Capitaine Phillips : critique en haute mer

Simon Riaux | 25 mars 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58
Simon Riaux | 25 mars 2017 - MAJ : 09/03/2021 15:58

Après des mois de travail sur Memphis, film consacré à Martin Luther King, ainsi que les tentatives de lancement de plusieurs autres projets, c'est aux commandes d'un récit beaucoup moins ambitieux, quoique plus proche du reste de sa filmographie, que nous retrouvons Paul Greengrass. Capitaine Phillips narre la mésaventure sanglante d'un capitaine et de son équipage, pris en otage au large de la Somalie par plusieurs pirates bien décidés à détourner leur bâtiment, le Maersk Alabama.

Cinéaste de l'instant et de l'immédiateté, Greengrass remporte une nouvelle fois le titre de champion de la shaky cam, catégorie dans laquelle il l'excelle pour l'avoir sinon créée, en tout cas largement démocratisée. Comme personne Greengrass se révèle capable de multiplier les plans, les angles, de couvrir l'ensemble de l'action à l'aide d'un dispositif qui chez d'autres tiendrait de la pure anarchie, pour obtenir un résultat lisible, clair et d'une remarquable intensité. Si la technique n'est pas à remettre en cause ici tant elle apparaît maîtrisée, c'est le récit qui referme sur elle un piège dont elle aura bien du mal à se dépêtrer.

 

Photo Tom Hanks

 

Si Paul Greengrass ne craint généralement pas de filmer l'action au sein d'un espace confiné, c'est parce que son récit les multiplie, lui permet de n'en faire plus qu'une toile de fond virevoltante dont il fait exploser les limites objectives, quand ce n'est pas tout simplement le contexte historique (Vol 93) qui pousse métaphoriquement les murs et donne de l'ampleur au décor. Hélas ici, l'action se concentrera sur une poignée de coursives, avant de s'enfermer à l'intérieur d'un minuscule canot. Jamais le réalisateur ne parvient à s'affranchir de cette limite objective, la faute sans doute à un scénario qui ne prendra la peine de véritablement caractériser que ses deux antagonistes principaux condamnant les autres à devenir au fil du récit des silhouettes anonymes. Malgré la science du découpage et du montage de son auteur, l'ennui s'empare très rapidement du spectateur.

 

 

Photo

 

 

Il faudra attendre le dernier tiers de cette aventure tragique pour que le réalisateur soit amené par son scénario à s'extraire d'une situation qu'il n'arrive plus à dynamiser. L'arrivée de l'armée américaine sur le théâtre des opérations va permettre à l'artiste de se pencher sur son véritable sujet, bien plus intéressant que tout ce qui a précédé, hélas introduit beaucoup trop tard. Car ce qui fascine ici Greengrass n'est pas la confrontation entre un nord américain sûr de ses convictions et un pirate somalien violent et désabusé, pas plus qu'il ne cherche à emballer une œuvre de pur suspense. Ce qui le meut, c'est le ballet obscène qui se joue entre une flotte américaine toute puissante et le minable rafiot où sont enfermés quelques hommes craignant tous pour leur survie. Dans le pas de deux entre un pirate amer poussé par le souhait naïf sinon enfantin de fuir vers les U.S.A et la violente inertie d'une armée prête à tous les massacres pour ne pas perdre le contrôle d'une situation en équilibre précaire se révèle un instantané paradoxal de l'état du monde.

 

 

photo, Barkhad Abdi

 

C'est dans ses dernières minutes que le film devient passionnant. Lorsque la démesure des moyens convoqués pour sauver un citoyen rencontre le trouble de ce dernier dans un nuage de sang, Greengrass parvient à asséner non pas un message, mais un état des lieux, un avertissement particulièrement troublant, qui sauvent le film de l'ennui et de l'immobilisme qui empèsent ses deux premiers tiers. On attend désormais de retrouver le réalisateur aux prises avec un projet qui ne lui claque pas entre les doigts ou s'impose à lui faute de mieux, pourquoi pas derrière la caméra de Memphis.

 

 

Affiche française

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