Vidocq : et si c'était Pitof l'Empereur de Paris ?

Simon Riaux | 21 décembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 21 décembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

La cause semble entendue : le Vidocq de Pitof serait un invraisemblable nanar. Mais alors que le personnage est revisité par Jean-François Richet et son Empereur de Paris, il est peut-être temps de se pencher une nouvelle fois sur cette œuvre curieuse et inclassable.

Il n’est pas rare qu’une œuvre conspuée, ou considérée comme cochant toutes les cases de la Zèderie triomphante, ait droit à une sorte de réévaluation posthume, rigolarde, s’échinant à retourner le discours critique émis précédemment. On trouve parfois dans ces réévaluations une forme de snobisme inversé, peut-être encore plus méprisant pour l’œuvre discutée, réhabilitée pour être mieux moquée.

On ne jouera donc pas ici la carte du « Vidocq est-il le grand chef d’œuvre pop-taré oublié des années ? » tant cette assertion apparaît fausse. Oui, le casting du film est totalement aux fraises. Oui, le scénario n’a quasiment aucun sens. Oui, le rythme et la construction en gigogne du récit en font un empilement de saynètes déconnectées. Et pourtant, le métrage paraît indiscutablement plus digeste, plus ludique, aujourd’hui que lors de sa sortie. Pourquoi ?

 

 

TRIQUE NUMÉRIQUE

On l’aura largement entendu à l’époque, mais c’est une réalité, Vidocq est le premier long-métrage intégralement shooté sans pellicule. En 2001, le film sortant quelques jours après le 11/09, cette donnée ne sera pas toujours bien comprise par le grand public, qui y sera largement plus sensibilisé lors de la sortie de Star Wars Épisode II : L'Attaque des clones. Une escroquerie technique d’autant plus criante que le film de George Lucas n’a pas été intégralement filmé à l’aide de caméras numériques.

Et si le cinéphile ou la critique évoque volontiers l’apport de Michael Mann au 7e Art en tant que grand maître et vulgarisateur de l’image numérique, sa suprématie est parfois un peu exagérée. Bien sûr, Collatéral et Miami Vice imposent avec éclat une nouvelle grammaire, mais l’explosion stylistique rendue possible par un nouveau matériel, on la retrouvait (encore malpolie et embryonnaire) chez Pitof.

Dans une intéressante interview accordée à Vice, le réalisateur français expliquait avoir cherché ses influences aussi bien du côté de Klimt que des jeux vidéo. Une évidence quand on regarde le métrage aujourd’hui, dont les codes ne sont pas ceux du cinéma français historique.

 

photoGuillaume cané

 

C’ÉTAIT COMPLÈTEMENT FOU

Sans doute, Vidocq est régulièrement au-delà des frontières du n’importe quoi. Mais il est surtout parfaitement imprévisible. Quelques mois plus tôt, Le Pacte des loups de Christophe Gans a été un spectaculaire succès sur les écrans hexagonaux. De toute évidence le cinéma de Gans est lui-aussi une centrifugeuse qui mêle avec gourmandise western, manga, genres et médiums.

 

photo Attention les yeux

 

Pourtant, si le film est composite, il ne paraît jamais aussi ouvertement taré que celui de Pitof. Son Vidocq est en permanence étourdissant. Pour commencer, et c’est une de ses limites autant que sa grande force.

Steady Cam sous speed, gros plans en pagaille, grand angle schizophrène, travelling fous, jamais la mise en scène ne s’inquiète de son respect des canons ou du rythme cardiaque du spectateur. Il en va de même pour l’étalonnage. À l’image, on note tout simplement quantité de contrastes, de textures et de lumières tout simplement jamais vues par une très grande partie du public. Public qui vint en masse découvrir le film (qui amassa presque 2 millions d’entrées).

 

photoDes lumières impossibles

 

COMME UN BON MAUVAIS VIN

Il faut revenir un peu sur l’influence vidéoludique mentionnée par Pitof, qui évoque volontiers avoir laissé infuser dans son œuvre les cadrages de Tomb Raider. Une influence bien réelle, que la critique comme le grand public n’étaient peut-être pas prêts à digérer lors de sa sortie, mais qui, à l’heure où les codes de la mise en scène ultra-fluide et parfois fragmentée des jeux vidéo fait sens.

De même, le scénario horriblement branque et articulé n’importe comment, à la faveur d’un montage de flash-back aussi absurde que parfaitement décrit ici par Karim Debbache, a paradoxalement gagné en lisibilité. Comme un condensé de concepts peut-être peu cinématographiques mais néanmoins prégnants dans la pop-culture, Vidocq paraît aujourd’hui plus sensé qu’il ne l’était en 2001.

 

photoColossal Depardieu

 

Tout cela en fait-il un bon film ? Probablement pas. En revanche, il semble de plus en plus indiscutable que son vorace appétits de formes, son désir de tout chambouler, et sa curiosité technique en font une aventureuse exploration, un jalon peut-être trop téméraire, mais un jalon néanmoins.

 

photoUne mise en scène jamais plate

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commentaires
K.loubzh
02/01/2019 à 19:22

Vidocq de Pitof représente l'apogée d'une époque où le cinoche français franchissait enfin le pas. Les rivières pourpres, Le pacte des loups, Amélie Poulain, Nid de Guêpes, etc... du budget et même de prises de risques visuelles et scénaristiques.
Cette époque est révolue... le Vidocq "empereur de Paris", bien que drapé d'un classicisme somptueux dans sa forme, manque cruellement d'audace. En 2001, Pitof - sur un scénar de JC Grangé - osait mêler aventure d'époque et fantastique crasse.
Alors Ok c'est un gros bordel parfois indigeste à l'écran et la direction d'acteurs bah... y'en a pas. Mais ils et elles l'ont fait ! Aujourd'hui les budgets vont aux comédies avec Dany Boon ou Omar Sy...

Kassovitz, Gans, Jeunet, Siri, Pitof, revenez et trouvez vos successeurs ! Et Mrs les producteurs, remettez un peu de tune pour des polars nerveux, du fantastique, de la reconstitution teintée d'étranges ou de la SF qui pète!!!

Murata
29/12/2018 à 12:00

Je me souviens que le jeu de Canet était atroce, dommage ça plombe pas mal le film. Sinon c'était complètement foutraque et pas déplaisant.

Pieds dans le plat.
25/12/2018 à 16:39

Il méritait quand même un Hot d'or ce film, parce que pour enfiler le spectateur comme ça, il en avait une maousse.
Vous vous posez des questions existentielles incroyables sur Ecran Large et le pire c'est que ça marche parce qu'on prend tous le temps de vous répondre :/

Flash
23/12/2018 à 11:07

"Un film encore plus mauvais et laid que le seigneur des anneaux, c'était pas facile à faire"
Qu'est ce qu'il ne faut pas lire comme connerie !

Satan MaBite
22/12/2018 à 09:37

"Le Vidocq de Pitof serait un invraisemblable nanar. Mais en est-on vraiment si sûrs ?"
OUI OUI ET OUI !!!! Un film encore plus mauvais et laid que le seigneur des anneaux, c'était pas facile à faire, Pitoff l'a fait !!

Olivier637
21/12/2018 à 17:26

J'ai beaucoup aimé ce film à la sortie. Visuellement ça a été une claque en 2001. Oui le scénario est foutraque mais Pitof ne s'est rien interdit avec sa steadycam. Mais beaucoup de spectacle et un fight final qui avait fait son petit effet.

2M de spectateurs c'est un boxe office loin d'être ridicule. Et à mon avis, sans le 11 septembre, le film pouvait taper dans les 5M. Est ce que la carrière de Pitof en aurait été changée? C'est un pas que j'ai envie de franchir. Il y a eu catwoman après, sa carrière était foutue. Mais comme pour Babylon AD pour Kassovitz, je pense que les studios sont coupables de pas mal de choses sur ce dernier film.

Tout ça pour dire que Vidocq, malgré (et paradoxalement grâce à) ses nombreux défauts, a des ambitions énormes, qui si elles ne sont pas toutes concrétisées, contiennent beaucoup plus de cinema que beaucoup de films moins mal aimés.

#teamvidocq

JP
21/12/2018 à 16:54

@Utopie Nouvelle cf: « l’homme à la caméra » De Vertov

JP
21/12/2018 à 16:51

@Utopie Nouvel En faite c’est le montage qui est propre à cet art pas la mise en scène ( qu’on retrouve au théâtre ). Mais dans le fond tu a raison.

Utopie Nouvelle
21/12/2018 à 16:34

f-nico, au cinéma, ce n'est pas le scénario le plus important, c'est surtout la mise en scène, propre à cet art. Tu regardes vraiment Mad Max fury road pour son scénario ?

thierry A
21/12/2018 à 16:12

Abondance de matière, abondance de plans, abondance de sons, abondance de mouvements.
Ayant bossé dessus, je suis néanmoins sorti de la salle avec un besoin de respirer, comme on sort d'une apnée trop prolongée dans un monde criard à l'agression visuelle permanente..
On a tout retravaillé, sur ce film; les décors, les ciels, on a fait des caches d'étalonnage sur tous les plans (On ne se doutait pas que Jackson faisait pareil de son côté sur les Seigneurs des anneaux..).
Aucune limite jusqu’à ce que cela plaise au réal.
Des mauvais choix, il y en a toujours, des fautes de gout aussi.
Malgré, ou grâce, à ses erreurs et ses excès, peu de film Français de ces dix dernières années m'auront autant impacté.
Et si on en parle encore, c'est qu'il aura marqué son époque et notre cinéma, mais pas que pour de mauvaise raisons.

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