et Tristar, il ne sera jamais développé, mais fera l’objet d’un “turnaround deal” (quand un studio ne mène pas un terme à développement, et use des sommes investies comme des pertes dans son bilan comptable à la faveur d’une revente à un autre studio). 

Les vents sont à ce point en faveur du film que tout Hollywood s'y précipite, des jeunes comédiens prometteurs en passant par les stars confirmées, on retrouve ainsi à l'affiche Jack BlackJerzy SkolimowskiChristina ApplegateLukas HaasTom JonesMichael J. FoxNatalie PortmanPierce BrosnanSarah Jessica ParkerAnnette BeningJack NicholsonMartin Short et Glenn Close.

 

PhotoEnvahir, mais avec le sourire !

 

Bref, une idée Burtonienne en diable, un réalisateur au sommet de sa forme, une industrie si désireuse d’expérimenter et de satisfaire le public qu’elle va accepter un dépassement de budget de 10 millions de dollars… Pour aboutir à un retentissant échec. Avec ses 80 millions de dollars au compteur – hors marketing – Mars Attacks ! n’en accumule que 101 millions. 

Quelques mois plus tard, le succès planétaire d’Independence Day renseignera les analystes sur ce que les spectateurs attendent alors d’une invasion alien. Mais plus sérieusement, si la proposition de Burton est devenue culte et trône aujourd’hui parmi ses longs-métrages les plus renversants, c’est peut-être parce qu’il s’agit du récit où il s’autorise le plus de démence et d’outrance. 

 

Photo Jack Nicholson, Glenn CloseUn excellent mauvais rêve

 

LE BURTON ULTIME 

C’est peu dire qu’affirmer que le cinéma burtonien est un précis de colère et de détestation à l’égard de la classe moyenne américaine et de son conformisme. Mais dans Mars Attacks !, le cinéaste étend ses griefs aussi bien aux riches industriels, aux grands bourgeois, aux puissants, au personnel politique, à l’élite intellectuelle, qu’aux rednecks. Absolument tout le monde en prend pour son grade, et à de très rares exceptions près, le film vomit avec allégresse presque tous les stéréotypes de la culture américaine. 

Une virulence qui n’a pas manqué d’être remarquée par un public, qui rit d’autant plus jaune que le récit ne prend pas la forme d’un réquisitoire ou d’une véritable mise en accusation, mais plutôt d’une farce au vitriol. Tim Burton fait bien pire qu’attaquer le rêve américain, son crime est beaucoup plus lourd que celui d’un Oliver Stone questionnant violemment les valeurs américaines. Burton les moque. 

 

photoRed is dead

 

Un sacrilège évident dès l’ouverture du film, ou cinéma parano, Américana et vestiges du western sont tournés en dérision alors que traversent l’écran un troupeau d’animaux enflammés, annonçant le cruel barbecue à venir. Une ironie mordante qui va jusque dans la représentation de la violence, le réalisateur ayant révélé que les couleurs vertes et rouges des squelettes ayant pour origine la date de sortie initiale de son film, programmé vicieusement pour les fêtes de Noël. 

L’amour pur d’une journaliste pour un scientifique pacifiste ? Moqué et passé à la moulinette du mythe de Frankenstein. La classe à Vegas ? Un carnage absurde et un des rôles comiques les plus sous-côtés de Jack Nicholson. Le leader du monde libre ? Un conformiste vulgaire incapable de mener ses troupes. Et la liste continue, alors que comme toujours, seuls les marginaux et les innocents trouvent le salut. 

 

Photo Annette BeningLe cimetière à néons de Vegas, un des plus discrets et beaux décors de Burton

 

Ce ton sardonique se retrouve jusque dans la manière dont l’artiste adapte ses codes esthétiques à son sujet. Voici, avec Big Fish, une de ses rares tentatives réussies d’allier lumières, couleurs, et ses concepts torturés. En faisant jaillir les soucoupes volantes de Les soucoupes volantes attaquent, en piratant les codes du cinéma pop et du cinéma catastrophe, Burton génère un espace complètement halluciné, encore renforcé par la qualité des effets spéciaux. 

Vingt-cinq ans après sa sortie, le film accuse bien sûr le coup de technologies numériques parfois balbutiantes. Mais le réalisateur contourne très souvent cet obstacle en mélangeant plusieurs technologies à l’image et surtout, en se rappelant des origines de son projet. Imaginé pour accueillir des martiens réalisés via la stop-motion (animation image par image de modèles réduits ou de marionnettes), Mars Attacks ! perd en finesse de textures ou en fluidité d’animation, ce qu'il gagne en vertiges absurdes, et en repompe des effets d’animation à l’ancienne. 

 

photo"Souriez, vous êtes cramés"

 

TRAGICOSMIQUE 

Le plus bariolé et le plus audacieux des Burton est sans doute sa farce la plus acide, mais c’est aussi la plus politique. Ce n’est pas un hasard si le scénario contenait initialement 60 personnages (la version définitive en dénombre tout de même 23, ce qui est déjà énorme), et des séquences situées aux Philippines, de longs passages à Paris et un peu partout dans le monde. Tim Burton était parti pour réaliser un film-monde, une sorte de sauterie galactique, dans laquelle le cinéma qu’il aime venait se venger d’un monde qu’il déteste. 

L’artiste a été contraint de se resserrer sur les seuls États-Unis, mais c’est bien la recette qu’il applique, et elle va au-delà de la fable mordante tombant sur les puissants. Si Mars Attacks ! a si souvent été accusé par la critique et le public américain de ne pas être drôle, alors que c’est peut-être le film de son auteur qui fignole le plus savamment ses effets comiques, c’est justement parce que les spectateurs sentent bien qu’il ne plaisante pas tout à fait.  

Lorsque les martiens débarquent sur Terre, les militaires belliqueux et les scientifiques mielleux sont renvoyés dos à dos. Personne n’a tort, personne n’a raison, tous deux sont deux facettes d’une même monnaie de la bêtise universelle, vouée à être écrasée par des martiens rigolards, trop contents de nous pulvériser. 

 

PhotoAffreux, drôles et méchants

 

Et à bien y regarder, derrière la joie mauvaise qui consiste à regarder une invraisemblable brochette de doux dingues et autres demeurés se faire rôtir par des extraterrestres, on peut se demander si le film ne prend pas franchement le parti des envahisseurs. On notera combien les séquences où ils piègent puis massacrent les terriens sont satisfaisantes (ah ces scouts essayant d’échapper à cet obélisque...), mais également la farouche volonté du metteur en scène de ne pas nous dévoiler le détail de leur plan, ni même sous-titrer leurs conversations. Comme si nous autres, faibles humains, ne méritions pas de saisir ce qui se déroule sous nos yeux, ni même d’avoir une chance d’en réchapper. 

D’ailleurs, en parlant d’en réchapper, le fait que les martiens soient vaincus par un standard musical passé de mode n’est pas seulement une saillie absurde. C’est aussi un hommage direct à La Guerre des Mondes (le roman de Wells, puisque le film de Spielberg ne sortira qu’une décennie plus tard). Ou comment établir un parallèle entre l’art de grande consommation produit industriellement et... les bactéries.  

Au-delà de la méchanceté de ce parallèle, c’est l’ultime pirouette d’un cinéaste qui refuse à l’humanité de comprendre ce qui lui arrive, et d’inventer un moyen de survivre. Elle ne s’en sort que par hasard, par accident. Un peu comme Tim Burton, devenu ici un pirate du système hollywoodien, capable de lui faire produire une création raveuse et ravagée, quelques années seulement avant de lui-même rejoindre les rangs de l’industrie. 

La suite est réservée à nos abonnés. Déjà abonné ?

Lisez la suite pour 1€ et soutenez Ecran Large

(1€ pendant 1 mois, puis à partir de 3,75€/mois)

Abonnement Ecran Large
Rédacteurs :
Tout savoir sur Mars Attacks !
Vous aimerez aussi
Commentaires
5 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Simon Riaux

@iPodz

Tout à fait, c’était une sorte de néologisme pour ne pas donner l’impression que le film développe un discours anarchiste pur sucre.

iPodz

Hello !

Ne dit-on pas plutôt anarcho que anarchisto ?!?!

Sinon, c’est une évidence que Mars Attack est un petit bijou, un des 3 ou 4 meilleurs Burton en fait…

😉

Burton de la bonne époque

j' »étais alle le voir au cinoche en son temps, tres bien recu par tout le monde à l’époque,, je crois bien qu’il avait tres bien cartonné,
à la meme periode aussi, il y a avait le MIB, je me souviens plus si est sorti avant ou apres le film avec will smith et Lee Jones,
Nicholson au top et le 007 -Brosnan de l’époque, a contre emploi impeccable

Mouais Bof...

Quel film .Quelle bombe.

Tim Burton au sommet de sa force. L’anti Emmerich avec le cultissime Starship Troopers de Verhoven. 2 films revisitant la S.F avec un regard extrêmement satirique et critique su notre société.

C’est ce Burton qui nous manque, un Burton qui ne s’était pas encore fait bouffer par Disney et ses tentacules de compromis et de politique consensuelle.

Dae-Soo Ho

Merci pour cette critique, j’ai pris beaucoup de plaisir à la parcourir. Je suis forcément parti pris, j’étais minot quand il est sorti et il m’a vraiment marqué, tant par le ton que les têtes des martiens qui explosent, jouissif et dégueu à la fois..
Allez savoir, c’est peut-être de là qu’est partie ma curiosité malsaine pour le gore ????
Plus sérieusement, je pense que c’est à partir de ce film, que j’ai immédiatement considéré comme un pastiche malgré mon jeune âge, que j’ai compris que bide populaire et incompréhension de la masse ne signifie pas forcément que le film est mauvais.
Depuis j’ai pris goût aux films incompris, mal-aimés, comme Southland Tales tout en haut.
D’où ma joie à chaque film que vous ajoutez dans le dossier des mal-aimés ????