La saga Dragons : la fin d'une aventure riche en émotions

Christophe Foltzer | 10 février 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Christophe Foltzer | 10 février 2019 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Après une première partie consacrée à Dragons et Dragons 2, le moment arrive enfin de se pencher sur la gestation compliquée de Dragons 3 : Le Monde caché. Ne vous inquiétez pas, il n’y aura pas de spoilers.

 

 

DRAGONS 3 OU L’ATTENTE IMPOSSIBLE

Il faut bien comprendre que la trilogie Dragons est un cas à part dans le monde de l’animation. Produite du début à la fin par Dreamworks, elle a connu plusieurs distributeurs. Le premier est sorti par la Paramount avant que la Fox ne reprenne le bébé pour la suite. Mais en 2015, le studio fait face à de dramatiques pertes financières qui le poussent à licencier un quart de son personnel, soit 500 employés, tout en lançant un appel d’offre désespéré. Le 28 avril 2016, le groupe Comcast rachète Dreamworks pour 3,8 milliards de dollars, faisant ainsi de son studio Universal le distributeur exclusif de ses futures œuvres.

 

photoAngoisse et incertitude pour la suite des aventures

 

Des difficultés qui ont évidemment impactées la préparation de Dragons 3 : Le Monde caché qui se voit déjà repoussé pour une sortie en 2018 mais qui n’est pas la seule explication à ce retard. Non, conscient qu’il s’attaque au volet le plus important de son œuvre et renforcé par les succès des films précédents, Dean DeBlois prend son temps pour parfaire son monument.

Loin des obligations commerciales et financières (vu que Dreamworks respire enfin à nouveau), loin des effets de mode, Dragons 3 sera tel qu’il l’a imaginé ou ne sera tout simplement pas. Il est d’ailleurs à noter que, encore une fois, le budget du film se retrouve réduit de 15 millions de dollars par rapport à son prédécesseur puisqu’il ne monte « qu’à » 129 millions de dollars. Et, quand on voit le résultat final, le tour de force n’en est que plus admirable.

 

photo Dragons 3Allez, c'est parti

 

Lorsque nous avions rencontré Dean DeBlois à l’été 2018 lors d’une présentation-conférence du film ultra-secrète (et dont nous n’avions malheureusement jamais pu vous parler, l’embargo n’ayant jamais été levé en dépit de nos demandes), le réalisateur était clair sur son intention : Dragons 3 serait le point final à sa trilogie, pas forcément à la saga, mais à sa vision de l’histoire.

Les enjeux arrivaient à leur terme, les décisions sous-jacentes de la série seraient prises et le film allait nous faire pleurer tout comme il nous expliquerait pourquoi nous n’avons pas de dragons dans notre monde actuel. On peut dire sans se tromper que le pari est amplement réussi. Ce qui justifie sans problème un nouveau retard de presque un an pour ne sortir le film qu’en 2019. L’excellence est à ce prix. Et c’est extrêmement rassurant dans une industrie propice au prêt-à-penser et au prémâché.

 

photoUne amitié indéfectible

 

CŒUR DE DRAGON

Intéressons-nous maintenant, si vous le voulez bien, à ce que cache la saga Dragons au fond d’elle. Le cœur de son histoire, la vibration qui impulse son récit, l’éclat qui en révèle l’âme.

Son postulat est somme toute classique et archi-revu : le jeune garçon un peu perdu, paria de son milieu qui, grâce à un pouvoir extraordinaire se dépasse et gagne la confiance des autres tout en trouvant sa place dans le monde. On a déjà vu ça 1 000 fois, que ce soit dans Star Wars ou dans  Naruto.

La grande différence, quand on parle de Dragons, c’est que sa narration va à rebours de ses collègues. Là où Luke Skywalker part de son désert pour tutoyer les étoiles, là où Naruto Uzumaki quitte Konoha pour découvrir le monde, Harold réinvente son environnement immédiat et ne quitte jamais vraiment ses terres tout en effectuant un grand voyage intérieur.

 

Harold, pas le gars le plus populaire du village

 

Là où les deux exemples précités sont dans une logique extrospective à résonance intérieure (c’est par la rencontre extérieure que l’intérieur s’enrichit), Dragons propose, non pas une démarche purement introspective, mais bel et bien la parfaite synthèse entre ces deux pôles. Car Dragons se joue toujours sur deux plans bien distincts en simultané.

D’un côté, le rapport à la société, au monde et aux humains, la démarche purement pragmatique et sociétale du vivre ensemble répondant aux besoins primaires du groupe : la survie du clan. D’un autre, le rapport à soi, à son épanouissement, son évolution et son identité. Donc le rapport aux dragons.

 

photo StoickStoick : père, leader mais avant tout viking

 

Parce qu’il apparait évident que les dragons, hormis leur statut de bêtes incomprises par les hommes, nourrissent aussi une autre fonction, beaucoup plus symbolique. Et qui fonctionne par correspondances.

Si l’on prend Dragons, que voit-on ? L’histoire d’un gamin qui défie par orgueil son père en allant tout seul à la chasse aux dragons pour lui prouver sa valeur. Il en blesse un, le plus rare et le plus puissant, mais, au moment de l’achever, il se reconnait dans son regard. Incapable de le tuer, il va apprendre à le connaitre et à se découvrir. Amputés d’une communication verbale réciproque, ils vont devoir mettre au point une dialectique intime pour se parler et avancer. L’un devenant indispensable à l’autre, Krokmou, du fait de sa blessure, ne pouvant plus voler sans Harold.

 

photo KrokmouLa Furie Nocturne, l'objet de tous les fantasmes

 

Alors certes, Krokmou fait penser à un gros chaton que l’on recueille en cachette de ses parents, certes les dragons véhiculent un message de tolérance et d'ouverture à l'autre, et, au premier niveau de lecture c’est exactement ça, mais une scène en particulier nous fait penser qu'un autre sens se cache peut-être derrière cela.

Il s’agit bien évidemment de la première rencontre entre nos deux protagonistes. Une séquence magnifique qui raconte à elle seule toute la trilogie. Là, nous y voyons l’ébauche d’une communication entre deux être intimement connectés qui se reconnaissent mais ne peuvent pas, du fait de leurs origines respectives, communiquer simplement sans franchir différentes étapes de confiance.

Le déclic arrive bien entendu lorsque Harold dessine Krokmou dans le sable, le moment où il représente Krokmou et où le dragon comprend leur différence. D'ailleurs, il s’empresse de faire la même chose, d’une manière évidemment moins maitrisé. Le point important de cette séquence est évidemment l’aspect brut et anarchique du dessin du dragon, qui ne ressemble pas à grand-chose et qui dévoile, ce faisant, sa nature réelle.

 

 

Nous sommes sur un terrain archaïque, animal, brut, donc inconscient. Krokmou est Harold et Harold est Krokmou. La suite entérine cette hypothèse puisque si Harold recherche le contact physique, Krokmou le lui refuse. Il doit passer par une nouvelle épreuve pour y parvenir, un labyrinthe à même le sable en respectant les contours et les limites imposés par le dragon, sans savoir ce qui l’attend au bout.

Une déambulation qui désoriente et fait perdre de vue son objectif premier. D’ailleurs, Krokmou apparait derrière Harold, comme s’il attendait une telle action, à la grande surprise du héros, pour finalement se laisser toucher par lui. Détail capital, Harold ne touche pas Krokmou avant que ce dernier ne le lui permette. Une fois que toute notion de danger est écartée.

 

Photo  Red DeathLe Red Death, la représentation animale de Stoick

 

On pourrait penser que cette analyse, trop brève et schématique malheureusement, est un peu tirée par les cheveux si l’apparence du grand dragon à la fin du film ne venait pas nous confirmer cette piste.

En effet, les points communs entre Stoick et le grand dragon sont évidents : l’un n’étant que la représentation symbolique et inconsciente de l’autre, par rapport à Harold. Qu’il s’agisse du chef ou du dragon, ils sont associés naturellement par la couleur de leurs poils et écailles : rouges. Le grand dragon règne sur les autres d’une main de fer, tout comme Stoïck règne sur son clan en l’emmenant à la guerre, perdue d’avance, contre les dragons. Et c'est à peu près pareil pour tous les autres personnages des films et leurs dragons. Ils se correspondent mutuellement, doubles narcissiques tout autant que parts inconscientes.

 

Une haine qui trouve son origine dans la perte et la tristesse

 

UN RÉCIT TOUT EN NUANCES

Lorsque deux individus se rencontrent, généralement, ce sont avant tout deux inconscients qui font connaissance en premier lieu et la saga Dragons illustre cette idée à merveille. Chaque personnage possède un dragon en harmonie avec son caractère, avec ce qu’il est, ce qu’il désire et à lui de le dresser et de lui apprendre à vivre en communauté tout en utilisant ses capacités harmonieusement. C’est d’ailleurs très présent dans Dragons 2 lorsqu’Astrid et Harold discutent et que leurs dragons se chamaillent en arrière-plan, illustrant ainsi les vrais sentiments qui sont en jeu entre eux à ce moment précis.

Tout n’est que symbole dans Dragons et c’est pour cela que cela fonctionne autant. Parce qu’il nous parle de choses sans nous les dire de vive voix, parce qu’il fait appel à notre dragon intérieur, notre part d’enfance et d’émerveillement, notre archaïsme et notre inconscient pour faire passer son message. Un message de découverte et d’apaisement qui fait des dragons les représentants de plusieurs concepts. D'ailleurs ce qui vient d'être dit ne constitue qu'un point de vue et n'a aucunement valeur de vérité absolue. Bref, chacun y trouve ce qu’il veut tout en respectant l'idée de son auteur, ce qui est la marque des grandes œuvres.

 

photo DragoDrago, le leader qu'Harold craint de devenir

 

Qu’il s’agisse de Drago, chef tyrannique soumettant les dragons pour asseoir sa domination, miroir d’Harold fraichement élu chef qui se pose la question de savoir comment il doit régner sur son peuple et s’il en est capable. Qu'il s'agisse de Grimmel, tueur de dragons, symbole d’une réalité dure et peu propice à l’émerveillement qui conditionne à une certaine normalisation, au moment même où Harold doit prendre des décisions capitales concernant l’homme qu’il s’apprête à devenir, Dragons ne parle que de cela.

C'est un récit intimiste sur un enfant qui se découvre la force de devenir un homme et les sacrifices nécessaires pour y parvenir.

 

photo GrimmelGrimmel, ou la perte de sa part d'enfance

 

Sacrifice, un mot qui a tout à fait sa place dans la saga, que l’on parle de la jambe d’Harold, qui le rend inséparable de Krokmou mais qui en même temps l’encourage à avoir moins les pieds sur terre. Que l’on parle aussi de la disparition de Stoïck qui propulse Harold dans un monde adulte où il a la charge d’un peuple entier alors qu’il ne souhaite que voler avec son dragon et découvrir de nouveaux territoires. Sacrifice encore dans le troisième film, mais nous n’en dirons pas plus pour le moment.

Quel que soit le bout par lequel on la prend, la saga Dragons est d’une richesse incroyable, qui se frotte à divers concepts avec maestria, talent et sincérité. Et c’est peut-être pour cela qu’elle marque autant et qu’elle ne laisse pas indifférent. Parce qu’elle nous touche au cœur, à ce qui fait de nous un humain, parce qu’elle nous accompagne dans les passages obligées de l’existence, qu’ils soient joyeux ou plus funestes. Parce qu’elle parle tout simplement de la vie.

 

photo Harold et KrokmouDevenir adulte, mais pas à n'importe quel prix

 

Dean DeBlois a réussi son pari haut la main avec sa trilogie. Il joue à jeu égal avec les œuvres les plus réussies de Pixar et le cinéma de Hayao Miyazaki. Quoi qu’il arrive à l’avenir, la saga Dragons sera toujours là pour nous réconforter, nous faire rêver, nous questionner sur ce que l’on veut et ce que l’on est vraiment. Si ce dossier est à présent terminé, il n’en demeure pas moins frustrant parce qu’il nous a obligé à rester à la surface de l’histoire. Il y aurait largement de quoi en faire un livre. On va y réfléchir.

 

affiche finale

Tout savoir sur Dragons 3 : Le Monde caché

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commentaires
Fethi
11/02/2019 à 16:15

Bravo pour ce très beau sujet sur une trilogie admirable.

Taslim
11/02/2019 à 07:32

C est dommage que sa soit une trilogie parce je sa ma fait accrocher.
Et pour vous dire que je suis embêté que sa se terminé qu' a la troisième.
Si seulement après il y avait des épisodes pour voire comment il grandisse les bébé furi nocturne
Juste 2 épisodes.
Parce e sa nous fait rêver et pas que.

Taslim
11/02/2019 à 07:26

C est dommage parce que moi sa ma emporté comme d autre et pour tout vous dire c est le meilleur de toute les trilogie que j ai j amé vue.
Continue comme sa et ne vous arrêté pas.

Hank Hulé
11/02/2019 à 07:09

Un poil déçu par le 3 moi...
Un peu mou et pollué par la love storyboard entre les deux dragons

Tuorp
10/02/2019 à 20:21

Arf désolé que ça tombe sur vous mais vous êtes l'un des rares sites de cinéma que je suis encore et je me tiens loin de toute promo pour éviter tout spoil. Dorénavant j'éviterais aussi de trop traîner par ici alors!
Bonne continuation et continuez de mettre en avant des œuvres qui le méritent!

Christophe Foltzer - Rédaction
10/02/2019 à 18:53

@Tuop :

L'image en question fait partie de la promotion officielle du film avant la sortie de celui-ci au cinéma. Nous n'avons rien spoilé de plus que ce qui était déjà présent dans la promo et les bandes-annonces, rassurez-vous.

black saturday
10/02/2019 à 18:05

Je pense que ça va finir en drame, je ne pense pas qu'il soit bon de regarder cette œuvre pour le moment, on repart en ralentissement économique, le chômage n'a pas baissé beaucoup, le papy boom qui permettait de réduire ce pb est sur sa fin, dans qqe années en 2022/24 il y'aura encore une crise avec un taux de chômage à >12%, mieux vaut rester sur des comédies pures.

Tuorp
10/02/2019 à 18:01

Merci pour la photo de l'article qui spoile... le premier trailer avait l'air intelligent et ne montrait pas grand chose mais vous faites tout le contraire. Je suis content que vous fassiez la lumière sur cette série que j'adore mais n'ayant pas encore eu le temps de voir le troisième, je suis dégoûté.

M1Pats
10/02/2019 à 17:30

Magnifique article pour une magnifique œuvre

Number6
10/02/2019 à 17:09

Ooh, un livre sur Dragons par des critiques français ? Faut signer où ?

J'ai les poils qui se dressent en lisant la critique. Pas pour le dossier en lui même, même si il est bon, mais sur ce qu amène la lecture. De la nostalgie, alors que cette trilogie vient de se terminer récemment. Le signe des grandes sagas, à revoir encore et encore.

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