Films

Gremlins : le rejeton démoniaque de Spielberg et Joe Dante

Par Simon Riaux
28 octobre 2022
MAJ : 21 mai 2024

Revenons sur la fabrication de Gremlins, le carton d’Amblin ainsi que sur les ingrédients de sa réussite, qui ne se dément pas, presque 40 ans après sa sortie.

Gremlins : photo

Il compte parmi les succès les plus importants et imprévisibles des années 80. Revenons sur la fabrication de Gremlins, le monstrueux carton d’Amblin ainsi que sur les ingrédients de sa réussite, qui ne se dément pas, plus de 30 après sa sortie. 

Steven SpielbergJoe Dante, Chris Columbus... Derrière cet énorme succès de 1984 se cachent trois grands noms du divertissement américain qui ont contribué à forger l'imaginaire de toute une génération. Premier succès international de la société Amblin à ne pas être réalisé par son fondateur, Gremlins est une oeuvre au souvenir encore bien vivant chez plusieurs générations de cinéphiles et cinéphages. Film impertinent et remuant, il va secouer ses spectateurs, les plus jeunes, mais aussi leurs parents, au point de pousser le comité de classification américain (MPAA) à se réformer.

Mais comment ce faux film de Noël a-t-il pu sortir des tuyaux de l'industrie hollywoodienne ?

 

Affiche officielleUne affiche restée légendaire

 

GENÈSE BALÈZE 

Pour arriver au petit miracle que nous connaissons aujourd’hui, il aura fallu une suite de hasards, coups de chance ou du sort, et quelques belles intuitions. Quand sort Gremlins, en 1984, la société de production Amblin est dans une position bien particulière. Toute jeune, elle a déjà un énorme succès à son actif, le glorieux E.T. l'extra-terrestre de son fondateur Steven Spielberg. Mais il faut assurer sa viabilité sur d’autres projets que ceux du jeune réalisateur, et comme il est à la recherche d’un long-métrage horrifique à petit budget, le scénario d’un certain Chris Columbus tombe à pic. 

Ce dernier n’a pas rédigé Gremlins en pensant pouvoir un jour le transformer en long-métrage, tant il considère son idée comme bizarroïde. Son scénario a été pensé à la manière d’une carte de visite, preuve d’inventivité et de maîtrise narrative, imaginée par celui qui deviendra le metteur en scène de Maman j'ai raté l'avion quelques années plus tard. 

 

photoDeux sales, deux ambiances

 

Mais quand Steven Spielberg tombe dessus, il s’amourache de ce script efficace, créatif et retors. Il faut dire qu’il a voulu monter il y a peu Dark Skies, un projet dans lequel une famille banlieusarde était assiégée par de petites créatures venues des étoiles, et que le scénario qu’il a entre les mains va lui permettre de transformer et faire aboutir ce concept. Il décide d’en amoindrir certaines séquences qu’il juge un peu trop cruelles (le chien de la famille se faisait dévorer, Gizmo se transformait en Gremlins et la mère du héros était sauvagement décapitée par les vilaines bébêtes) et se met en quête d’un réalisateur pour mettre tout cela en boîte. 

Spielberg hésite à confier le projet à Tim Burton, dont il a vu et apprécié Frankenweenie, mais ne sait pas si le jeune artiste aura les épaules pour un long-métrage. Parce que Hurlements lui a tapé dans l’œil et que la technicité de ce film de loup-garou lui semble qualifier son auteur, Spielberg confie les rênes du projet Joe Dante.

Ce dernier est surpris qu’on pense à lui pour le mettre en scène et ne voit pas bien comment l’assembleur de génie qu’il est, sorte de pré-Tarantino passionné par les assemblages filmiques, va pouvoir y apposer sa signature. Mais il est fauché comme les blés, et n’est pas en mesure de faire le difficile. C’est le contexte qui va lui offrir une liberté inattendue, comme il l’a expliqué, dans les bonus de l’édition de DVD de 2002. 

 

photoPeur sur la ville

 

MONSTRES ET COMPAGNIE 

“Disons que le studio n’était pas convaincu que ce soit une très bonne idée de film. En gros, ils l’ont produit pour faire plaisir à Steven Spielberg.” En effet, il s’agit là de la première collaboration entre Amblin et Warner, qui accueille simultanément Gremlins... et Indiana Jones. À l’évidence, cet étrange film de monstres au budget de 11 millions de dollars n’est la priorité ni de l’énorme studio ni de Spielberg, lancé dans la réalisation d’un long-métrage d’aventures référentiel et complexe, en collaboration avec son complice George Lucas. 

Personne n’a vraiment le temps de s’inquiéter de ce que contient ce conte de Noël aux habitants squameux et affamés. Et quand le studio s’inquiète de rushs étonnamment angoissants, Dante fait appel à Spielberg, qui le soutient et fait ainsi passer la pilule auprès des exécutifs. Il faut dire que sur le plateau, le réalisateur de Hurlements fait face à de nombreux défis. Le budget est serré et si l’équipe des effets visuels, emmenée par le magicien et marionnettiste Chris Wallas, s’était préparée à un travail artisanal et rigoureux, la demande de Spielberg que Gizmo devienne le héros du film et ne se métamorphose pas en Gremlins passé le premier tiers a bouleversé la préproduction, le scénario et l’ensemble du projet. 

 

photoUne scène techniquement ahurissante, et hilarante

 

Le challenge est d’autant plus relevé que les créatures sont de petites tailles, ce qui rend la conception du bestiaire cauchemardesque, les nombreuses mécaniques indispensables à leur expressivité étant traditionnellement réservées à des bêtes bien plus volumineuses. Conscients de moyens à mettre en œuvre pour donner vie à cette collection de monstruosités, Wallas et Dante collaborent étroitement. 

Si les marionnettes sont l’option à laquelle le métrage aura le plus souvent recours, pour assurer la surprise du spectateur, sa suspension d’incrédulité, ses frissons ou son émerveillement, les deux compères savent qu’ils doivent aussi multiplier les techniques et les effets. Ombres, silhouettes, hors-champ, animatroniques, stop-motion, tout y passe pour permettre au récit d’imposer son imagerie iconoclaste. 

Une réussite qui explose dans une scène complètement démente, qui s’arrête, comme suspendue au milieu du scénario, sur la soirée de déglingue des Gremlins dans un bar, tel que le cinéma américain en a représenté des milliers. Les monstres se livrent là à un jeu de massacre inoubliable, qui laissera les spectateurs comme deux ronds de flan. Et quand les lumières se rallument, qu’il faut rentrer chez soi, c’est bien plus cette vision d’une société de consommation devenue ouvertement tarée qui reste en tête, que la confrontation finale entre gentils et méchants. 

 

photoVive les cosses !

 

HORREUR HUNAMUS EST 

Mais si Gremlins est encore dans toutes les mémoires, ce n’est pas seulement parce qu’il s’agit d’une excellente idée portée par des artisans de premier plan et bourrée de trouvailles techniques ludiques. Non, ce qui confère au film sa grande force, c’est son atmosphère, comment elle soutient une certaine vision du monde qui ne peut pas manquer de nous saisir à la gorge. 

Ce n’est pas pour rien que le film fut un de ceux qui poussèrent la MPAA (le bureau de classification/censure américain) à adopter le PG-13, une nouvelle classification désignant ces films en apparence pour la jeunesse, mais susceptible de traumatiser nos chères têtes blondes. Pourtant, à bien y regarder, le métrage ne contient pas de plans véritablement sanglants, ou gores, et si on y meurt, on ne disparaît jamais sous des litres d’hémoglobine ou au milieu du cadre. Non, mais on y trouve des sommets de cruauté et une certaine perversion dans la mise en scène de cette dernière. 

 

photoPote à tartiner

 

En témoigne la longue séquence au cours de laquelle la mère du héros traque les Gremlins dans sa maison et finit par les découper dans sa cuisine. Ce qui rend la scène cauchemardesque, c’est la générosité avec laquelle elle alterne entre différents registres horrifiques.

Alors que le personnage découvre les cosses évidées des Gremlins, qui engendrent une imagerie à la fois peu ragoûtante et grotesque, on joue clairement dans les plates-bandes de L'Invasion des profanateurs de sépulture ; lorsque leur présence se fait entendre et que le hors-champ s’invite, le film change de registre. Ombres portées, cadre dans le cadre, silhouettes menaçantes... la grammaire de Hitchcock et du film noir a pris possession de la séquence, jusqu’à une parodie salissante de Psychose, qui part totalement en sucette quand Frances Lee Mccain fait exploser un de ses assaillants au micro-ondes. 

Ce passage mémorable illustre comment Joe Dante subvertit son terrain de jeu apparent, le film de Noël, pour y substituer une angoisse filmique, par un jeu de références variées, mais aussi une angoisse plus sourde, existentielle, qui plonge le spectateur dans un état d’inconfort rigolard redoutable. Car les différentes scènes d’attaque des Gremlins fonctionnent certes au premier degré comme de remarquables exercices de style horrifique (voir la mort du malheureux professeur de sciences), mais également comme une mise à nu d’anxiétés plus vastes que la simple crainte d’une bébête affamée. 

 

photoSoldes monstres

 

Le décor quasi-unique du long-métrage, la petite ville de Kingston Falls, a été construit avec une grande partie du fond de décors que Robert Zemeckis utilisera pour générer la cité de Hill Valley de Retour vers le futur. Soit la bourgade américaine par excellence, rassurante, demeure de citoyens bien sous tous rapports, pensée pour émuler une certaine idée de la civilisation venue du cinéma de Capra, un metteur en scène résolument optimiste et humaniste (dont on peut voir les œuvres diffusées à la télévision dans Gremlins). 

Ce décor, qui se voudrait rassurant, est pourtant miné de l’intérieur. Nombre de dialogues mentionnent les tensions avec la Russie, la compétition industrielle perdue d’avance avec le Japon, la peur du déclassement, et in fine, de la désindustrialisation, donc du chômage. Une peur qui s’incarne continuellement via le matériel. De la mort d’un père de famille tentant de préserver la tradition des cadeaux de Noël, en passant par une vieille dame trop pingre pour donner deux sous à des choristes, jusqu’à un supermarché transformé en terrain de jeu ultime pour monstres déviants, c’est bien la consommation le ressort premier de la terreur et de la violence, dont les Gremlins ne sont qu’un révélateur. 

 

photo Gremlins prequelUne suite digne de ce nom ?

 

Dès lors, il semble logique que les Mogwais, doux et purs se transforment en horribles créatures baveuses... quand elles mangent et boivent plus que de raison. C’est bien l’appétit non maîtrisé la source des malheurs du monde. Et dès lors, au cœur de l’Amérique des années 80, désigner l’avidité comme un mal premier, au cœur d’un innocent divertissement hivernal, c’est peut-être ainsi que le film de Joe Dante est parvenu à se fixer si durablement dans la mémoire et le cœur des spectateurs. 

Et c'est peut-être cet ADN flippant et implacable avec nos sociétés occidentales qui explique que la saga ne soit pas parvenue à enfanter d'innombrables suites. Après un Gremlins 2 - La Nouvelle Génération génial, mais très mal reçu par le public de l'époque, la franchise, en dépit de son immense popularité, s'est perdue dans les arcanes d'Hollywood. Chris Columbus continue, d'année en année, d'interview en interview, de parler de son hypothétique suite/reboot, tandis qu'une série a officiellement été commandée au showrunner de Gotham. On attend toujours Gremlins: Secrets of the Mogwai qui se fait désirer depuis son annonce officielle en 2019.

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9 Commentaires
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Cecile

Gremlins toujours imité jamais égalé.
Ce film je l ai vu quand j etais ado et il m a fait peur. Puis je l ai redecouvert et la woaw!!!!
Aucun film n a su égaler ce film, au niveau de l’inventivité de la qualité des effets spéciaux. Oui ce film est vintage mais je l adore. Et petit message a TF1 les films de noel sirupeux et gnangnan qui nous sont imposés depuis octobre y en a marre!! ON EST PROCHE D HALOWEEN DONNEZ NOUS DES FILMS D HALOWEEN

Jojo

Le meilleur film de Noël au côté de Die Hard (Piège de cristal) !

Billy

Pur chef d œuvre ,un régale à Noël !!

JR

@Kyle,je comprends, j’ai mis du temps à le montrer à mon fils aîné pour les mêmes raisons (il avait 12ans quand on l’a regardé). C’est le conte horrifique parfait de Noël.
Je le reçois chaque année, 0 ride.
J’hésite à le tenter avec ma fille (bientôt 9ans mais sensible), mes parents se posaient moins de questions mais ça m’a valu pas mal de cauchemards gamin. Peut-être qu’un making of ou le chroma avant permettra un peu de distance.

Kyle Reese

J’avais adoré ce film à l’époque. je l’ai vu 2 fois au ciné, un véritable conte assez cruel, pas forcément pour les enfants d’ailleurs, plutôt les teenageurs, enfin ceux de l’époque. D’ailleurs à cause de l’histoire de la mort du père de l’héroine je ne l’ai toujours pas montré à mes enfants. Pas revu depuis des décennies, un peu peur de voir qu’il a beaucoup vieilli ou pour éviter de me prendre un coup de vieux, je sais pas. ^^

Totemkopf

@televore

c’est trop dur de devoir le découvrir quelques lignes plus bas ?

televore

c’est trop dur de mettre « réservé aux abonnés » au début de l’article?

Pat Rick

J’aime bien les 2 Gremlins,
Parmi les meilleurs films pop-corn des années 80.

Cépafo

Quel film. Une véritable satire. Des créatures devenues cultes. Un Joe Dante en forme.

Toute ma jeunesse, et le côté satirique je ne l’ai compris que bien des années plus tard. Bref des monstres plus vrais que nature. La scène au cinéma ou celle dans le bar sont juste cultissimes.

Grand film. Et même le 2 c’est quelque chose. Moins dans l’émotion. Mais extrêmement drôle.