Le Monde perdu : un Spielberg désespéré, noir et cruel

La Rédaction | 10 décembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58
La Rédaction | 10 décembre 2018 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Ecran Large revient sur une poignée de films mémorables, plus ou moins aimés, de Steven Spielberg, depuis ses débuts jusqu'à ses succès les plus récents. Aujourd'hui, le très discuté Le Monde perdu : Jurassic Park.

 

Photo Steven SpielbergSteven Spielberg et Mister T

 

LE RETOUR DU REFOULOIR


Steven Spielberg n'a jamais été un grand amateur de suites, quel que soit le succès de ses films. D'ailleurs, si on retire les Indiana Jones, dont le concept sériel revient à George Lucas, on peut même dire que le maître s'est tenu le plus souvent possible éloigné du concept, favorisant des projets originaux. Mais il en va autrement du Monde perdu, formidable coffre à jouets qui vient prendre la suite de Jurassic Park, qu'il se réserve, malgré le désir de Joe Johnston de le réaliser (il héritera finalement du troisième épisode).

Sur le papier, tout est réuni pour que le cinéaste donne le meilleur de lui-même avec ce projet. On est en 1997, il n'a pas tourné depuis La Liste de Schindler trois ans plus tôt et les périodes de retrait sont le plus souvent synonymes de retour en force créative pour l'artiste. Les techniques que Jurassic Park a instantanément popularisées ont encore progressé, il est désormais possible de donner corps au fantasme préhistorique du metteur en scène (Le Monde perdu : Jurassic Park compte deux fois plus de séquences incluant des dinosaures) et sans doute l'envie de mettre public et critique à genoux lui chatouille-t-elle l'esprit.

 

Photo Steven SpielbergTonton Steven dirigeant un Stegosaure

 

 

Car si Jurassic Park a été instantanément adoré par le jeune public et a performé au box-office, la critique n'a collectivement pas pris conscience du bouleversement que représentait le film. Hollywood a changé de paradigme mais ne le sait pas encore, et croit avoir simplement découvert une énorme démo technique, un joli tour de grand huit. Tonton Steven est prêt à leur rabattre leur caquet. Du moins le croit-il.

 

MONDE REPUS

 

Dès l'écriture, Le Monde perdu : Jurassic Park va souffrir de changements multiples, voire d'une indécision problématique. Jurassic Park s'appuyait sur la structure du roman éponyme de Michael Crichton, et Steven Spielberg usait d'un scénario carré et sans génie ainsi qu'il l'a presque toujours fait, réservant à sa mise en scène le soin de narrer et nuancer un canevas donné. Ici, l'essentiel du texte de Crichton est abandonné, et il n'y a au final plus grand rapport tonal ou structurel entre les deux travaux.

 

 

Photo Ian MalcolmJeff Goldblum, super à donf

 

David Koepp a beau être efficace, son script ne sait pas toujours sur quel pied danser. La faute peut-être à des hésitations importantes quant au contenu du récit. Ainsi Lex et Tim, les ados du précédent film, devaient initialement être de l'aventure, avant de voir leur rôle limité, puis transformé en un simple caméo.

 

Durant le développement, plusieurs séquences incluant des dinosaures seront étudiées avant de disparaître. On fantasmera longtemps sur l'attaque d'un hélicoptère par des Ptéranodons, ou une agression supplémentaire du T-Rex, grand méchant fabuleux de ce deuxième volet.

Le tournage, s'il ne s'embourbe pas et s'achève comme souvent avec Spielberg avec 6 jours d'avance, sera pour le cinéaste l'occasion d'une profonde remise en question. Le cœur n'y est plus.

 

Il confiera lui-même s'être régulièrement demandé ce qu'il était en train de faire, ayant parfois l'impression de mettre en scène « un film muet avec des rugissements ». Spielberg a profondément été marqué par l'expérience de La Liste de Schindler et l'apparente innocence ou légèreté de son travail en a pris un coup.

 

En témoignent les nombreuses séquences, essentiellement de dialogues, demeurées sur le banc de montage, des raptors conçus par Stan Winston aux griffes proéminentes finalement abandonnés, des personnages secondaires que le récit tue ou oublie trop brutalement, mais surtout, un ton très surprenant.

 

 

Photo Camilla Belle"Qu'ils sont mignons !"

 

 

PAS DANS LES HAUTES HERBES !!!


Ce qui sur le papier devrait être le plus Spielberguien, l'exposition, la recomposition de la famille, l'opposition entre chasseur et explorateurs semble terriblement ennuyer le metteur en scène, ainsi que ses comédiens. Julianne Moore admettra d'ailleurs quelques années plus tard avoir accepté le film pour se refaire après un divorce couteux, quand Jeff Goldblum livre une de ses performances les moins habitées. Trop long, le film ne trouve jamais son rythme, et ne parvient jamais à retrouver le suspense incroyablement ludique qui faisait le sel de l'oeuvre originale. Ces éléments lui nuiront et lui vaudront d'être accueilli assez sèchement. Pourtant tout est bien loin d'être à jeter dans Le Monde perdu.

 

 

PhotoQuand on arrive en ville...

 

 

En effet, on y trouve une cruauté qu'on n'avait pas vue chez Tonton Steven depuis Le Temple Maudit. Ici, on dévore des enfants, on démembre un bon samaritain, on écrase quantité de figurants et on torture interminablement un pauvre Peter Stormare, avant de traumatiser une compagnie de chasseurs dévorés dans les hautes herbes par des raptors plus agressifs que jamais.

 

Ces derniers seront les stars d'une des plus incroyables séquences de la saga, dans laquelle nos trois héros luttent pour esquiver mâchoires et crocs pendant une dizaine de minutes absolument désespérées et terriblement stressantes. Enfin, le film aboutit à un hommage délirant à King Kong en plein San Diego, où la caméra suit amoureusement un T-Rex faisant un carnage en centre ville pour retrouver son petit.

 

 

Photo Jeff GoldblumUne séquence ahurissante, à l'issue des plus cruelles

 

Toutes ces scènes sont d'éclatantes réussites, tant techniques qu'artistiques, et laissent croire que ce n'est pas tant la noirceur du film et sa sauvagerie qui rebutaient Spielberg, que la nécessité d'introduire des personnages. Une séquence est à ce titre marquante, en comparaison de la virtuosité de celles où interviennent les sauriens

 

Il s'agit de la découverte au sein du campement des héros de la fille de Malcolm, qui se veut l'occasion d'un interminable dialogue en plans moyens, qu'on jurerait sortis d'une parodie de téléfilm. De toute évidence, le cinéaste se désintéresse de ces enjeux et souhaite filmer une apocalypse préhistorique qui tarde à venir.

 

Le Monde perdu : Jurassic Park demeure donc un film frustrant par essence, qui éclaire de manière évidente combien l'artiste cherchait alors une nouvelle voie, et combien la catharsis prédatrice des dinosaures lui aura permis de défricher un autre style, un autre chemin.

 

 

 

Newsletter Ecranlarge
Recevez chaque jour les news, critiques et dossiers essentiels d'Écran Large.
Vous aimerez aussi
commentaires
Gaidon
11/12/2018 à 20:21

La scène de la falaise a quand même une sacrée gueule avec un découpage parfait

pepe
11/12/2018 à 19:23

Complètement dispensable, moins pire que le 3 mais bon.

menemen
10/12/2018 à 23:46

très bon film d'aventure. et bonne suite.

ag
10/12/2018 à 19:31

Quand on voit l'héritage ( surtout world 2 ) on ne peut que regarder avec indulgence cet opus, certes ce n'est pas le 1 mais certaines séquences sont jouissives.

Andarioch
24/07/2018 à 11:38

Z'êtes dur, là. Rien que pour Julianne Moore sur le pare-brise avant du camion qui se fendille et le chien qui (enfin) se fait bouffer par le T-rex, je dis bravo.

Meuk
11/03/2018 à 15:39

Perso, je déteste le 1er Jurassic Park (trop enfantin et trop de son époque) alors qu’il y a plein de choses que j’aime dans Le Monde Perdu qui est pour moi un des rares films réussis de Spielberg post-1990. On y retrouve un sens du minimalisme qu’il avait perdu et qui rappelle ses premières oeuvres comme Duel ou Les Dents de la mer.

Fab
11/03/2018 à 12:45

De très belles séquences pour un bon film d'aventure

Flash
11/03/2018 à 12:35

Perso c'est celui de la franchise que je préfère, et puis voir des gens se faire bouffer par des dinos ça m'éclate !

Mx
10/03/2018 à 23:34

A part la scène de la falaise et des hautes herbes expédié en 2mn chrono, c quand même pas le top.

Ha si, ia peter stormare et pete posthelwaithe au casting:

Rahan les tape
10/03/2018 à 22:51

Dans mes souvenirs la gamine qui fait de la gym avec les dinos est juste le brouillon de Tarzan dans Indy 4: un Spielberg paumé qui signe tout et n'importe quoi pour vite en finir, facile de péter les records quand tu délègues à tout va.

Plus